Iran : voilà pourquoi la France devrait soutenir l’opposition aux mollahs<!-- --> | Atlantico.fr
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Le drapeau Iranien, photo d'illustration AFP
Le drapeau Iranien, photo d'illustration AFP
©ATTA KENARE / AFP

Le rôle des démocraties occidentales

Alors qu’approche le triste anniversaire de la mort de Mahsa Amini, voilà le cri du cœur lancé par la journaliste d’investigation iranienne Sepideh Pooraghaiee.

Sepideh Pooraghaiee

Sepideh Pooraghaiee

Journaliste d’investigation et activiste iranienne travaillant pour des titres de la presse digitale internationale, Sepideh Pooraghaiee est une spécialiste reconnue de l’Iran et du Moyen-Orient. Résidant en France depuis quelques années, après avoir dû fuir la République islamique, elle milite pour une coalition des oppositions démocratiques iraniennes, qui pourrait être soutenue par la France et les grandes démocraties occidentales. Alors que le 16 septembre prochain, l’Iran s’apprête à célébrer le premier anniversaire de la révolution des femmes, elle juge qu’il y a urgence, et que le peuple iranien est prêt à se mettre en ordre de marche.

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Le 16 septembre 2022, une tragédie secouait l’Iran : Mahsa Amini, une jeune fille, était battue à mort par la police des mœurs de la République islamique d'Iran. Cet événement dramatique transforma le pays en théâtre de l'un des plus grands soulèvements populaires contre la République islamique depuis 45 ans ayant pour slogan : "Femme vie liberté". Cette révolte sans précédent a particulièrement secoué l'Iran, qui se trouvait déjà dans une situation économique et politique déplorable malgré ses vastes réserves de pétrole et de gaz. 

Selon l'économiste proche du gouvernement, Hossein Raghfar, près de la moitié de la population iranienne vit en effet en dessous du seuil de pauvreté. Le pays détient le triste record du plus grand nombre d'exécutions au monde, et au cours des quatre dernières décennies, près de huit millions d'Iraniens, la plupart étant éduqués, ont été contraints de quitter leur patrie. Les droits des femmes sont également gravement compromis.

Le soulèvement des jeunes, qui a éclaté en septembre dernier, suite au meurtre de Mahsa Amini, a ainsi été l'étincelle qui a ravivé les braises de l’opposition à l'oppression et l'humiliation des femmes après tant d’années.

Durant les mois de résistance populaire qui ont suivi, plus de sept cents jeunes Iraniennes et Iraniens ont perdu la vie dans les rues, victimes des agents du régime. La plupart d'entre eux étaient des adolescents, voire des enfants, comme Kian Pirflek, qui n'avait que dix ans. Près de 20 000 personnes ont également été arrêtées et incarcérées dans des prisons ou le viol et la torture sont le quotidien des détenus.

Malgré la répression, ce soulèvement a vu la participation de nombreux artistes, athlètes, étudiants, enseignants, universitaires, et même d'écoliers. Dans les rues, tous ces manifestants appelaient à la liberté et à la fin de la République islamique. Dans la foulée, de nombreux musiciens ont composé des chants révolutionnaires pour soutenir ce mouvement, certains devenant célèbres dans le monde entier.

Ce soulèvement révolutionnaire (car il s’agit bien d’une révolution), qui a émergé au cœur du Moyen-Orient avec pour devise la défense des droits des femmes et de leur liberté, a ainsi reçu un soutien massif de la part de politiciens, artistes, penseurs et écrivains du monde entier, qui ont mesuré le courage des manifestants et le sens de leur engagement.

L’Iran, un pays à part au Moyen-Orient

L'Iran est un pays à part au Moyen-Orient. En effet, contrairement à d'autres nations de la région, les Iraniens, à travers leurs positionnements et leurs slogans, n'expriment aucun sentiment anti-occidental ou anti-israélien. Bien au contraire. Ouverts sur le monde, avides de paix et d’échanges culturels, ils manifestent sans cesse leur opposition aux manifestations anti-occidentales de leur gouvernement, tenu depuis 1979 par les islamistes les plus rétrogrades. Pourtant, l'Europe et l'Amérique ont jusqu'à présent sous-estimé l'importance de ce vaste potentiel de protestation, alors que la révolte de Mahsa a mis en évidence le fait que ce potentiel considérable constitue la plus grande faiblesse du régime. 

La question qui se doit donc d’être posée par les démocraties occidentales est donc : comment tirer parti de cette situation ?

Bien sûr, certains analystes et diplomates occidentaux regrettent encore la décision de Trump de s’être retiré de l'accord sur le nucléaire (JCPOA) en 2018, cherchant le moyen de renouer le dialogue avec l’Iran. Cependant, ils oublient que durant la période où l'accord JCPOA était en vigueur, celui-ci n'a pas entraîné de changement significatif dans la politique étrangère agressive de la République islamique. Au contraire, le régime iranien a continué à déstabiliser la région, réprimant, torturant et exécutant des innocents à tour de bras. Il faut d’ailleurs se rappeler qu’Immédiatement après la mise en œuvre de l'accord JCPOA, les dirigeants de la République islamique, notamment Ali Khamenei, ont intensifié leurs discours anti-occidentaux et anti-américains. Dans le même temps, le Corps des Gardiens de la Révolution islamique (CGRI) a par ailleurs mené des essais de missiles provocateurs, appelant plus que jamais à la destruction d'Israël. Il est donc clair que cet accord n'a pas incité les mollahs à abandonner leur doctrine mortifère, qui repose sur la création de crises avec l'Occident. Sur la base d’analyses et de preuves largement diffusées dans la presse internationale, l’on sait aussi que le régime islamique a utilisé les fonds débloqués par le JCPOA pour étendre ses campagnes terroristes et faire progresser son programme nucléaire, de missiles et de drones. En réalité, l'argent résultant du JCPOA a alimenté des arsenaux aujourd'hui entre les mains de dictateurs dangereux tels Poutine, Bachar al-Assad, et de groupes extrémistes et fondamentalistes en Irak, au Liban, en Palestine, ou encore au Yémen. À titre d'exemple, en 2017, avant que Trump se retire du JCPOA, le budget de l'organisation terroriste du Corps des Gardiens de la Révolution islamique (CGRI) avait augmenté de 42 %, alors même que le pays était aux mains du soi-disant modéré Hassan Rouhani ! Avec ces ressources, le CGRI a pu soutenir financièrement le Hezbollah, le Hamas, les Houthis, les milices radicales en Irak, et même les talibans en Afghanistan. En somme, l'accord du JCPOA s'est révélé être un cadeau pour le Corps des Gardiens de la Révolution, et non pour le peuple iranien. Il s’est aussi révélé être une chimère pour l’Occident, incapable d’endiguer la politique de terreur des Mollahs, qui détiennent d’ailleurs à ce jour près d’une vingtaine d’otages occidentaux.

Pourquoi la France doit soutenir les oppositions démocratiques iraniennes

La France joue un rôle central dans la politique étrangère de l'Union européenne. En ce sens, ce grand pays qui fut longtemps un ami et un allié précieux de l’Iran peut aider à mettre un terme aux expériences amères et illusoires imposées par le régime des mollahs. Elle a tout à y gagner, cela d’autant plus que les jeunes Iraniens en quête de démocratie et de liberté, épris de la patrie des Lumières et des Droits de l’Homme, sauront s’en souvenir. Mais sa diplomatie doit pour cela sortir de ses vieux schémas et ne plus tomber dans le piège du double discours dont abusent les lobbies du régime iranien qui exercent depuis 45 ans une influence considérable sur les institutions décisionnelles occidentales. Elle doit aussi prendre conscience que la recherche de gains économiques, modestes à court terme, a parfois brouillé sa vision dans sa relation avec la République islamique, et qu’il est temps de changer de logiciel.

Plus généralement, la France et les Occidentaux doivent réaliser que des négociations tactiques en position de faiblesse, limitées aux seuls sujets nucléaires et aux otages détenus par le régime, ne modifieront jamais la doctrine politique du gouvernement iranien. Dans ses discours au cours des dernières décennies, Khamenei a d’ailleurs clairement exprimé son opposition à tout compromis à long terme avec l'Occident. Rien de surprenant, puisque la politique stratégique du régime iranien repose sur trois principes fondamentaux :

1.  La persécution et l'oppression continues des femmes, ainsi que l'imposition du hijab obligatoire.

2.  La création de crises à l'échelle régionale et mondiale pour lutter contre les valeurs libérales par le biais de la propagande et d'activités militaires destructrices.

3.  L'incitation aux conflits religieux entre les chiites et les sunnites dans la région du Moyen-Orient.

L'objectif de Khamenei consiste dans les faits à maintenir les rapports entre la République islamique et l'Occident dans une zone grise. En d'autres termes, il utilise les négociations pour tester la patience des responsables occidentaux et américains face au comportement toujours hostile de son régime à leur encontre. Mais si la France et l'Occident montrent clairement à la République islamique qu’ils n’entendent plus être dupes de son jeu, de nombreux problèmes pourront alors être résolus.

En réalité, l’occident doit surtout prendre conscience que l' « arme » la plus puissante qui pourrait forcer la République islamique à abdiquer est la volonté sans faille du peuple iranien de mettre fin à son régime brutal. Cette « arme », si elle est soutenue par la France et les pays occidentaux, pourrait alors constituer une menace réelle pour la survie du régime.

Aiguiser les armes du peuple ne consiste cependant pas seulement en des paroles de sympathie et des poignées de main, mais en un soutien concret, qui va des sanctions contre le Corps des Gardiens de la Révolution à des actions ciblées. Car aujourd'hui, la grande majorité du peuple iranien aspire à renverser ce régime par tous les moyens possibles. Sa seule ligne rouge est de préserver les frontières historiques de l'Iran. Et contrairement à qui est souvent dit dans certains médias occidentaux, des actions militaires très ciblées contre le régime des mollahs dans le golfe Persique, voire à l'intérieur de l'Iran, représentent l'un des moyens susceptibles de semer une profonde panique parmi ses dirigeants. Il ne s’agit évidemment pas de déclencher une guerre que personne ne souhaite. Mais si des frappes très circonscrites, rapides et décisives visaient par exemple les centres du Corps des Gardiens de la Révolution islamique (CGRI) et les institutions de la sécurité iraniennes, celles-ci seraient accueillies favorablement par la majorité de la population, le Corps des Gardiens de la Révolution Islamique et les organismes de sécurité gouvernementaux comptant parmi les institutions les plus méprisées en Iran. Et du fait de sa situation intérieure très instable, le régime, malgré l’étendue de son arsenal, n'aurait pas la capacité de répondre de manière significative.

Dans ce contexte, la France pourrait aider au rassemblement des oppositions démocratiques iraniennes qui partagent les mêmes valeurs universelles qu’elles, en soutenant et en aidant par exemple à la création d’une plateforme de dialogue.

Une telle initiative aurait un impact considérable à travers tout l’Iran. En parallèle, le maintien des sanctions, ainsi que l'utilisation de la pression diplomatique, pourraient faire office de leviers qui obligeraient le régime à faire des compromis sérieux.  À ce titre, l'anniversaire de la révolte de "Mahsa", le 16 septembre prochain, offre une opportunité historique - mais bien éphémère - à la France et aux démocraties occidentales pour jouer un tel rôle de soutien. Mais elles doivent savoir que les Iraniens attendent un geste fort, un geste historique et symbolique, qui pourrait être le fait du président français, la France tenant une place particulière dans l’histoire et le cœur des Iraniens.

Bien sûr, cela ne peut se faire qu’à la condition que les leaders des différents courants de l’opposition démocratique iranienne, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays, soient prêts à la cohésion et fassent abstraction de leurs intérêts personnels. Car la France, bien sûr, ne peut aider que ceux qui s’en donnent les moyens. La bonne nouvelle, c’est que ces derniers - qu’ils soient apolitiques, monarchistes, de gauche, libéraux, Kurdes ou Baloutches - en ont conscience et que, dans leur majorité, ils y sont prêts. 

Il faut, dès lors, leur faire confiance. Car certains du soutien de la France, qui pourrait ouvrir la voie à celui des grandes démocraties occidentales, ils pourraient bien accélérer le cours de l’histoire iranienne, la République islamique étant de toutes façons vouée à sombrer tôt ou tard du fait de la multiplicité de crises auxquelles elle fait face sans être capable d’une autre réponse que celle de la violence.

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