Iran : plongée au cœur du système de blanchiment d’argent des mollahs<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Razavi publie "La Face cachée des Mollahs Le livre noir de la République islamique d'Iran" aux éditions du Cerf.
Emmanuel Razavi publie "La Face cachée des Mollahs Le livre noir de la République islamique d'Iran" aux éditions du Cerf.
©ATTA KENARE / AFP

Bonnes feuilles

Emmanuel Razavi publie « La Face cachée des Mollahs Le livre noir de la République islamique d’Iran » aux éditions du Cerf. Et si l'Iran était aujourd'hui la première organisation criminelle au monde ? En quoi les mollahs forment-ils une véritable mafia ? Des slogans de la révolution khomeiniste aux circuits du blanchiment d'argent sale, Emmanuel Razavi met au jour la face cachée des mollahs et expose les rouages de leur système mortifère. Extrait 1/2.

Emmanuel Razavi

Emmanuel Razavi est Grand reporter, spécialiste du Moyen-Orient. Diplômé de sciences Politiques, il collabore avec les rédactions de Paris Match, Politique Internationale, Le Spectacle du Monde, Franc-Tireur et a réalisé plusieurs Grands reportages et documentaires d’actualités pour Arte, France 3, M6, Planète...  Il a notamment vécu et travaillé en tant que journaliste en Afghanistan, dans le Golfe persique, en Espagne …

Il s’est fait remarquer pour ses grands reportages sur les Talibans (Paris Match), les Jihadistes d’Al Qaida (M6), l’organisation égyptienne des Frères Musulmans (Le Figaro Magazine, Arte).

Depuis le mois de septembre 2022, il a réalisé plusieurs reportages sur la vague de contestation qui traverse l’Iran. Il est notamment l'auteur d'un scoop sur l’or caché des Gardiens de la révolution publié par Paris Match, ainsi que d’un grand reportage sur les Kurdes Iraniennes qui font la guerre aux Mollahs, également publié Paris Match. Auteur de plusieurs documentaires et livres sur le Moyen-Orient, il a publié le 15 juin 2023 un nouveau roman avec Chems Akrouf, « Les coalitions de l’ombre » (éditions Sixièmes), qui traite de la guerre secrète menée par le Corps des Gardiens de la Révolution contre les grandes démocraties. Il aussi publié en 2023 « les guerriers oubliés, histoire des Indiens dans l’armée américaine » (L’Artilleur).

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C’est au cœur de l’hiver, vers deux heures du matin, que je vais recevoir, via une messagerie cryptée, un message d’Hamad, à qui j’avais demandé de me mettre en relation avec des gens proches du régime.

– Cher Emmanuel, la personne dont je t’ai parlé est d’accord pour te donner des informations. Elle connaît ton nom et a vu plusieurs de tes articles. Elle a été témoin d’opérations de blanchiment organisées par des hauts responsables iraniens. Elle sait beaucoup de choses.

– Des hauts responsables ? Tu parles de gens au gouvernement ou des pasdarans ?

– Les deux.

– Quand puis-je lui parler ?

– Je ne sais pas.

– Je comprends que ce soit compliqué…

– Pas compliqué. Juste dangereux. Je vais te communiquer un numéro de téléphone sur lequel tu lui enverras un message. Ensuite, il te donnera un autre numéro qu’il utilisera avec un VPN10 pour te parler.

– Il ? C’est un homme ?

– Oui.

– Tu es sûr qu’il est fiable ?

– Oui. Ses informations sont très fiables. Mais fais attention. Utilise aussi un VPN. Il prend des risques énormes en te parlant.

– Je ferai attention. Merci, cher Hamad.

– Je t’en prie. Mais encore une fois, tu dois rester très discret. S’il se fait prendre par les services de sécurité parce qu’il t’a parlé, il est mort.

– Compris. Je serai prudent. C’est lui qui décidera de ce qu’il veut me dire, et de ce qu’il me donne le droit de publier.

Les voies du journalisme sont impénétrables. Car le hasard fera qu’une autre de mes sources œuvrant au sein de l’opposition en exil et en laquelle j’ai une confiance totale me donnera également, quelques jours plus tard, le contact de ce mystérieux informateur.

Je vais commencer à échanger presque quotidiennement avec mon nouvel ami, dont le nom de code est « Hossein ». Utilisant une messagerie cryptée et un VPN, il m’imposera de le contacter sur un numéro dont l’opérateur est enregistré à l’extérieur de l’Iran. Excepté en de rares occasions, nous nous parlerons le plus souvent le soir, voire en pleine nuit, selon l’horaire qui lui convient. Charge à moi de lui poser des questions courtes, claires et précises, il prendra quant à lui le temps qu’il faut pour me répondre de la façon la plus détaillée possible.

Hossein, il est important de le préciser, n’est pas n’importe qui. Se présentant comme « expert en relations internationales », il s’est spécialisé depuis plusieurs années dans l’étude de la corruption iranienne. Bien que je le sache et que j’aie pu vérifier de nombreuses informations concernant son parcours et sa famille, il m’est difficile de révéler à quel milieu social il appartient ou dans quelle partie de l’Iran il vit, car cela permettrait aux services secrets iraniens de l’identifier, de l’arrêter et de l’éliminer.

Dès notre premier entretien, le ton est donné : « On est tous dans le même bateau. On veut la liberté. Pour cela, il faut que des gens de l’intérieur vous racontent ce qui se passe vraiment ici, car les médias français ne savent pas tout. Moi, je connais le système par cœur. J’ai vu de près comment il fonctionnait. Avec ce que je vais vous révéler, vous allez pouvoir informer le public en France de choses que personne n’a jamais racontées. Je sais ce que je fais. Les Iraniens prennent des risques dans la rue. Je dois aussi faire mon devoir. De toute façon, je n’ai pas le choix. »

Très vite, je vais me rendre compte que mes contacts n’ont pas exagéré les qualités d’Hossein : il connaît le moindre rouage de la mécanique mise en place par les gardiens de la révolution pour blanchir les bénéfices issus de leurs ventes d’armes et du trafic de drogue. Et pour cause : ayant travaillé pour eux, il a été le témoin de leurs actions.

Selon lui, les pasdarans utilisent une procédure officieuse, qu’ils appellent le U-turn. Voici ce qu’il explique : « La première étape consiste à envoyer l’or ou l’argent des trafics vers un pays frontalier comme la Turquie, dont le passage est facilité par des complicités locales. Une fois converti en liquidités par des intermédiaires, le montant global est transformé en devises dans un bureau de change d’Istanbul contrôlé par des Iraniens, avant d’être envoyé sur des comptes en Suède d’où il repart pour la Suisse, puis le Canada. Le bénéficiaire final de ces transferts est souvent le fils, la fille ou le parent d’un dignitaire iranien. Ce système tortueux permet de brouiller les pistes, de dissimuler l’origine des fonds. Ceux qui s’enrichissent ainsi s’acquittent ensuite d’une obole au régime islamique correspondant à 20 % de leurs gains. Celle-ci est rétrocédée à des fondations islamiques chiites implantées aux États-Unis, notamment au Texas, dans la région de Houston. Mais il y a d’autres façons d’opérer, qui consistent à faire entrer des dollars en Iran, bien que ce soit interdit. Par exemple, chaque année pour la fête d’Arbaïn, des milliers de gens se rendent en pèlerinage en Irak, à pied. Là-bas, certains se présentent dans des bureaux de change affilés au régime iranien et reçoivent du cash, parfois plusieurs milliers de dollars. Ils mettent cet argent dans leur sac et le rapportent le plus simplement du monde, en contournant les sanctions. C’est d’autant plus facile qu’ordre a été donné aux gardes-frontières de fermer les yeux. Des personnalités de premier ordre sont impliquées dans toutes ces opérations blanchiment, comme le général Gholamreza Baghbani de la Force Al-Qods. Enfin, les gardiens placent aussi de l’argent de la drogue en Italie. En 2020, les services italiens ont d’ailleurs capturé un cargo qui transportait du captagon pour le compte du Hezbollah. »

Pour Hossein, il n’y a aucun doute : il n’y a pas que les seconds couteaux qui ont les mains sales. Les plus hauts dirigeants sont impliqués dans les opérations de blanchi‑ ment, à l’instar de l’ancien président de la République islamique, Mahmoud Ahmadinejad. Il raconte : « Aujourd’hui encore, il a la main sur l’un de ces bureaux de change en Turquie, à Istanbul, qui est dirigé par un homme de paille. Il s’est appliqué à toujours donner l’image d’un homme simple, mais il a accumulé une fortune importante. Que le Guide suprême, Ali Khamenei, n’ait jamais cherché à l’arrêter est bien la preuve qu’il trempe dans ces combines. »

Khamenei, qui cultive l’image d’un homme simple et pieux, règne d’ailleurs lui-même sur un véritable empire industriel, possédant de nombreux actifs immobiliers. Certains résulteraient de la spoliation des biens de milliers de familles au lendemain de la révolution. Le montant des avoirs sur lesquels il a la main est ainsi estimé entre 95 et 200 milliards de dollars !

Via une fondation dénommée Setad, présente dans tous les secteurs de l’économie iranienne, il détiendrait des dizaines de sociétés. Setad est l’interlocutrice incontournable des entreprises étrangères désireuses d’investir en Iran, et ses flux financiers sont totalement opaques. La loi iranienne exempte en effet le Guide de la révolution d’avoir à rendre des comptes. Hossein insiste : « L’argent que les mollahs et les gardiens de la révolution ont amassé depuis quarante-cinq ans est leur assurance-vie au cas où le régime viendrait à tomber. Ils agissent comme les nazis qui ont caché leur argent à l’étranger à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Dit comme cela, ça peut paraître choquant, mais c’est exactement le même objectif. Si la situation change en Iran, ils ne pourront pas rester. Ils savent qu’ils seront jugés. Ils ont donc déjà tout prévu. »

Ce que dit Hossein m’apparaît d’autant plus plausible que, pour étayer ses affirmations, il m’adressera un schéma extrêmement précis expliquant le système du U-turn (voir annexe en fin d’ouvrage), et qu’il me fera parvenir l’adresse, avec photo à l’appui, du bureau de change situé à Istanbul derrière lequel se trouve Mahmoud Ahmadinejad.

S’agissant du schéma (il en existe plusieurs variantes), j’ai pu le montrer à deux experts du renseignement qui l’ont jugé « parfaitement crédible » et le voient correspondre à des « pratiques connues ». Et en ce qui concerne le général Gholamreza Baghbani, j’ai pu aisément vérifier, via une source du département d’État américain, que ce dernier a bien été accusé de trafic de drogue et d’armes, et fait l’objet d’un avis de recherche.

Lorsque j’interroge Hossein sur la façon dont il a obtenu ses renseignements, il me répond simplement : « J’ai tout vu de mes propres yeux. Avec un de mes amis, j’ai travaillé pour ces gens-là. Je me suis rendu sur place. J’ai été choqué par ce qu’ils faisaient, et trouvé cela inacceptable. Alors j’ai décidé de m’opposer à eux. »

Hossein, je vais le découvrir tout au long de nos conversations, se positionne comme un lanceur d’alerte qui veut voir les choses changer dans son pays dont « la déchéance a été provoquée par les islamistes ». Les faits lui donnent d’ailleurs raison. Au classement des pays corrompus, publié par l’ONG Transparency International, l’Iran se classait, en 2021, 150e sur 180 États.

Mais Hossein n’est pas dupe : « D’après mes estimations, les pasdarans ont placé plus de cent milliards de dollars à travers la planète, majoritairement issus de ces trafics. Cela correspond peu ou prou aux avoirs voir gelés par la communauté internationale. Tout cela, je pense que les services de renseignement occidentaux le savent en partie. La question, c’est pourquoi ils ont laissé faire. » Pour répondre à cette question, j’ai donc à nouveau interrogé « Charles », l’ancien espion français qui a traqué les gardiens de la révolution. Selon lui, si les États occidentaux ferment les yeux, c’est « pour des raisons poli‑ tiques et diplomatiques ». Il confirme d’ailleurs les propos d’Hossein, en fournissant une explication intéressante sur les raisons d’un tel laisser-faire : « Nous savons beaucoup de choses depuis longtemps, mais jusqu’alors, personne ne voulait en entendre parler. Il ne fallait pas heurter les dirigeants d’un régime avec lequel nos pays faisaient des affaires, ni mettre en péril les accords sur le nucléaire. Or, les gardiens de la révolution, qui aspirent à une certaine légitimité aux yeux de la communauté internationale, étaient clés dans les négociations de 2015. Aujourd’hui le traité est enterré, alors des choses sortent. »

Mon interlocuteur – comme d’autres membres de la communauté du renseignement – me confirmera aussi que les gardiens de la révolution et le Hezbollah ont étendu leurs réseaux mafieux jusqu’en France.

Ainsi, au mois de novembre 2018, Mohamad Noureddine, un banquier libanais propriétaire d’un bureau de change à Beyrouth, qui avait été arrêté en France en jan‑ vier 2016, était jugé avec une quinzaine de personnes pour avoir blanchi l’argent de narcotrafiquants colombiens en lien avec la milice libanaise et son parrain iranien. Condamné à sept ans de prison, Noureddine et ses complices avaient été « repérés » par des agents de la DEA – l’agence antidrogue américaine – qui avaient placé sur écoute plusieurs membres des cartels. Une conversation téléphonique entre un trafiquant de cocaïne colombien et un individu lié au Hezbollah les avait interpellé, et ils avaient ensuite mis à jour les liens entre les marchands de drogue et la nébuleuse terroriste, laquelle remontait jusqu’à Téhéran. Les policiers américains avaient ensuite partagé ces informations avec leurs homologues français, afin qu’ils puissent monter une opération dans la capitale française pour les appréhender.

Car à Paris, les « blanchisseurs » achetaient des montres – Patek Philippe et Rolex – et des voitures de luxe qu’ils exportaient ensuite vers le Liban et en Afrique de l’Ouest où ils les revendaient, avant de reverser une partie de leurs bénéfices en cash aux cartels, prélevant au passage leur commission, « probablement pour financer la branche armée du Hezbollah qui recevait moins de subsides directs du gouvernement iranien depuis une dizaine d’années, et se voyait donc contrainte de trouver des sources de financement ailleurs. Bien sûr, tout cela se faisait avec l’aval et le soutien logistique des Iraniens », selon les propos de l’un des enquêteurs proches du dossier. Les fonds, d’après les policiers, étaient estimés à plusieurs dizaines de millions d’euros.

S’agissant de la position des autorités françaises quant à cette opération, il est à noter qu’en janvier 2016, lors de la visite à Paris du président iranien Hassan Rohani, François Hollande avait demandé à ce que soit annulée la conférence de presse organisée par le ministère de l’Intérieur pour « célébrer » la réussite de l’opération menée par la police. Le Président français ne voulait en effet pas faire montre d’arrogance vis-à-vis de son homologue iranien, protecteur historique du Hezbollah. Il préféra saluer, en sa présence, « une coopération de très haut niveau entre la France et l’Iran »… Où comment la France, une fois de plus, s’agenouillait devant les mollahs, en toute connaissance de cause.

Emmanuel Razavi publie "La Face cachée des Mollahs Le livre noir de la République islamique d'Iran" aux éditions du Cerf

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