Israël : des résultats en trompe-l'oeil <!-- --> | Atlantico.fr
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Le président israélien Isaac Herzog et le président du parti Likoud Benjamin Netanyahou posent pour une photo, à Jérusalem, le 13 novembre 2022. Hir. (Photo de Menahem KAHANA / AFP)
Le président israélien Isaac Herzog et le président du parti Likoud Benjamin Netanyahou posent pour une photo, à Jérusalem, le 13 novembre 2022. Hir. (Photo de Menahem KAHANA / AFP)
©Menahem KAHANA / AFP

Elections israéliennes

Le revoilà! À la faveur des dernières élections législatives israéliennes, Benjamin Netanyahou a été chargé dimanche par le Président de l’État de constituer un nouveau gouvernement.

Dov Zerah

Dov Zerah

Ancien élève de l’École nationale d’administration (ENA), Dov ZERAH a été directeur des Monnaies et médailles. Ancien directeur général de l'Agence française de développement (AFD), il a également été président de Proparco, filiale de l’AFD spécialisée dans le financement du secteur privé et censeur d'OSEO.

Auteur de sept livres et de très nombreux articles, Dov ZERAH a enseigné à l’Institut d’études politiques de Paris (Sciences Po), à l’ENA, ainsi qu’à l’École des hautes études commerciales de Paris (HEC). Conseiller municipal de Neuilly-sur-Seine de 2008 à 2014, et à nouveau depuis 2020. Administrateur du Consistoire de Paris de 1998 à 2006 et de 2010 à 2018, il en a été le président en 2010.

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Stéphane Wahnich

Stéphane Wahnich

Stéphane Wahnich est Chercheur à l'Université de Tel-Aviv, Laboratoire ADARR et ex Professeur associé des Universités de l'Université Paris Est Créteil (UPEC). 

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Les dernières élections législatives en Israël ont enfin dégagé une majorité après cinq élections en moins de 3 ans. Apparemment, la société israélienne se « droitise » car Benjamin NETANYAHOU a obtenu avec son « bloc » 64 mandats en rappelant que la majorité est de 61. Sans appel, cest une large victoire pour lancien premier ministre qui a la longévité politique la plus importante dIsraël et qui vient de nous prouver que sa vie politique n’était pas terminée. Pourtant ces résultats sont en partie trompeurs, et cette majorité va devoir faire avec des électeurs qui ont remis de lordre dans la classe politique, mais qui, dans les faits, na pas autant évolué que ce que lon pourrait penser.

La remise en ordre de la classe politique

Les élections de 2021 ont eu comme issue une coalition au sein de laquelle le seul point commun a été « tout sauf BIBI » (TSB). Cette posture dune partie de la droite était liée au caractère jugé « machiavélique, manipulateur, menteur… » de Benjamin NETANYAHOU mais aussi à sa mise en examen sur trois dossiers pour corruption. À cette époque, les électeurs avaient voté en sachant que le premier ministre sortant avait commis de réels méfaits dans une société qui ne transige pas sur le sujet. La justice est intervenue dans les élections de 2021, ce qui a provoqué une distorsion démocratique.

Pour faire barrage au chef de Likoud, Yamina, le parti de Naftali BENNET n’a pas alors hésiter à s’allier avec le parti travailliste, lextrême gauche et même le parti islamiste Raam de Mansour ABBAS. Il a été accompagné par Avigdor LIEBERMAN, leader dun parti de droite laïc et de Guidon SAAR transfuge de la droite du Likoud. Cet attelage politique pour le moins étrange idéologiquement a tenu le temps que ses contradictions aient rendu impossible la poursuite de lexpérience, malgré une gouvernance qui a montré que Benjamin NETANYAHOU n’était pas indispensable et qui a mis fin à l’immobilisme budgétaire.

Mais ces compromis pour former un gouvernement sans « bibi » nont visiblement pas plu aux électeurs de Yamina et le résultat des récentes élections montrent que les Israéliens ont voulu remettre de lordre dans une classe politique dont certains responsables avaient trop oublié la raison pour laquelle ils avaient été élus. Ce rappel démocratique a été sans appel. Yamina a disparu du paysage politique passant de sept mandats à zéro. Meretz, parti dextrême gauche post-sioniste qui a frayé avec la droite dure, a aussi payé son accord contraire à son idéologie, en passant de six mandats à zéro également. Bref, les deux partis les plus structurés idéologiquement de la coalition sortante ont été sévèrement sanctionnés.

Les électeurs de Yamina ont largement voté pour la liste sioniste religieuse moderne présente à ces élections, dirigée par Bezalel SMOTRICH et Itamar BEN-GVIR, qui navaient pas accepté la dernière fois une alliance entre le Likoud et Raam. Cette fidélité idéologique leur a été bénéfique car cette liste est passée de 6 à 14 mandats. Cela permet au bloc de Benjamin NETANYAHOU dobtenir une large majorité de droite à la Knesset. Ces résultats rappellent aux responsables politiques que tout nest pas permis et que leur rôle de représentation de lopinion des électeurs reste primordiale en démocratie. Les électeurs de Yamina navaient pas voté pour faire alliance avec la gauche et les islamistes, et inversement, les électeurs de Meretz navaient pas voté en 2021 pour faire alliance avec des partis qui se situaient à la droite du Likoud. Cependant cette remise en ordre ne veut pas dire que la société israélienne a foncièrement changé idéologiquement en un an.

Dans cette perspective, il est étonnant que certains commentateurs n’hésitent pas à accabler Merav MICHAËLI, patronne du parti travailliste pour avoir refusé de s’allier à Meretz avec le seul objectif de dépasser la barre de qualification et d’avoir plus de sieges.

Avec seulement quatre sièges, la déroute du parti travailliste qui a été un des bâtisseurs de l’État et qui l’a dirigé pendant plus de trente ans démontre qu’on ne peut partir à la bataille électorale avec pour mot d’ordre principal “faire barrage à BIBI et à la droite extreme”; d’échec electoral en débacle électoral, il est grand temps que le parti travailliste fasse son examen de conscience et son aggironamento idéologique.

Une certaine constance électorale

Si on analyse les résultats des élections non pas en nombre de mandats - qui découlent de limpossibilité des listes à être représentées si elles nobtiennent pas 3,25 % dans le cadre des élections à la proportionnelle intégrale - on saperçoit dune certaine permanence électorale de la part des israéliens.

En effet, la droite na pas obtenu la dynamique que lon pourrait supposer, vu les résultats par mandat, et seule l’éviction de Yamina et de Meretz a fait la différence. En effet, si l’on prend les résultats en nombre de voix par bloc idéologique et non par les listes coalisées, les évolutions sont minimes. Le bloc de droite passe de 48,32 % à 48,38 % des voix, soit aucune progression.

En revanche, si on analyse le bloc de gauche on passe de 41,61 % à 38,2 % au profit des listes « arabes » qui elles passent de 8,61 % à 10,73 %.

Et si on additionne toutes les listes anti Benjamin NETANYAHOU, on passe de 50,22 % à 48,93 % des voix entre 2021 et 2022. Les évolutions se sont davantage effectuées à lintérieur de chaque bloc idéologique et les passages de la gauche vers la droite ont été extrêmement faibles. Seule la remise en ordre voulue par les électeurs donne la victoire à Benjamin NETANYAHOU qui aurait dédu être effective en 2021. Mais plus encore, si on prend les résultats des voix par liste, on saperçoit de laspect conservateur de l’électorat israélien.

En effet, le Likoud est passé de 24,19 % des voix à 23,41 %, soit une baisse de près d’un point! Nous sommes loin dun élan populaire en faveur de Benjamin NETANYAHOU. Si son retour est accepté, il nest pas ardemment souhaité. Ce n’est pas un retour en grâce qui permettrait de s’affranchir de toutes les règles juridiques ou procedures judiciaires.

Le sionisme religieux représenté cette année par Bezalel SMOTRICH et Itamar BEN-GVIR passe de 11,33 % des voix, en comparant avec la liste menée par Naftali BENNET en 2021, à 10,84 % soit un résultat de moins 0,50 % des voix. Donc, on peut en déduire que le cœur des listes qui donnent la majorité à Benjamin NETANYAHOU na pas obtenu de bons scores auprès des électeurs.

En revanche, les deux partis religieux orthodoxes, ont eu de meilleurs résultats. La liste orthodoxe ashkénaze passe de 5,63 % des voix à 5,88 % soit une augmentation très minime, mais c’est surtout Shas, parti des orthodoxes sépharades, qui passe de 7,17 % à 8,25 % des voix, soit une réelle augmentation de 1 %, malgré une certaine focalisation du débat sur les ennuis judiciaires de son Président.

Dans cette coalition annoncée, seule la liste Shas a progressé, cest dire combien Benjamin NETANYAHOU ne repose pas sur une réelle dynamique politique de la part des électeurs israéliens.

Alors que sest-il passé ?

Cest en fait du côté de la gauche que des évolutions peuvent être constatées. La gauche israélienne est en pleine mutation. Yesh Atid, le parti mené par Yaïr LAPID, premier ministre sortant, obtient de très bons scores passant de 13,93 % des voix à 17,79 %, soit près de 4 % daugmentation. Pour lui, lexercice du pouvoir nest pas sanctionné, bien au contraire, et Yaïr LAPID a prouvé aux électeurs sa capacité à gouverner qui lui faisait tant défaut.

En revanche, les partis de gauche traditionnels en payent le prix fort. Les travaillistes, parti historique du pays, ne finissent pas de baisser et passent cette fois-ci de 6,09 % des voix à 3,69 % soit une baisse de près de 2,5 %.

Lextrême gauche de Meretz passe de 4,59 % des voix à 3,16 %, soit en dessous des fatidiques 3,25 % pour pouvoir être représenté à la Knesset.

Enfin, le centre représenté par Benny GANTZ et Gideon SAAR, passe de 11,37 % des voix, si on additionne les résultats des deux listes de 2021, à 9,08 % aujourdhui soit une baisse de plus de 2 %. Le ralliement d’un ancien chef d’état-major, Gaby AZENCOT, n’a pas été d’un grand secours et a accentué le trait « brigade des généraux » de cette liste. À la différence des Yaïr LAPID, Benny GANTZ n’apparait pas comme un potentiel premier ministre et semble cantonné aux problématiques de défense ; en revanche, il est en capacité d’exercer une sorte d’équilibre démocratique.

Le premier gagnant de cette élection en nombre de voix est donc Yaïr LAPID qui sinstalle durablement dans le paysage politique en ayant littéralement « siphonné » les voix du parti travailliste, du Meretz et de Benny GANTZ. Il devient de facto lopposant de Benjamin NETANYAHOU, les autres partis dopposition ne sont plus que des alliés fragilisés car même Avigdor LIEBERMAN, qui représente une partie des voix des nouveaux immigrés provenant de Russie, baisse également en passant de 5,63 % des voix à 4,48 % soit plus de 1 % de moins.

Le deuxième gagnant en termes de dynamique électorale est constitué par les partis arabes. Cette fois si, ils nont pas pu faire liste commune car les différences entre Tal-Hadash, Raam et Balad sont trop importantes, des différences provenant en grande partie de la participation de ces partis à une majorité parlementaire. Pour Raam, le rubicond était défranchit ; pour Tal-Hadash cette participation pouvait senvisager mais c’était inacceptable pour Balad, parti le plus proche de lautorité palestinienne. Cette division a fait que Balad nest plus représenté à la Knesset, en revanche, en termes de dynamique électorale, les partis arabes sont les deuxièmes grands gagnants de ces élections. Raam passe de 3,79 % à 4,07 % des voix. Le fait de participer à une coalition avec les « partis sionistes » a été approuvé par les électeurs. Et si on additionne les voix de Tal Hadash et de Balad qui avaient fait liste commune en 2021, on passe de 4,82 % à 6,66 % soit près de 2 % daugmentation! Comme on peut le constater, la victoire de la droite est en partie trompeuse et la question qui se pose est que va-t-il se passer maintenant?

Une délicate gestion du pouvoir

Au moment où sont écrites ces lignes, les alliés de Benjamin NETANYAHOU ont de plus en plus de demandes qui sont logiques avec leurs idéologies mais qui mettent la société israélienne en porte à faux. Retirer à la cour suprême le pouvoir dannuler des lois non conformes aux lois fondamentales, restreindre la loi du retour, ne pas appliquer l’égalité des devoirs des citoyens en ce qui concerne le service militaire pour éviter les jeunes orthodoxes de le faire… Chaque jour, on assiste à de nouvelles revendications qui ne sont pas acceptables pour la société israélienne.

Si on veut faire un autre décompte que le rapport gauche/droite, on saperçoit que le camp laïc est largement majoritaire en Israël alors que la coalition qui est en train de se construire sera majoritairement composée de religieux. En effet, le camp laïc, sans prendre en compte les partis arabes qui ne le sont pas vraiment, obtient 61,61 % des voix contre 25 % pour le camp religieux. Benjamin NETANYAHOU va devoir en tenir compte car les exigences des sionistes religieux et des partis orthodoxes ne sont pas partagées par les Israéliens et ces contradictions risquent de bloquer la société israélienne.

De plus, lirruption de Itamar BEN-GVIR pose aussi un autre problème; ancien adepte du Rabin KAHANA, il se distingue npar ses violences verbales et physiques. BEN-GVIR jusquen 2021 était à la tête dun vrai parti dextrême droite qui obtenait moins de 2 % des voix. Benjamin NETANYAHOU qui aime créer ses propres « golems », a demandé en 2021 à Bezalel SMOTRICH de faire alliance avec BEN-GVIR pour être sûr que sa liste passe le cap des 3,25 % des voix. Ainsi, Benjamin NETANYAHOU amis en orbite BEN-GVIR qui devient député. Un peu à limage des Le PEN en France, les médias relaient largement les diatribes du trublion de la Knesset et ce dernier simpose dans le paysage politique israélien. Pour les dernières élections, Bezalel SMOTRICH ne veut plus de cette alliance mais Benjamin NETANYA l’a imposé de nouveau et la bombe à retardement que représente Itamar BEN-GVIR est maintenant amorcée car sa liste avec SMOTRICH, en étant la seule à représenter vraiment le sionisme religieux, a obtenu le plein des voix de son camp, sans pour autant que ces électeurs soutiennent les positions extrémistes de BEN-GVIR. Les prochaines semaines nous diront jusquoù est prêt à aller Benjamin NETANYHOU pour composer son gouvernement mais il devra prendre en compte la réalité politique du pays et pas seulement celui de la Knesset, car le risque dune crise, non pas politique cette fois-ci mais sociétale, pourrait bien devenir réel.

Alors que ce mardi la nouvelle Knesset siège pour la première fois, le schéma définitif de la coalition n’est pas encore bouclé et des suprises peuvent encore se produire. Un fait est largement passé inaperçu, aussi bien Benny GANTZ qu’Avigdor LIEBERMAN n’ont proposé aucun nom de Premier ministre au Président de l’État et “se sont mis en réserve”. Même si, pour le moment, Benjamin NETANYAHOU fait tout pour ne pas accorder d’importance à ce signal, on peut lui faire confiance pour s’en servir aux fins de calmer ses impétueux partenaires.

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