Interdire le Front national ? Ce serait une provocation envers 6,4 millions de Français<!-- --> | Atlantico.fr
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"Personne ne pense sérieusement aujourd’hui que le Front national vise à la restauration de la monarchie ou à l’instauration d’une dictature de salut public."
"Personne ne pense sérieusement aujourd’hui que le Front national vise à la restauration de la monarchie ou à l’instauration d’une dictature de salut public."
©Reuters

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Anti-républicain ? Anti-démocratique ? Le parti des Le Pen est au centre des attentions après les 17,9% récoltés par Marine Le Pen au 1er tour. Pourtant, dans les faits, difficile d'établir précisément en quoi le FN ne respecterait pas la République.

Jean-Yves Camus

Jean-Yves Camus

Chercheur associé à l'Iris, Jean-Yves Camus est un spécialiste reconnu des questions liées aux nationalismes européens et de l'extrême-droite. Il est directeur de l'Observatoire des radicalités politiques de la Fondation Jean-Jaurès et senior fellow au Centre for the Analysis of the Radical Right (CARR)

Il a notamment co-publié Les droites extrêmes en Europe (2015, éditions du Seuil).

 

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Atlantico : Le titre de la Une de Libération ce mercredi était composé d'une citation de Nicolas Sarkozy : "Le Pen est compatible avec la République" qu'aurait prononcé le candidat UMP lors de son discours de la veille. Peut-on encore reprocher au FN d’être un parti anti-républicain ou anti-démocratique ?

Jean-Yves Camus : Les parlementaires qui avaient donné le pouvoir au maréchal Pétain étaient des parlementaires républicains qui le faisaient dans le cadre de la légalité la plus républicaine qui soit. Les putschistes de 1961, on l’oublie souvent, ne se sont jamais réclamés de l’instauration d’une dictature militaire. Certains d’entre eux, notamment le général André Zeller, avaient une réputation de « militaires républicains ». La question n’est même plus de savoir s’il y a une aile anti-républicaine au sein du Front national. Il y en avait une à la création, incontestablement. Puis, le temps a fait son œuvre. Les héritiers de Charles Maurras, les nationalistes révolutionnaires, les anciens de la collaboration ont, si je puis dire, "biologiquement" disparu.

La question, c’est de savoir ce que l’on met derrière le mot « République ». Une République au sein de laquelle la préférence nationale serait inscrite dans la Constitution ? Une République où l’inversion des flux migratoires serait inscrite dans la Constitution ? Une République qui empêcherait les musulmans de pratiquer leur culte ? Et je parle bien là des musulmans, pas des islamistes radicaux. Dans tous ces cas, serait-ce encore une République ? Même question si l’on inscrivait dans la Constitution que les communautés sont interdites. D’autant plus que cela serait redondant dans la mesure où la France est « une et indivisible ». Serait-on encore dans une République si le Front national faisait ce qu’il met régulièrement dans son programme, comme le refus des aides aux associations communautaires ? D’autant plus que les associations directement visées sont parfaitement inoffensives et n’ont de communautaire que le nom qu’on leur donne.

Il serait possible d’avoir une République qui en conserve les formes mais au sein de laquelle les principes d’égalité, de non-discrimination, de liberté de culte n’existeraient plus. Mais ce ne serait qu’un simulacre de République. Personne ne pense sérieusement aujourd’hui que le Front national vise à la restauration de la monarchie ou à l’instauration d’une dictature de salut public. Ce n’est pas l’horizon même si l’on peut s’émouvoir des déclarations d’un certain nombre de responsables frontistes comme, il n’y a pas si longtemps, Bruno Gollnisch qui déclarait à des journalistes qu’il n’hésiterait pas à les faire fusiller. On n’a jamais su si c’était de l’humour mal placé ou le fond de sa pensée. C’est une conception un peu brutale de la liberté d’expression.

Peut-on réclamer du Front national de mettre fin à ce type de postures politiques ?

Là aussi, le débat a été tranché. En 1998-1999, une commission d’enquête parlementaire s’est penchée sur une éventuelle dissolution du service d’ordre du Front National, le DPS. Il se trouve que de manière assez providentielle, il y a eu une scission au sein du FN et au sein du DPS lui-même. La commission a conclu à l’absence de péril venant du Front.

Pourtant, la question était déjà biaisée. Il ne s’agissait pas tant de savoir s’il fallait enlever au FN son service d’ordre, mais si le FN était un parti légal ou non. Il y a toujours eu une idée très claire : le principe de liberté de constitution des partis politiques prévaut sur tout sauf lorsqu’ils sont explicitement anti-républicains ou explicitement hostiles à la République et à la Nation. Ce n’était pas le cas du Front national.

De plus, si d’aucuns avaient voulu interdire le FN, il aurait fallu le faire lorsqu’il était groupusculaire. On peut dissoudre un mouvement qui a quelques centaines ou quelques milliers d’adhérents et qui représente 1% des voix. On ne peut pas dissoudre un parti qui en 1998 fait 4,5 millions de voix et 15% à la présidentielle. C’est absurde.

Est-ce à dire que c'est la "taille" du FN qui le protège ? 

Ce qui protège le Front national, c’est surtout le fait que c’est un parti qui s’exprime dans le cadre du processus démocratique et électoral. Si jamais un certain nombre de ses membres, cadres ou militants, commettent des actes délictueux, ce sont eux qui ont une responsabilité individuelle. Ils n’ont à répondre que devant les tribunaux. Jean-Marie Le Pen le premier d’ailleurs.

Dès lors que l’on peut poursuivre les individus qui se mettent en infraction avec la loi, je ne vois pas pourquoi il faudrait aller au-delà. Plus personne ne pense aujourd’hui sérieusement à interdire le Front national. Ce serait une provocation envers les 6,4 millions d’électeurs qui viennent de voter pour Marine Le Pen. Ils se retrouveraient confortés dans la position d’ostracisés qu’ils brandissent régulièrement. Si l’on veut leur remettre l’auréole des martyrs, c’est la meilleure des choses à faire.

Cette position est-elle illégitime ? N’y a-t-il pas aujourd’hui une volonté politique de montrer le Front national du doigt et d’entretenir cette image antirépublicaine que l’on associe encore à ce parti ? Lorsque Benoît Hamon, le porte-parole du PS déclare qu'une partie des électeurs du Front sont xénophobes, par exemple.

Etre xénophobe, ce n’est pas être républicain. C’est un sentiment. Le sentiment qui est puni par la loi, c’est le racisme, qui est légèrement différent.

L’histoire nous prouve qu’il y a des républicains xénophobes. Leur xénophobie est à mon sens moralement condamnable mais cela ne fait pas d’eux des opposants à la République.

Le Front national risque-t-il de continuer à viser directement certaines communautés ou continuera-t-il à rechercher une image plus politiquement correcte ?

Tout dépendra de l’après 6 mai. On sent bien que le Front national mise sur une défaite de Nicolas Sarkozy. Le FN pense que si la droite libérale conservatrice implose, la droite se retrouvera privée d’un leadership qui reste malgré tout réel en la personne de Nicolas Sarkozy. La technique du cordon sanitaire reste de plus d’être rompue, au moins au niveau local. Il y aura enfin des militants déçus de l’UMP à récupérer.

L’intérêt du FN est que Nicolas Sarkozy soit vaincu. Le parti se retrouve d’ailleurs en porte à faux avec son électorat qui reste profondément opposé à la gauche. Cet électorat, par réflexe, vote à droite pour faire barrage à la gauche. C’est une contradiction réelle car elle limite singulièrement les déclarations frontistes sur le « Ni droite, ni gauche » et sur la nécessité de renverser le système. Les électeurs du Front national, s’ils doivent choisir entre la gauche et la droite, préfèrent pour 45 à 60% une solution conservatrice qui n’a rien de révolutionnaire.

Propos recueillis par Romain Mielcarek

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