Immigration : une nouvelle loi pour pas grand chose ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Ministre du Travail
Ministre du Travail
©ERIC FEFERBERG / AFP

Bonnes intentions

Pour Patrick Stefanini, spécialiste de l’immigration pour LR, il est important de souligner que les annonces du gouvernement vont dans le bon sens…. à petits pas.

Arnaud Lachaize

Arnaud Lachaize

Arnaud Lachaize est universitaire, juriste et historien. 

Voir la bio »
Patrick Stefanini

Patrick Stefanini

Patrick Stefanini est un haut fonctionnaire français, membre du Conseil d'État et ancien directeur général des services de la région Île-de-France. Sa carrière se situe entre l'administration et la politique. Diplômé de l'ENA en 1979, il soutient Chirac avant de devenir un proche conseiller d'Alain Juppé lorsque ce dernier est entré à Matignon en 1995. Il s'est démarqué notamment lors de batailles électorales réputées difficiles ; il fut ainsi l'artisan de la victoire de Jacques Chirac à la présidentielle en 1995, de celle de Valérie Pécresse aux élections régionales de 2015, avant donc de conduire François Fillon à la victoire de la primaire, fin 2016. En mars 2017, il renonce à ses fonctions de directeur de campagne de François Fillon. Patrick Stefanini est directeur de campagne de Valérie Pécresse dans le cadre de l'élection présidentielle de 2022.

Voir la bio »

Atlantico - Gérald Darmanin et Olivier Dussopt ont présenté les grandes mesures de leur projet de loi immigration dans Le Monde. Que pensez-vous des mesures présentées et du projet d’ensemble ?

Patrick Stefanini - Cette interview est la reprise, avec quelques précisions et la participation du ministre du Travail, de son interview du 4 août au Figaro. A l’époque, j’avais estimé que cette interview était très complète et allait dans la bonne direction. Pour la première fois, depuis qu’Emmanuel Macron est président de la République, nous avons un ministre de l’Intérieur qui veut prendre les problèmes à bras le corps et va au fond des choses sur un certain nombre de sujets : l’application des mesures d’éloignements, l’immigration, etc.

Arnaud Lachaise - Les deux ministres se gardent bien de parler de l’essentiel : les marges de manœuvre du gouvernement en matière d’immigration sont fortement limitées par le droit européen dès lors que l’asile et l’immigration sont communautarisés depuis 1997. La souveraineté dans ce domaine appartient au Parlement européen bien plus qu’aux parlements nationaux et l’interprétation des règlements et directives, c’est-à-dire les lois européennes, relève de la cour de justice de l’Union européenne. A cela s’ajoute la jurisprudence du Conseil constitutionnel très restrictive en matière d’asile et d’immigration par exemple depuis que le Conseil a constitutionnalisé en 2018 le « principe de fraternité » qui réduit fortement les possibilités de sanctionner l’aide au séjour illégal. Les dernières lois sur l’immigration, notamment de 2016 et 2018 sont surtout des lois de gesticulation. Elles servent à communiquer, à donner l’illusion de l’action mais elles sont extrêmement pauvres en contenu. La future loi Darmanin s’annonce pire encore.

Les mesures vont-elles dans le bon sens ? Sont-elles suffisantes ?

Patrick Stefanini - On jugera à l’expérience, mais après avoir vécu un quinquennat entier où les résultats ont été très succincts. Il faut admettre que la période du Covid n’a pas facilité les mesures d’éloignements : les liaisons aériennes étaient suspendues, les pays d’origine demandaient des tests négatifs, etc. Toujours est-il que les OQTF appliquées étaient de l’ordre de 7% début 2022. Nous étions à 40% en 2012, lors de la dernière année du quinquennat Sarkozy. Il y a donc énormément de progrès à faire, il n'y en a pas eu de significatifs en cinq ans mais Gérald Darmanin semble en être conscient.  

Arnaud Lachaise -Ce qui transparaît de la future loi dans l’entretien du ministre de l’Intérieur au Monde souligne le caractère profondément illusoire de cette réforme. Elle se veut équilibrée avec un volet ouverture et un volet répressif. Le « en même temps » est à l’œuvre. Il faut séduire l’électorat conservateur tout en préservant l’électorat progressiste – macronien d’origine. Le résultat frôle l’aberration. Ainsi, M. Darmanin annonce la création d’un titre de séjour « métier en tension ». C’est le message qui domine les dernières opérations de communication, donc plutôt le clin d’œil à gauche. L’idée est d’accorder un titre de séjour, donc de régulariser des migrants en situation illégale qui seraient prêts à être embauchés sur des professions pour lesquelles il n’existe aucune compétence disponible sur le marché du travail. Mais cette proposition est strictement inutile ! Depuis 2006, il existe déjà une « admission exceptionnelle au séjour » pour les migrants en situation irrégulière susceptibles d’occuper un travail salarié. De fait, le gouvernement peut d’ores et déjà régulariser tous les migrants en situation irrégulière qu’il veut en leur accordant un titre de séjour salarié! On est là dans la pure communication – la gesticulation. Quant à l’autre volet, la lutte contre l’immigration illégale, la mesure phare annoncée, l’inscription au fichier des personnes recherchées des migrants faisant l’objet d’une OQTF, relève du coup de menton. Evoquer l’inscription au FPR est censé donner une impression de fermeté. Mais cette mesure n’a pas la moindre portée sur l’efficacité de la lutte contre l’immigration illégale. Le ministre lui-même explique qu’elle doit servir à augmenter artificiellement le chiffre des sorties. On nage dans l’absurdité…

S’attaque-t-telles selon vous au fond des enjeux ?

Patrick Stefanini - Dans l’interview publiée aujourd’hui, Gérald Darmanin dit qu’il souhaite que la France puisse décider du nombre d’étrangers qu’elle admet sur son sol. Cela paraît pouvoir faire consensus pour la France en tant que pays souverain. Sauf que le seul moyen de parvenir à ce résultat c’est soit l’immigration zéro soit la politique des quotas. Cela ne peut se faire sans une révision constitutionnelle, comme on le sait depuis la tentative de Nicolas Sarkozy. Valérie Pécresse a présenté des projets de loi constitutionnelle précisément afin de mettre en place des quotas. On sait qu'une modification constitutionnelle ne suffirait pas, il faudrait trouver également des amendements avec la convention européenne des droits de l’Homme. Gérald Darmanin n’évoque pas ces sujets. On peut en déduire qu’il n’a pas carte blanche pour aller jusque là et propose à la place des mesures pratiques, mais qui ne sont pas à droit constant puisqu’il propose de lever certaines protections pour les étrangers en changeant la loi.

Arnaud Lachaise - Comme je le disais, entre les directives européennes, leur interprétation par la CJUE, les décisions de la cour européenne des droits de l’homme, la jurisprudence du CC, les marges de manœuvre du pouvoir politique sont réduites. Mais il y a quand même des chose qu’on pourrait faire : réformer le droit d’asile pour conditionner l’examen d’une demande par son dépôt lors de l’arrivée sur le territoire, augmenter la durée de la rétention administrative par décision du préfet de 48 heures à cinq jours (comme c’était le cas de 2011 à 2016), renforcer les contrôles en amont dans les aéroports ou points d’embarquement des pays d’origine, limiter fortement les régularisations pour éviter de créer un appel d’air (le contraire de ce que prévoit le projet Darmanin), simplifier fortement le contentieux de l’éloignement par une réforme constitutionnelle en le confiant à une juridiction administrative, appliquer des conditions de logement et de revenu pour toutes les formes de l’immigration familiales etc… Mais le gouvernement se détourne de toute mesure susceptible d’avoir une véritable efficacité sur la maîtrise des flux migratoire. Clairement, ce n’est pas ce qui le préoccupe.

Lorsque vous entendez Gérald Darmanin résumer la philosophie du projet à : « On doit désormais être méchants avec les méchants et gentils avec les gentils», , qu’est-ce que cela vous inspire ?

Patrick Stefanini - C’est une formule générale qui participe plus de la com’ politique que d’une approche technique du dossier. Le ministre de l’Intérieur, et le président de la République a repris cette idée, cible les délinquants : des personnes en situation irrégulière qui ont commis un délit ou un crime. C’est une part assez marginale des clandestins. Mais une politique migratoire se doit de lutter contre toutes les formes d’immigration clandestine.

Arnaud Lachaise - La formule est très macronienne, elle exprime tout le mépris de la classe dirigeante pour les Français. Cette affaire de gentils et de méchants est du niveau de l’école maternelle. On parle aux Français comme à des enfants non pas de 6 ans, mais de 3 ans… Cette infantilisation des Français rappelle le temps de la crise sanitaire, quand on leur expliquait comment se laver les mains. Le mépris est vraiment la constante du pouvoir macronien. Une autre formule du même genre ressort de l’interview : « on va rendre la vie impossible » aux migrants faisant l’objet d’une OQTF. Cela rappelle aussi la volonté pendant la crise sanitaire, « d’emmerder les non vaccinés ». Pour masquer son indécision, sa faiblesse et son impuissance face à la réalité, le pouvoir politique recourt à une communication agressive et haineuse. On désigne les coupables à haïr : les « méchants » les « OQTF ». Cultiver la haine pour donner l’illusion de la fermeté : tout cela n’est pas digne d’une grande démocratie.

Si les mesures annoncées sont mises en place, cela pourrait-il avoir un réel impact ?

Patrick Stefanini - Puisqu’en duo avec Olivier Dussopt, cette interview évoque surtout les questions relatives à l’immigration économique : on renoue avec une politique que j’ai moi-même mis en œuvre sous l’autorité de Brice Hortefeux en 2007-2008, époque à laquelle nous avions répertorié les métiers en tension avec la possibilité de régulariser les immigrés clandestins travaillant dans ces secteurs. Donc cela n’est pas nouveau. Mais les prédécesseurs du ministre n’évoquaient pas le sujet.

Néanmoins, l’immigration ne peut pas être la variable d’ajustement du marché du travail français. De nombreux secteurs manquent de bras et l’immigration ne peut pas, à elle seule, être la solution. Améliorer les conditions de travail, les salaires, etc. ce sont des priorités dont monsieur Dussopt a la responsabilité. Par ailleurs, l’interview n’évoque pas certains sujets comme les relations avec les pays d’origine pour la délivrance de laissez-passer consulaires, la construction de places en centre de rétorsion, etc. Si la France qui a perdu la maîtrise de ses flux migratoires - comme Edouard Philippe l’a dit lui-même - veut la retrouver, il faut agir sur toutes les touches du piano et ne pas se contenter d’une mesure emblématique. Pour faire évoluer nos relations avec les pays d’origine, Il faut une vraie politique de coopération, notamment avec l’Afrique.

Arnaud Lachaise - On peut penser qu’à l’inverse de l’effet recherché d’affichage de la fermeté, ces mesures annoncent une augmentation des flux migratoires. Les titres de séjour sur les métiers en tensions ne servent strictement à rien, mais par elle-même, cette annonce fortement médiatisée laisse entendre que le pouvoir politique a l’intention de s’engager dans une voie d’ouverture supplémentaire. Il faut savoir qu’en 2019 les flux migratoires sur la France ont battu tous les records depuis trente ans avec 270 000 premiers titres de séjour accordés et 140 000 demandeurs d’asile. Après l’accalmie de 2020 liée à la crise sanitaire, 2021 a renoué avec ces statistiques records. La réforme Darmanin ne laisse présager aucune accalmie dans les années qui viennent… Bien au contraire…

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !