Israël est-il menacé d’être pris en étau entre le Hamas et le Califat islamique ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Alors que des tirs de roquettes en provenance de Gaza auraient touché Jérusalem, l'armée israélienne s'est dite prête à toute éventualité
Alors que des tirs de roquettes en provenance de Gaza auraient touché Jérusalem, l'armée israélienne s'est dite prête à toute éventualité
©REUTERS/Amir Cohen

La tenaille

Alors que des tirs de roquettes en provenance de Gaza auraient touché Jérusalem, l'armée israélienne s'est dite prête à toute éventualité, y compris à intervenir au sol. A l'opposé, l'EIIL se renforce en Irak et en Syrie, faisant planer le spectre d'un double front.

François Géré

François Géré

François Géré est historien.

Spécialiste en géostratégie, il est président fondateur de l’Institut français d’analyse stratégique (IFAS) et chargé de mission auprès de l’Institut des Hautes études de défense nationale (IHEDN) et directeur de recherches à l’Université de Paris 3. Il a publié en 2011, le Dictionnaire de la désinformation.

 

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Jean-Vincent Brisset

Jean-Vincent Brisset

Le Général de brigade aérienne Jean-Vincent Brisset est chercheur associé à l’IRIS. Diplômé de l'Ecole supérieure de Guerre aérienne, il a écrit plusieurs ouvrages sur la Chine, et participe à la rubrique défense dans L’Année stratégique.

Il est l'auteur de Manuel de l'outil militaire, aux éditions Armand Colin (avril 2012)

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Atlantico : Les autorités jordaniennes s’inquiètent de la présence des combattants de l’EIIL à leurs frontières. Selon certains analystes israéliens (voir ici), Israël doit renforcer son voisin hachémite. Quelle forme un choc militaire entre l’Etat islamique et la Jordanie prendrait-il ? Comment l’Etat d’Israël pourrait-il être amené à y prendre part ?

Jean-Vincent Brisset : Il est évident que la Jordanie ne dispose pas des mêmes capacités de défense qu'Israël. L'EIIL pourrait donc être tentée de prendre pied dans le pays, à la fois pour établir une continuité avec les zones qu'il contrôle déjà et pour continuer l'encerclement de l'Etat hébreu. Même si les troupes jordaniennes sont mieux entraînées et plus opérationnelles que celles de la toute nouvelle armée irakienne, elles auraient sans doute aussi beaucoup de mal à contenir une offensive du type de celle menée par l'EIIL contre l'Irak. Israël pourrait alors considérer qu'une mainmise des islamistes sur une partie du territoire jordanien constituerait un risque inacceptable et décider de fournir un appui à Amman. Cette aide pourrait d'abord prendre (il est probable que c'est d'ores et déjà le cas) la forme d'une fourniture de renseignement. L'étape suivante amènerait à mettre en œuvre des moyens aériens de Tsahal exécutant des frappes contre l'adversaire, aussi bien sur une éventuelle ligne de front que sur des objectifs ciblés dans la profondeur.  

Le Hamas a pris de court Israël en envoyant une roquette de longue portée de type M-302 à 116 kilomètres au nord de la bande de Gaza. Faut-il voir le signe que leur équipement s’améliore ? L’EIIL suit-il une même tendance au niveau de ses équipements ?

Jean-Vincent Brisset : Le Hamas, comme tous les mouvements combattants d'une certaine envergure, peut mettre en œuvre des roquettes sol-sol provenant soit de stocks extérieurs, soit de fabrications locales. Par stocks extérieurs, on peut entendre les armes récupérées sur l'adversaire, qu'il s'agisse de captures ou de matériels emportés par des déserteurs. On peut aussi avoir des armes fournies par un allié extérieur, qu'il s'agisse d'un Etat ou d'un autre mouvement de résistance. Dans le cas de la sécession d'une partie d'un Etat, ce peut être un arsenal complet, avec ses servants, qui change de camp. Dans le passé, les pays proches de l'U.R.S.S. et/ou de la Chine leur ont acheté des dizaines de milliers de roquettes de petit et moyen calibre (de 82 mm à 140 mm) et beaucoup de celles-ci ont été dispersées.

Les fabrications locales peuvent être très variées. Si l'on accepte d'avoir des armes très peu sophistiquées, n'offrant ni sécurité de haut niveau pour le tireur, ni précision, ni garantie d'effet à l'arrivée, l'éventail des possibilités est très large. Il ne faut pas croire que la fabrication de roquettes, en particulier, soit d'une grande complexité dès lors que l'on dispose d'ateliers de mécanique générale, de quelques produits chimiques relativement courants et de personnels ayant une certaine expérience, pas nécessairement de haut niveau, de la mécanique et de la chimie. Il semble aussi qu'il y ait eu des transferts de technologies iraniennes en direction du Hamas, permettant à ce dernier de construire, à l'intérieur de l'enceinte de Gaza, des roquettes de types variés, plus sophistiquées et dont quelques-unes auraient une portée supérieure à cent kilomètres.

L'EIIL est désormais, lui aussi, implanté dans une zone à l'intérieur de laquelle il peut mettre en œuvre des ateliers capables de fabriquer des roquettes dont certaines de gros calibre.  

Quel est le rapport de forces entre l’Etat islamique et Israël ? Si Tsahal et les djihadistes étaient amenés à se combattre frontalement, comment cela se déroulerait-il sur le terrain ?

Jean-Vincent Brisset : On ne sait pas exactement de quels moyens dispose l'Etat islamique. Ceux-ci sont d'ailleurs en perpétuelle évolution, au gré des succès remportés qui se traduisent souvent par la capture de stocks d'armes diverses. On se souvient que lors des opérations menées par Israël au Liban en 2006, les forces du Hezbollah avaient surpris par leur résilience et, en particulier, par les moyens de communication qu'elles étaient capables de déployer. En ce qui concerne les armes de l'EIIL, on a vu récemment des photos de ce qui ressemble à un Scud qui aurait été capturé, ainsi que de plusieurs blindés, dont des chars. Il est aussi probable que des armes fournies par certains pays occidentaux ont terminé dans ses rangs. Toutefois, même si des armements lourds ont pu être récupérés, leur utilisation dans un combat frontal, en l'absence d'un système logistique relativement lourd et vulnérable, n'est pas évidente. On l'a vu lors de nombreux conflits, et récemment en Syrie comme en Libye, la capture par des "rebelles" d'armes, même lourdes et en quantité, ne suffit pas à donner des capacités qui demandent une organisation étatique.

De son côté, Israël dispose d'armes extrêmement modernes, en grande quantité, et servies par des personnels entraînés et qualifiés, dont la motivation lors d'un combat contre l'Etat islamique, serait sans doute très forte. Les erreurs qui avaient conduit aux déboires de 2006, en particulier le recours trop systématique à une guerre de très haute technologie, ont été en grande partie corrigées. Ceci ne veut pas dire qu'un éventuel combat frontal serait facile, contre un adversaire beaucoup plus rustique et motivé jusqu'au fanatisme.

A quelles conditions l’Etat islamique pourrait-il s’équiper plus lourdement ?

François Géré : Cette entité qui s’appelle Daresh est fondée sur la négation des frontières. Le califat n’est pas un Etat. Ces gens cherchent à diffuser la notion transfrontalière de califat partout dans le monde musulman : Moyen-Orient, Maghreb, Afrique subsaharienne… tous les endroits où les forces musulmanes pourraient s’emparer du pouvoir. Cette ambition empreinte de nostalgie et totalement irréaliste, mais elle fonctionne auprès des jeunes désorientés, qui ne savent pas vers quoi orienter leurs efforts. Ou bien le califat actuel est supprimé rapidement, ou bien il se développe et devient un pôle attractif. Il constituerait alors une importante difficulté régionale, avec des capacités d’expansion dans la région et au-delà. La situation est très grave, donc.

L'EIIL a la main mise sur une partie des trafics de la région, a acquis des biens pétroliers, a pris possession des banques, et bénéficie de subsides extérieurs. C’est donc une organisation riche qui peut se payer un armement de qualité infiniment supérieure à ce dont dispose l’armée irakienne. Si la tendance n’est pas inversée rapidement, les moyens militaires sont en leur faveur. Leurs 4x4 sont flambant neufs, leur armement semi-lourd est très performant, mais si en face des moyens aériens consistants leur sont opposés, ils ne tiendront pas longtemps. La Jordanie quant à elle dispose de moyens conséquents, et au besoin elle serait soutenue par Israël. A l’heure actuelle la faiblesse de l’Etat irakien donne le sentiment que l'Etat islamique est en train de l’emporter, mais on peut raisonnablement penser que d’ici 15 jours la tendance d’inversera. Leurs adversaires sont trop nombreux, et même s’ils ne sont pas unis ou ne parviennent pas à coopérer, ceux-ci sont convaincus qu’il est totalement exclu de laisser cette entité se maintenir et se développer. Cela prendra plus de temps sans doute que ce que l’on pensait au départ, mais sauf une démission générale des puissances régionales, personne ne laissera une entité aussi dangereuse s’installer.

S’il se stabilise, l'Etat islamique pourrait-il devenir un soutien et fournisseur supplémentaire du Hamas dans la bande de Gaza ?

L’Etat islamique ne pourra certainement pas devenir une base de soutien au Hamas, car pour cela il faudrait qu’il soit beaucoup plus stable. D’autre part le Hamas bénéficie du soutiens de pays qui sont totalement opposés au califat, et cesseraient immédiatement leur soutien. Si dans l’immédiat on peut l’envisager, sur le moyen terme cela est totalement exclu.

Propos recueillis par Gilles Boutin

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