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Inscription de la déchéance de nationalité et de l’état d’urgence dans la Constitution : la réforme qu’il faudra avoir le courage d’éviter
©Reuters

Révision difficile

Plusieurs sondages ont montré qu'une majorité de Français plébiscitent l'inscription de l'état d'urgence et de la déchéance de nationalité dans la Constitution. Flou juridique et utilité douteuse d'inscrire dans le marbre des mesures existantes sont pourtant des arguments lucides pour y être opposé.

Bertrand Mathieu

Bertrand Mathieu

Bertrand Mathieu est un professeur et juriste français, spécialiste de droit constitutionnel. Il est notamment professeur de droit à Paris-I, membre du Conseil de la magistrature et Président de l'Association française de droit constitutionnel. C'est un ancien membre du Conseil supérieur de la magistrature. Il est Vice président de l’Association internationale de droit constitutionnel. Son dernier ouvrage paru s'intitule "Justice et politique: la déchirure?"  Lextenso 2015.

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Atlantico : Au-delà du coup politique réalisé par François Hollande pour piéger la droite, au-delà de l’aspect moral qui occupe le débat depuis des jours, le principal problème de l’inscription de la déchéance de nationalité et de l’état d’urgence dans la Constitution n’est-il pas finalement juridique ?

Bertrand Mathieu : Le problème est effectivement essentiellement juridique dans le sens où la vraie question est de se demander pourquoi on a recours à la Constitution pour opérer cette déchéance de nationalité. Deux questions se posent principalement : premièrement, est-ce que la déchéance de nationalité est nécessaire et souhaitable ? C’est une question politique, et il revient au Gouvernement et au Parlement d’en décider. Deuxièmement, faut-il passer ou non par la voie constitutionnelle ? De mon point de vue, le passage par la Constitution n’est pas nécessaire car le Conseil constitutionnel ayant déjà admis la déchéance de nationalité pour les binationaux naturalisés, la déchéance de nationalité pour les binationaux nés français ne me semble pas poser problème. Si jamais il y avait un problème, il aurait été toujours temps de réviser la Constitution si le Conseil constitutionnel avait censuré cette disposition. Donc je crois que sur le plan juridique, le recours à la révision constitutionnel n’est pas nécessaire. C’est un choix politique.

Pour ce qui est de l’Etat d’urgence, je peux vous en parler d’autant plus facilement que cette question avait été évoquée par le rapport du comité Balladur, qui avait préparé la révision constitutionnelle de 2008 et dont je faisais partie. Cela faisait l’objet de deux ou trois lignes dans le rapport. L’idée était de dire : à partir du moment où la Constitution traite des questions relatives à l’état de crise, à savoir l’article 16 qui donne les pleins pouvoirs au Président de la République et la question de l’état de siège qui donne le pouvoir à l’armée (article 36), il aurait été logique de traiter de l’état d’urgence dans la Constitution. C’est simplement un souci de cohérence rédactionnelle. Dans notre esprit, cela ne méritait absolument pas en soi une révision de la Constitution. Il peut donc y avoir une pertinence purement rédactionnelle de l’inscrire dans la Constitution. Est-ce que cela justifie une révision constitutionnelle ? De mon point de vue, non. Pourquoi ? Parce que le Conseil constitutionnel a déjà validé dans sa décision de décembre l’essentiel des mesures qui peuvent être prises dans le cadre de l’état d’urgence. Pourquoi alors vouloir l’inscrire dans la Constitution ?

En inscrivant l'état d'urgence et la déchéance de nationalité dans la Constitution, le Gouvernement ne cherche-t-il pas à se protéger en vue d'éventuelles Questions Prioritaires de Constitutionnalité (QPC) soulevées à l'avenir ? Mettre ces mesures dans la Constitution garantirait-il vraiment à François Hollande d'éviter toute contestation d'ordre juridique sur ce sujet ?

Certes, ce qui sera inscrit dans la Constitution sera "protégé" du contrôle de constitutionnalité, et notamment des QPC. On ne peut donc pas considérer que le but est de renforcer les libertés car le contrôle sera réduit. Toutefois, d'un autre côté, le texte constitutionnel aurait pu encadrer la pratique de l'état d'urgence, et donc donner au juge des instruments renforcés de contrôle, ce qui ne semble pas être le cas.

Le préambule de la Constitution fait référence à la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789. Un statut d’apatride créé par le droit français serait-il compatible avec cette déclaration ?

Le vrai problème du statut d’apatride, ce serait qu’il soit incompatible avec les traités internationaux, même si la France n’a pas formellement ratifié la Convention de New-York sur les apatrides en 1961. Quand on révise la Constitution, on peut toujours déroger à des normes constitutionnelles. Ce qui poserait vraiment problème, ce serait d’opérer une révision de la Constitution en sachant en tout état de cause qu’elle est susceptible de porter atteinte à des exigences internationales impératives. Sur un plan pratique, la question se poserait de savoir ce que l’on va faire de ces apatrides. On ne va tout de même pas créer un no man’s land pour les mettre dedans. C’est donc à la fois juridiquement tout à fait contestable, et matériellement on en voit mal la réalisation. Les normes internationales ne priment pas directement sur la Constitution, elles priment sur la loi. On peut imaginer en effet que la Constitution soit contraire à des normes internationales, mais dans ce cas-là on entre dans un imbroglio juridique dans lequel il n’y a pas véritablement de solution. La hiérarchie entre le droit international, le droit européen et le droit constitutionnel est un problème dont les juristes n’ont pas fini de discuter. Raison de plus donc pour ne pas créer une situation juridique absolument insoluble.

N’est-ce pas un mal français de croire qu’on peut régler un problème simplement en l’inscrivant dans la loi ou dans la Constitution ?

Vous avez raison. Le problème, c’est que la loi a été depuis très longtemps victime de ce mécanisme qui conduit à traiter des questions émotionnelles ou des questions d’actualité par la norme législative. Cela a beaucoup contribué à la dévalorisation de la loi. Il serait extrêmement regrettable de faire subir à la Constitution le même traitement. S’il y a nécessité d’une réponse juridique, il faut une réponse juridique. S’il y a nécessité d’une réponse législative, il faut une réponse législative. En tout état de cause, il n’y a dans ce cas-là aucune nécessité de réponse constitutionnelle. La vraie question qu’il faudrait se poser, c’est de savoir s’il ne faudrait pas avoir une réflexion d’ensemble sur le droit de la nationalité. Si cette réflexion aboutissait à un résultat, là on pourrait en effet réfléchir à introduire dans la Constitution une réforme globale du droit de la nationalité. Mais ici, on traite une question tout à fait ponctuelle qui ne concernera que quelques individus dans la Constitution, et selon moi c’est une mauvaise démarche.

Selon un projet de loi transmis au Conseil d’Etat, le Gouvernement souhaiterait renforcer considérablement les pouvoirs du parquet, des préfets et de la police. En d’autres termes, faire passer plusieurs dispositions de l’état d’urgence dans le droit commun (perquisitions nocturnes décidées par les préfets, écoutes téléphoniques et informatiques facilitées et décidées par le procureur et non plus par un juge)…

On sera là dans une situation où le Conseil constitutionnel sera saisi. La jurisprudence du Conseil constitutionnel, c’est de dire qu’il faut trouver un équilibre entre la protection des libertés individuelles dont le juge judiciaire est le garant, et le respect de l’ordre public qui est aussi une condition du maintien des libertés. Il regarde où se situe le curseur entre ces deux exigences. Il est donc très difficile de savoir à l’avance ce qu’il va décider ainsi que le détail des mesures. Cette situation rappelle malgré tout le discours récent du premier président de la Cour de Cassation, se plaignant du transfert au juge administratif de plusieurs compétences qui étaient jusque-là du ressort du juge judiciaire. Or, ce qui relève de la police est soumis au contrôle du juge administratif, qui verrait donc ses compétences très élargies. Pour le procureur, une extension des compétences est peut-être justifiée mais elle relancerait sûrement la question du statut des membres du parquet. Pour ces derniers, un transfert de compétences ne me paraît pas dangereux car ce sont quand même des magistrats formés comme les autres. Pour ce qui est des préfets ou de la police, il est évident qu’il y a potentiellement un danger à décharger l’autorité judiciaire de ces responsabilités. Le gros problème, c’est que l’état d’urgence deviendrait un état de droit commun. Je crois qu’il serait plus pertinent de réitérer l’état d’urgence aussi longtemps qu’il est nécessaire avec à chaque fois un vote du Parlement, plutôt que de pérenniser ces dispositions exceptionnelles.

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