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Inégalités : ce que les statistiques Eurostat révèlent vraiment sur leur évolution en France
©KENZO TRIBOUILLARD / AFP

Amélioration

Selon les chiffres publiés par Eurostat, la différence de revenus entre les 20% des ménages les plus aisés et les 20% les plus modestes est moins élevée en France que dans d'autres pays européens.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : Selon les chiffres publiés par Eurostat, la progression des inégalités dans les plus grands pays de la zone euro, depuis 2005, aurait davantage touché l'Italie, l'Espagne, et l'Allemagne, que la France. Comment expliquer ces différences ? Les causes sont elles identiques dans ces 4 pays ? 

Michel Ruimy : Rappelons les chiffres. Selon cette étude, il ressort qu’en moyenne, les revenus des 20% des ménages les plus aisés sont 5,2 fois plus importants que ceux des 20% les plus modestes. Mais ce rapport varie considérablement selon les États membres : en Italie, il est de 6,3, de 6,6 en Espagne, de 4,6 en Allemagne et de 4,3 en France. Ce constat résulte de situations différenciées.

L’une des spécificités de l’Italie est que les Italiens ont pu, pendant longtemps, se protéger, en partie, de la pauvreté, grâce à leur richesse patrimoniale, résultat d'une propension à investir dans la pierre. Aujourd’hui, environ 80% des familles sont propriétaires de leur logement. Or, ce patrimoine bénéficie d’une fiscalité avantageuse en matière de succession et certaines familles ont vu leur fortune immobilière grossir de génération en génération. Du fait de cette concentration, il est logique que celui qui possède, a tendance à posséder toujours plus. Une aisance presque « dynastique » ! d’autant que, ces dernières décennies, le revenu dérivant des biens immobiliers ou mobiliers a augmenté beaucoup plus vite que celui tiré du travail. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant de trouver dans l’Italie actuelle, marquée par l’opposition entre un Nord fringant et un Sud enlisé dans ses embarras, un peu plus de 10 millions de personnes éprouvant des difficultés à faire face à des dépenses imprévues, à se loger ou à se soigner. C’est désormais le plus âgé qui soutient le plus jeune, le grand-père qui aide son petit-fils...

Concernant l’Espagne, ce pays a été frappé de plein fouet par la crise financière de 2007 et l’explosion d’une bulle immobilière au tournant des années 2010. La résolution de ces crises a permis une redistribution massive de la richesse et des revenus vers le haut. Si une étude basée sur une compilation de déclarations d'impôt montre qu’entre 2011 et 2015, environ moins de 1% de la population possède désormais la moitié de la richesse en Espagne, toujours plus de ménages n’ont presque aucune source de revenus en dehors des retraites des grands-parents. Ces familles dépendent de leurs parents âgés pour les repas, les garderies et autres formes d’aide.

Quant à l’Allemagne, presque 30 ans après la réunification, elle n’a jamais été aussi fragmentée. Les inégalités sociales et territoriales sont de plus en plus criantes. On pourrait parler d’Allemagne « désunifiée », présentant un double visage. D’un côté, une économie florissante avec de forts excédents commerciaux et un chômage historiquement bas…D’un autre, un pays riche… en pauvres : près de 15% de la population vit officiellement sous le seuil de pauvreté. Ce chiffre est en hausse lente mais constante depuis une dizaine d’années. Les lois « Hartz IV » organisant la dérégulation du marché du travail expliquent, en partie, cette situation. Il semble que l’on assiste à la fin du modèle de « l’économie sociale de marché » redistributive et solidaire. Le socle social se fragilise et il y a désormais des gagnants et des perdants, des inclus et des exclus. 

Les différences de revenus sont aujourd’hui plus importantes en Allemagne qu’en France, tout comme la concentration de richesses. Il y a, en Allemagne, presque deux fois plus de milliardaires qu’en France. Parmi eux, les 2/3 sont des héritiers contre 50% en France. L’OCDE a constaté que les 1% les plus riches concentrent 25% de la richesse nationale outre-Rhin contre 18% en France et que la pauvreté y pèse plus que chez nous : plus de 5% des Allemands sont privés de ressources, de biens et de services indispensables à la vie contre moins de 5% en France. Enfin, le risque de pauvreté est plus élevé en Allemagne qu’en France : parmi les 20% les plus pauvres, 2/3 sont en bonne santé en France contre seulement la moitié en Allemagne. 

Si les inégalités se sont accrues, marquant une progression de l'écart entre riches et pauvres, quelle a été l'orientation des revenus des plus pauvres ? Ceux ci ont ils décliné, stagné ou progressé ? 

A partir de quel niveau de revenu est-on « riche » ou « pauvre », appartient-on aux classes « populaires », « moyennes » ou « aisées » ? En fait, personne ne le sait, car il n’existe pas de définition officielle, ni objective de qui peut être considéré comme « riche ». Pour appréhender cette question, il faut avoir une double approche : en termes de flux c’est-à-dire de revenus, et en termes de stocks c’est à dire de patrimoine (immobilier, financier ou professionnel). Ceci étant dit, le jugement que l’on peut porter sur l’évolution des inégalités de revenus dépend de l’échelle de temps et de l’instrument de mesure que l’on utilise. Cependant, toutes les enquêtes le montent : depuis une vingtaine d’années, les inégalités de revenus augmentent. Les plus aisés s’enrichissent alors que le niveau de vie des plus pauvres stagne.

L’outil le plus souvent utilisé pour mesurer ces inégalités est le « rapport interdécile » - rapport entre le niveau de vie minimum des 10% les plus riches et le niveau de vie maximum des 10% les plus pauvres, tout cela, après impôts directs et prestations sociales. Depuis 2015, ce rapport stagne aux alentours de 3,5. Rappelons toutefois qu’au sommet de l’échelle, la dispersion est énorme. Autrement dit, ce rapport ne donne aucune information sur les revenus moyens ou extrêmes notamment. Si quelques très hauts revenus, par exemple les 5% les plus riches, s’envolent, ce ratio ne bouge pas. C’est pourquoi, l’indice de Gini est aussi utilisé car il tient compte de l’ensemble des revenus de la population, des plus faibles aux plus élevés. Comme le rapport interdécile, l’indice de Gini montre que la situation s’est dégradée. 

En termes d’inégalité financière, malgré le système de redistribution (impôts et prestations sociales), les 10% des Français les plus riches possèdent à eux seuls plus du quart des revenus, soit dix fois plus que les 10% les plus pauvres. Ces inégalités tendent à s’amplifier, puisque les augmentations de revenus ne profitent pas également à tous : entre 2003 et 2013, les plus modestes ont gagné, en moyenne, un peu plus de 2% de pouvoir d’achat alors que sur la même période, les 10% les plus riches ont vu leurs revenus augmenter vingt fois plus. 

Les inégalités sont encore plus flagrantes lorsqu’on observe le patrimoine des Français. L’ensemble des possessions des 50% les plus pauvres ne représente que 8% du patrimoine total, alors qu’à l’autre bout de l’échelle sociale, 1% des Français les plus riches concentrent 17% des richesses.

Il est difficile de préjuger de l’évolution des inégalités. Le niveau de vie des catégories aisées a repris sa progression depuis 2013. On voit mal ce qui aurait pu l’interrompre depuis. Les revenus financiers notamment sont en hausse et les politiques fiscales sont redevenues plus favorables aux plus aisés. En bas de l’échelle, la baisse du chômage a un effet favorable, qui se traduit par une diminution du nombre d’allocataires de minima sociaux. Mais les politiques de baisse des allocations logement ou de suppression des contrats aidés vont avoir un effet inverse très direct. Cette situation laisse présager le retour de fortes tensions autour du partage de la richesse dans un contexte de stagnation des revenus pour les couches moyennes.

Ainsi, dans l’ambitieuse devise de la France « Liberté, Egalité, Fraternité », le deuxième point tient davantage, dans les faits, de l’idéal que de la réalité, tant les écarts de situation persistent entre les citoyens. Les inégalités de revenus n’explosent pas, notamment parce que notre système de protection sociale limite le creusement des écarts. Même si les hausses d’impôts de 2011 à 2013 ont également contribué à réduire les inégalités de niveaux de vie, reste que le changement de tendance persiste : notre pays, comme bien d’autres, ne marche plus vers l’égalité en matière de revenus. 

Quels sont les enseignements à tirer de ces statistiques concernant les politiques européennes ? 

Excepté la politique monétaire qui est unique, aucune autre politique n’est harmonisée. Notamment, il n’existe pas de politique sociale spécifique de l’Union européenne. Ce domaine, qui concerne notamment l’emploi et le chômage, les conditions de travail, l’égalité hommes-femmes, la protection sociale…, relève avant tout de la compétence des États. Ainsi, les inégalités résultent dans la majorité des cas de contextes institutionnels et politiques variés. 

Par ailleurs, il n’y a pas si longtemps, dans les années 1980, l’Europe de l’Ouest et les Etats-Unis avaient des niveaux d’inégalités comparables. Depuis, ceux-ci ont divergé d’année en année. La part du revenu national revenant aux 50 % de contribuables les plus pauvres était, en effet, quasiment identique dans les deux régions : 24 % en Europe occidentale et 21 % aux Etats-Unis. Depuis, ce taux s’est quasi stabilisé à près de 20% en Europe alors qu’il est tombé aux alentours de 10% outre-Atlantique. Ceci s’explique par l’effondrement des plus bas revenus aux États-Unis mais aussi par une inégalité considérable en matière d’éducation et par une fiscalité de moins en moins progressive. Si cette tendance persiste, une nouvelle hausse des inégalités est à envisager avec une déliquescence de la classe moyenne. 

La comparaison Europe – Etats-Unis montre que les politiques publiques ont un fort impact sur les inégalités. Aujourd’hui, il y a des marges de manœuvre et tout dépend des choix qui seront faits. L’Europe doit désormais répondre à la question de sa convergence « sociale ». L’urgence est posée par la nécessité de répondre aux attentes de nos sociétés minées par le chômage, surtout celui des jeunes mais aussi comme facteur de stabilisation et de pérennité de l’euro, en raison des mécanismes particuliers qui régissent le fonctionnement d’une zone monétaire intégrée. Dans la mesure où l’Etat providence relève largement de la compétence nationale, le sujet s’avère délicat. C’est pourquoi, il me semble que l’Europe sociale doive progresser par expérimentations et par étapes successives. Avec le chômage comme question dominante, l’Europe devrait jeter les bases, fût-ce à partir d’un petit nombre d’Etats, d’une convention d’assurance chômage comme premier jalon de son intégration sociale.

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