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Impôt juste et parole exprimée : une double exigence de société
©Flickr

Justice sociale

Doléances, monarque, Etats Généraux…, les références à la Révolution sont fréquemment mobilisées pour analyser la révolte des gilets jaunes. Ces deux épisodes ont en commun le besoin de redéfinir une fiscalité juste et une expression légitime de la volonté générale.

David Le Bris

David Le Bris

David Le Bris est professeur associé à TBS depuis 2015, et spécialisé dans l’histoire financière. 

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L’embrasement est venu d’une énième augmentation de la taxation du gasoil. Le carburant constitue un produit de première nécessité pour ceux qui ne peuvent se déplacer sans voiture. Pour la France des gilets jaunes, le gasoil, c’est la liberté. Comme autrefois la gabelle sur le sel, cette taxe de plus de 200 % est injuste mais tellement simple à collecter. Son augmentation permettrait de faire baisser la température de la planète… Objectif louable mais argument inaudible car exprimé par des élites incapables de faire baisser le chômage depuis quatre décennies. Procédé insupportable quand tant d’autres acteurs et activités échappent à l’impôt.

Que la noblesse ait été exemptée de certaines contributions était acceptable tant que l’impôt du sang était régulièrement versé.  Quant à l’église, elle fournissait éducation, soins et prières méritant une fiscalité réduite. Mais quels services rendent-donc les multinationales pour mériter des taux d’imposition plus légers que ceux frappant l’artisan ? Quelle est la source du privilège de l’avion qui ne supporte quasiment aucune taxe ? Pourtant, un AR Paris-New-York émet autant de CO2 qu’une voiture roulant 15 000 kilomètres et certains prennent l’avion dix fois par an pour une réunion ou un week-end. Plus modestement, pourquoi un français travaillant à Londres ou un étranger est-il pris en charge par nos assurances sociales sans avoir réellement cotisé ? Pourquoi les taxes locales n’ont plus qu’un lointain rapport avec la valeur locative des biens ?

Une priorité de nos gouvernants devrait être la recherche de prélèvements plus justes. Quitte à s’affranchir des contraintes internationales pour, par exemple, taxer les multinationales sur les chiffres d’affaires ou les avions empruntant l’espace aérien national. Et ainsi, baisser la fiscalité que supporte la classe moyenne. Un français au revenu médian qui, pour paraphraser un ministre, fume des clopes et roule au diesel, subit un taux de prélèvement global souvent plus élevé qu’un cadre urbain. Ce dernier paye plus d’impôt sur le revenu mais ses revenus épargnés, par exemple sous la forme d’un remboursement de prêt immobilier, échappent à toute fiscalité indirecte.

La seconde exigence concerne l’expression de la volonté à commencer par celle de consentir à l’impôt. Avant 1789, des Etats provinciaux, assemblées de notables et autres institutions représentatives consentaient explicitement à l’impôt. Les évolutions sociales et notamment l’alphabétisation qui suivit la diffusion de l’imprimerie rendirent progressivement ces formes de représentations insuffisantes. La marche vers le suffrage universel était irrémédiablement engagée. Aujourd’hui à nouveau, une part importante de la population ne se sent plus représentée. Avec ses deux tours, notre système électoral sensé apporter de la stabilité est maintenant source de déséquilibre en consacrant des gouvernants avec une trop faible base démocratique. Au-delà d’un mode de scrutin à revoir pour garantir une meilleure représentation, notre société est prête pour une évolution plus profonde.

La montée du niveau éducatif de la population et le développement des technologies de l’information rendent possible une démocratie plus directe en complément de la seule représentation par des élus. Le Référendum d’Initiative Citoyenne aurait surement des défauts mais la démocratie représentative montre aussi ses limites. Ce RIC n’est pas plus saugrenu que le droit de vote accordé au XIXème siècle à des paysans souvent analphabètes et parfois non-francophones.

Cette expression sans intermédiaire doit s’accompagner d’une information elle aussi directe concernant les dépenses. La révolte des gilets jaunes met en lumière que les investissements publics, des plans banlieues aux équipements éducatifs ou de transport, se concentrent dans les zones urbaines. Un accès ouvert aux données publiques devrait permettre à chacun de prendre connaissance des dépenses et enfin satisfaire un droit déjà proclamé en 1789. L’intelligence collective ainsi mobilisée permettrait d’identifier des sources inexplorées d’économies dans nos dépenses publiques.

Les classes supérieures de la société ne doivent pas prendre la révolte des gilets jaunes comme celle d’une France inadaptée et improductive. Les 19 millions d’ouvriers, employés et professions intermédiaires contribuent globalement plus que les 4,8 millions de cadres. Ces contributeurs sont en droit d’exiger une fiscalité juste et une expression légitime de la volonté. C’est l’impossibilité de répondre à ces exigences qui a précipité la fin de l’Ancien Régime. Ce sont les exigences à satisfaire pour que les actions d’un gouvernement soient acceptables et acceptées aujourd’hui. 

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