Imam Iquioussen : voyage en Absurdie (avec Kafka)<!-- --> | Atlantico.fr
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Franz Kafka nous parle le mieux du grotesque imbroglio juridique dans lequel se trouve embringuée la France pour avoir tenté d’expulser Hassan Iquioussen.
Franz Kafka nous parle le mieux du grotesque imbroglio juridique dans lequel se trouve embringuée la France pour avoir tenté d’expulser Hassan Iquioussen.
©FRANCOIS LO PRESTI / AFP

Penseurs d'hier, politiques d'aujourd'hui : la chronique d'Isabelle Larmat

Et nous, on court, on court, on court…

Isabelle Larmat

Isabelle Larmat est professeur de lettres modernes. 

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« On cite au village un proverbe que tu connais peut-être déjà : les décisions de l’administration sont timides comme des jouvencelles » : Kafka, « Le Château ». C’est en effet Franz Kafka, dans son roman, malheureusement inachevé, qui nous parle le mieux du grotesque imbroglio juridique dans lequel se trouve embringuée la France pour avoir tenté d’expulser le « séparatiste » notoire, Hassan Iquioussen.

Inachevé, « Le Château » fut publié en 1926, à titre posthume, grâce à Max Brod, ami de l’auteur. Sombre et irréel ce roman traite de l’aliénation de l’individu face à une bureaucratie qui a coupé tout contact avec la population. Aujourd’hui considérée comme l’un des plus grands romans du XXe siècle, l’œuvre aurait dû être détruite selon la volonté de Kafka, mais Max Brod s’y refusa, heureusement. Puisse cette œuvre éclairer notre monde judiciaire et administratif, devenu absurde.

Ce roman incite à la réflexion qui pourrait, en effet, préluder à une réaction susceptible d’engendrer (pour une fois) l’action, en lieu et place des creuses paroles, des coups de menton et des gestes amples qui font s’esclaffer jusqu’aux drosophiles. Il serait bon que l’état cesse de se trouver, face aux lois, tel l’arpenteur K. de l’œuvre de Kafka. « Si un monsieur le convoquait, il devait se présenter à l’endroit désigné, mais bien se mettre dans la tête – avait- il un peu de sens commun ? – qu’il y était déplacé, quel que fut cet endroit, et ne s’y trouvait que parce qu’un monsieur l’y convoquait ; l’y convoquait à contrecoeur et uniquement pour les exigences du service qui excusaient en partie cette incongruité. »

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Voici de quoi il retourne : arrivé un soir dans un village que domine un château, où règne un comte mystérieux et invisible, l’arpenteur K. se heurte, en souhaitant s’installer dans le fief du maître, à une prolifération  hiérarchique de fonctionnaires et de seigneurs, à une bureaucratie qui impose partout l’incohérence et l’absurdité de ses lois. En France, nous y sommes. Avec, ou plutôt grâce aux lois, le « séparatisme » et autres nuisances préjudiciables au « vivrensemble » que le monde entier nous envie ont de belles années devant eux.

Rappelons maintenant l’épopée du moment qui convoque les sommets du ridicule et du brassage d’air.  Le Conseil d’État avait (enfin) donné mardi son feu vert à l’expulsions de l’imam Hassan Iquioussen, né en France, mais de nationalité marocaine. Notre homme est connu pour avoir tenu : « un discours prosélyte émaillé de propos incitant à la haine et à la discrimination, porteur d’une vision de l’islam contraire aux valeurs de la République ». C’est alors que le Maroc, peu désireux de récupérer son ressortissant dérangeant a annoncé suspendre le « laissez-passer consulaire » montrant par là sa faible volonté de coopérer à l’affaire. Le « prédicateur » vient de filer, probablement en Belgique. Notre individu est maintenant visé par un « mandat d’arrêt européen » délivré par un juge d’instruction de Valenciennes pour « soustraction à l’exécution d’une décision d’éloignement ».

« On se met à rechercher quelqu’un qui a appliqué l’arrêté d’expulsion lui-même pour le renvoyer dans un pays qui a retiré son laissez-passer. », a déclaré à l’AFP le député LFI du Nord, David Guiraud. Également à l’AFP, Sébastien Chenu (député RN, du Nord, lui aussi) a, pour sa part, déclaré : « Si l’iman Iquioussen est arrêté en Europe et que le Maroc ne veut plus le reprendre, il va où ? C’est quoi la suite de l’histoire ? (…) J’aimerais bien que nos brillants juristes et ministre de l’Intérieur nous expliquent ce qu’ils ont en tête. ».

L’avocat de M. Iquioussen, Me Lucie Simon, joue sur du velours et se gausse : « Ce mandat d’arrêt européen nous stupéfait car s’il existe, il se fonderait sur une infraction qui n’est selon nous pas constituée. (…) Hassan Iquioussen a quitté le territoire français. (…) Pourquoi le rechercher ?  Pourquoi le faire revenir ? » Le brave homme s’est en effet éloigné lui-même du territoire, on peut tout aussi bien considérer, au lieu de le vouer aux gémonies, que le bougre a ici prévenu la justice. Le persécuté se préparerait, selon certains de ses enfants interrogés, à « prendre la parole. » Une manifestation de soutien à l’imam organisée par « Perspectives Musulmanes » a eu lieu samedi, à Paris. Que dire ?

Franz Kafka n’a pas eu le temps de terminer son roman. Alors, soyons fous : espérons la puissance délétère de l’organisation administrative symbolisée par le Château annihilée. » À condition bien sûr que … le courage soit au rendez-vous. (C’est donc pas gagné.) Il n’est pas toutefois complètement déraisonnable de faire preuve d’un chouia d’optimisme à la lecture de l’un des derniers fragments de l’œuvre inachevée de Kafka.

Imaginons par conséquent, suite à l’extrait suivant, une fin du roman qu’on aimerait heureuse pour clore la lamentable affaire de l’imam en fuite.  « - Le Château est déjà par lui-même infiniment plus puissant que vous. On pourrait se demander pourtant s’il gagnera ; mais vous n’exploitez pas ce doute. Au contraire, on dirait que vous faites tous vos efforts pour assurer certainement sa victoire ; c’est pourquoi vous vous mettez soudain à craindre sans raison en plein combat et vous augmentez votre impuissance. » Haut les cœurs, ne mollissons pas ! Sus au Château !

Qu’on ait enfin l’audace, entre la loi et son esprit, de faire intelligemment la part des choses. Notre pays est en passe de devenir non pas un Château, mais un moulin voire une bergerie.

Ps : dans le langage courant l’Élysée est nommé le Château.

Isabelle Larmat, professeur de Lettres modernes

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