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Immigration et migrants : les Français ne sont pas du tout informés correctement
©Reuters

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Mis en cause par France Inter pour son livre, recommandé par le FN, Jean-Paul Gourévitch met en garde contre une sous-information en matière de migration. Et pointe du doigt les désaccords qui le séparent du parti de Marine Le Pen.

Jean-Paul Gourévitch

Jean-Paul Gourévitch

Jean-Paul Gourévitch est écrivain, essayiste et universitaire français. Il a enseigné l'image politique à l'Université de Paris XII, a contribué à l'élaboration de l'histoire de la littérature de la jeunesse et de ses illustrateurs par ses ouvrages et ses expositions, et a publié plusieurs ouvrages consacrés à l'Afrique et aux aspects sociaux et économiques de l'immigration en France. Il a notamment publié La France en Afrique 1520-2020 (L'Harmattan), La tentation Zemmour et le Grand Remplacement (Ovadia 2021), Le coût annuel de l'immigration (Contribuables Associés 2022).

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Atlantico : Vous avez été mis en cause dans un article de France Inter au motif que vous êtes l’auteur d’un livre sur Les véritables enjeux des Migrations qui fait partie de "la bibliothèque des livres recommandées par le FN". Comment définiriez-ce qui est une vision d’extrême-droite concernant l’immigration et comment définissez-vous la vôtre ?

Jean-Paul Gourévitch : J’ai effectivement été mis en cause par un journaliste de France Inter pour mon ouvrage Les véritables enjeux des migrations (Le Rocher 2017) recommandé par le FN. Un article repris quasi in extenso par 19 supports de la presse écrite, audiovisuelle et du net. Ce qui m’a quelque peu irrité, c’est que la mise en cause n’est pas liée au contenu de l’ouvrage dont le journaliste dit qu’il est « une référence pour la droite dure », ce que je pourrais à la rigueur comprendre puisque cette droite me cite bien que je n’en fasse pas partie. Elle vient de la phrase suivante : « L'auteur conteste être à l'extrême-droite. Reste qu'en 2016 il participait à une table ronde organisée par Robert Ménard à Béziers »  et le journaliste mentionne des personnalités d'extrême droite qui s'y trouvaient comme Renaud Camus ou Jean-Yves Le Gallou. 

Cet amalgame qui consiste à considérer que celui qui participe à une table ronde partage les opinions des organisateurs est insupportable. Je serai donc dans cette optique à la fois un partisan de la LICRA, d’Action Française, de l’Institut Mandela, du Parti Socialiste, de Renaissance Catholique, de SOS-Racisme, de Riposte Laïque, de la Pastorale des Migrants, de la Grande Loge de France…Passons. Cet amalgame est d'autant plus détestable que c'est précisément ce journaliste qui m'a interviewé pour le journal de France Inter pour me demander pourquoi j'étais venu à Béziers alors que j'étais en désaccord avec les positions des organisateurs. Interview qui n’a pas été diffusé dans le journal du soir et pas plus dans les suivants malgré la promesse du journaliste que j'ai revu le lendemain. 

Sur le fond j’ai un désaccord profond avec l’extrême-droite sur les coûts de l’immigration, sur les amalgames que certains de ses thuriféraires font entre immigration et délinquance, entre immigration et islamisation de la France, et sur les visions d’apocalypse qu’on trouve par exemple dans Immigration la catastrophe de Jean-Yves le Gallou. En même temps je respecte les positions de ceux qui ne pensent pas comme moi, quand elles sont documentées,  et tout compte fait je trouve plutôt démocratique que le FN conseille à ses militants de se former en lisant des ouvrages qui contestent ses propres thèses. 

Vous expliquez que vous menez un combat contre la désinformation des médias mainstream sur l’immigration. A quoi faites-vous référence ? Quelles sont selon vous les informations fausses que les médias propageraient ou celles qu’ils tairaient ? Est-il possible de se faire une idée sur la réalité de l’immigration en France ?

Comme l’Observatoire  des Journalistes et de l’Information Médiatique (OJIM)  l’a montré en analysant la façon dont les medias ont rendu compte de la crise des migrants pendant l’été 2017,  l’opinion publique est soumise à un véritable matraquage sur le problème de l’immigration. Dans la mise en scène des témoignages, dans le choix des invités, dans les images sensationnelles et compassionnelles présentées, il y a une volonté de formater les esprits. Un exemple : certes l’accueil des migrants doit être « digne », mais avons-nous aujourd’hui, même en comptant sur la générosité des associations, les capacités d’accueil pour héberger « dignement » les quelques 100.000 demandeurs d’asile de l’année 2017 sans compter les migrants irréguliers qui ne sont pas passés par la case demandeurs d’asile ?  Sauf à admettre qu’on donne la priorité aux migrants et non pas aux SDF,  et aux Français qui vivent sans toit ou dans des logements précaires. Ce que personne n’ose dire. 

Dans les medias, on occulte la distinction entre les réfugiés politiques et les migrants économiques pour ne pas « faire de tri ». On valorise leur « formation » mais on oublie les études sur l’insertion professionnelle de ces migrants qui est très limitée. Si un pays n’a pas la capacité de donner du travail à ceux qu'il accepte, il  renforce le nombre de chômeurs, leur précarisation et le coût d'une opération supportée par l'Etat et les contribuables. 

La désinformation est également permanente sur les statistiques des migrations, sur leurs coûts et leurs bénéfices, sur la lenteur des procédures d’asile,  sur l’inefficacité des reconduites reconnue par le Président Macron lui-même, sur l’Aide Médicale d’Etat, sur l’action des associations, sur les liens entre immigration et économie informelle…La plupart des journalistes ne lisent plus les ouvrages. Ils classent les auteurs dans une posture en faisant un copier-coller des textes récoltés sur Internet. 

Je crois qu’on peut donner aux Français une connaissance de la réalité de l’immigration dans leur pays qui est plurielle, complexe, et très éloignée des slogans, des amalgames et des schématisations qu’on leur impose. Nous en sommes loin. Les chercheurs, et je ne suis pas le seul,  qui tentent de présenter loyalement les enjeux et les données sont accusés d’apporter de l’eau aux moulins de l’extrême droite comme je l’ai été en 2014 dans la campagne de diffamation qui a suivi la parution des Migrations pour les Nuls. Le résultat dans les medias mainstream  est immédiat. Ceux qui vous avaient donné la parole ou cité en référence  comme FR3, M6, BFM-TV, LCP, I-télé, Le Figaro, Le Monde, Libération…vous ignorent ou vous anathématisent. C’est pour cela que j’ai proposé de rétablir un Observatoire National des Migrations, indépendant et pluraliste, croisant les données locales, nationales et internationales, qui traiterait à la fois de l’immigration et de l’expatriation,  et qui remplacerait le défunt Observatoire National des Statistiques de l’Immigration et de l’intégration installé en 2004 par le Haut Conseil à l’Intégration et qui n’a jamais fonctionné. 

Contrairement à la plupart des États occidentaux, la France collecte peu de données sur les origines ethniques de sa population. Vous contestez cet aveuglement statistique, en quoi accepter de recueillir des données ethniques précises permettrait-il de mieux gérer le pays ?

22 pays du Conseil de l’Europe sur 42 recourent directement  aux statistiques ethniques et ce nombre est en constante augmentation. Non seulement il est difficile de soutenir, sauf pour des raisons idéologiques, que le pays qui héberge des personnes ne doit rien connaître de leur origine mais ces statistiques donnent un sens aux luttes menées pour les droits des citoyens qu’il s’agisse des autochtones ou des immigrés.   Dès 1996, l’ECRI (Commission Européenne contre le racisme et l’intolérance) recommandait de « collecter, s'il y a lieu, en conformité avec les lois, règlementations et recommandations européennes concernant la protection des données et la protection de la vie privée, les données permettant d'évaluer la situation et les expériences des groupes particulièrement vulnérables face au racisme, à la xénophobie, à l'antisémitisme et à l'intolérance ». 

Comment voulez-vous combattre la discrimination si vous ne savez pas qui est discriminé ? Sinon c’est le recours au prénom, au faciès, au « ressenti d’appartenance »,  à l’origine géographique, bref aux délits de « sale mentalité », de « sale gueule » ou de « sale territoire »  avec toutes les  dérives qu’ils génèrent. 

Contre cet argument on évoque les lois raciales de Vichy, le risque d’enfermement  dans une identité univoque, le « voile d’ignorance sur les différences pour les dépasser dans une citoyenneté ». Nous sommes en 2018. Les Français sont adultes. Le creuset républicain n’a pas résisté aux températures élevées des alliages qu’on y déposait.  Si l’on veut recréer du lien entre des communautés, il faut commencer par admettre qu’elles existent et qu’elles ne se fondent pas dans un « vivre ensemble » qui  n’a de réalité que pour quelques-uns.  

L’Insee ou l’Ined collectent peu de données mais le CSA a annoncé la semaine dernière avoir comptabilisé les minorités visibles sur les écrans tout en continuant a regretter qu’elles ne soient toujours pas assez représentées. Mais comment savoir si la représentativité est bonne si les données sur les minorités au sein de la population globale ne sont pas connues ? Les chiffres avancés par le CSA vous paraissent ils correspondre à ce que l’on sait de la proportion de minorités en France ?

Le CSA  doit théoriquement garantir « la liberté de communication audiovisuelle en France ». Le cahier des charges de Radio-France insistait sur la nécessité de  « l’honnêteté, de l’indépendance et du pluralisme de l’information ». C’est  un objectif à méditer. 

La loi du 30 septembre 1986, renforcée par celle du 31 mars 2006, a confié au CSA le soin de « veiller à la représentation de la diversité à l’écran et sur les ondes ». Elle a été complétée par la loi du 27 janvier 2017 qui précise que cette représentation doit être « exempte de préjugés ». Un baromètre de la diversité fonctionne depuis 2009. Sur le plan de l’origine, il distingue cinq paramètres : personnes perçues comme « blancs », « noirs », « arabes »,  asiatiques », « autres » (par exemple latino-américains). 

A partir du visionnement de 1500 programmes  des 17 chaînes de la TNT gratuite et de Canal Plus sur deux semaines en juin et en septembre 2017, il a constaté en janvier 2018  qu’il y a « 81% de personnes perçues comme blanches et 19% de non-blanches ». Ces dernières sont « à 53% noires, à  22% arabes, à 11% asiatiques, à 14% autres ». 

Par rapport à  2015 les « blancs », les « arabes » et les « asiatiques » ont diminué, les « noirs » et les « autres » augmenté. Sans rentrer dans le détail des rôles et des genres, on pourrait dire que cette évolution correspond globalement à une société française où il y a moins de « blancs », plus de « noirs » et plus d’ « autres » avec un sérieux bémol sur les « arabes » dont la proportion dans la France d’aujourd’hui est en augmentation, la communauté maghrébine ( 6 millions en 2015 selon Hugues Lagrange) étant encore aujourd’hui un peu plus importante que la communauté d’Afrique subsaharienne. Mais sur le fond cette perception ne renvoie pas à l’origine. Dans les « noirs » il y a des Africains subsahariens mais aussi des Antillais, des Guyanais, des Brésiliens, des Américains, des Maghrébins, des Haïtiens…  

On peut admettre que ce baromètre de la diversité peut servir à corriger des représentations déséquilibrées de la communauté nationale. En faire un instrument au service des quotas serait segmenter la production audiovisuelle selon un modèle technocratique qui cristalliserait les revendications au lieu de les pacifier.

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