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Islam et christianisme : pourquoi il n’y a de dialogue fécond entre religions que si l’on a le courage d’être “clair et vrai”
©Reuters

Bonnes feuilles

Pour remédier à cette carence qui nous empêche d'avancer, François Jourdan analyse ici les postulats essentiels de l'islam et du christianisme dans leur cohérence propre. Cette mise à plat a le mérite d'ouvrir la porte à la compréhension mutuelle et donc au dialogue. Extrait de "Islam et Christianisme, comprendre les différences de fond", publié aux éditions du Toucan (1/2).

François Jourdan

François Jourdan

Le père François Jourdan est prêtre eudiste, islamologue, docteur en théologie, en histoire des religions et en anthropologie religieuse. Il a enseigné la mystique islamique à l'Institut Pontifical d'Études Arabes et islamiques de Rome (1994-1998), et l'islamologie pendant 15 ans à l'Institut Catholique de Paris, et 10 ans à l'École Cathédrale. Il fut délégué du diocèse de Paris pour les relations avec l'islam (1998-2008).

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Nous avons donc pris la liberté d’accepter de reconnaître que les mêmes mots n’ont pas le même sens, et cette reconnaissance devrait être faite ensemble.

Le mot Alliance, d’abord. L’Alliance, en précisant « biblique », est l’héritage et le coeur des religions bibliques juive et chrétienne. Que l’islam refuse la Bible ne me gêne nullement pour dialoguer. Le dialogue ne suppose pas d’être d’accord, comme si souvent on l’imagine. La vie humaine nous montre fréquemment, en famille, dans la vie professionnelle ou religieuse, que le dialogue n’est pas d’être ou de devenir d’accord, sinon d’accord sur nos désaccords ! La vie nous oblige à apprendre à vivre dans les différences et même les désaccords. C’est justement cela la tolérance. Mgr Pierre Claverie mettait en garde : « Nous avons des bases communes. C’est FAUX. Complètement faux. Chacun met autre chose derrière ces mots 1. » Le dialogue est un compagnonnage de vie dans une compréhension plus grande, en trouvant les voies nécessaires pour être ensemble. Un aspect essentiel de ce chemin, c’est d’être clair et vrai : alors la confiance peut s’installer. La vérité est réaliste. Je ne suis pas sûr que nous soyons prêts.

>>>>>>>>>>>>>>>> A lire également : Pourquoi comprendre que l’islam n’est pas biblique peut libérer le dialogue avec le christianisme

Ainsi, qu’Abraham ne nous soit pas vraiment commun n’est pas une difficulté si nous en sommes conscients ensemble. Mais cela devient bloquant si, à toute force, nous maintenons qu’Abraham nous est fondamentalement commun, alors qu’il s’avère que ce n’est pas vrai. La Bible ne nous est pas commune, et ce n’est pas un problème si nous le reconnaissons ensemble. Mais c’est bloquant si nous voulons à toute force faire que « Coran et Bible ont le même message » selon le mot d’une catholique responsable diocésaine aux relations avec l’islam. Il nous faut oser renoncer à plaire à bon compte. Il nous faut oser comprendre que Dieu peut être déroutant – sinon il ne serait pas Dieu ! Il nous faut oser risquer d’avoir à se pardonner pour les impairs ou les faux pas que l’on peut commettre dans nos tâtonnements de dialogue vrai. Ce courage suppose une liberté. Le dialogue « interreligieux » exemplaire du Christ avec la Samaritaine montre cette audace et cette liberté : un juif avec une femme seule (Jn 4, 27), de plus une samaritaine en temps de haine entre juifs et samaritains (Jn 4, 9), à qui il ne cache ni la Trinité en lui parlant du Père (v. 21), de l’Esprit (23) et en révélant qu’il est le Messie (26) ; ni que le salut vient des juifs (22) ; ni que le culte n’est pas lié au temple samaritain ou juif (21) ; ni enfin qu’il est le Sauveur du monde (42). C’est peut-être cette liberté qui manque le plus au dialogue interreligieux, d’où sa maladie de dialogue de salon. Ainsi des chrétiens du dialogue qui se prétendent ouverts et intéressés par les modernisants de l’islam préfèrent se taire à leur sujet devant les musulmans religieux traditionnels, ou même confortent ces derniers comme l’a montré l’affaire de la loi française contre le voile du visage des femmes, que les modernisants refusent. Comment des gens ouverts ont-ils pu cautionner un tel mépris pour la femme dans notre société ? Naïveté de bon aloi pour ne pas se compromettre, dialogue oblige. Un jeu installé !

Nous avons vu aussi que, dans la relation au divin, l’Alliance était une solution très originale que les hommes ont bien du mal à admettre, ce qui est le signe qu’elle ne vient pas d’eux. L’Alliance est la clé de la vraie liberté et du respect, de l’autonomie avec Dieu, de l’altérité respectée et donc de l’amour possible. Cette cohérence est foncière dans la doctrine chrétienne. Rappelons-nous Blaise Pascal : « Grandeur de l’homme avec Dieu, misère de l’homme sans Dieu. » « Avec Dieu » sous-entend magnifiquement ici « l’Alliance ». La vraie grandeur de Dieu n’est pas écrasante car elle est aimante. C’est là sa vraie grandeur admirablement déployée dans « l’histoire du salut » qui témoigne de l’investissement très osé de Dieu pour les humains : sa solidarité jusqu’au bout. C’est pourquoi la lettre n’est qu’un support pour l’esprit, ce que les modernisants de l’islam voudraient bien déployer mais que la doctrine islamique ne permet que très difficilement. Or c’est la dynamique biblique accomplie dans le Christ depuis longtemps. Elle n’apparaît pas dans le Coran qui montre un tout autre visage de Dieu. Il nous faut accepter ces différences avec compétence et le courage de se dire que nous ne sommes pas pareils, et que ce n’est pas une offense que de le reconnaître, mais au contraire le respect de nos identités réelles. Le dialogue est alors possible.

Extrait de "Islam et Christianisme, comprendre les différences de fond", publié aux éditions du Toucan, 2015. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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