Il n’y a pas que les califoutraques islamiques (et Poutine) : ces atrocités commises ailleurs sur la planète dans notre plus grande indifférence<!-- --> | Atlantico.fr
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Les hommes de Boko Haram ont semé le trouble au Nigeria en 2014
Les hommes de Boko Haram ont semé le trouble au Nigeria en 2014
©Reuters

Géométrie variable

Les exactions commises par l'Etat islamique occupent quotidiennement le devant de la scène médiatique. Pourtant ce groupe ne détient pas le "monopole" des atrocités commises en ce moment. Que ce soit au Kenya, avec les shebab islamistes, ou encore au Nigeria avec Boko Haram, de multiples autres situations détiennent toutes les caractéristiques qui pourraient provoquer notre indignation.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Atlantico :  Comment expliquer que tout le monde se focalise presque exclusivement sur les crimes de ces djihadistes ?

Alain Rodier : Les horreurs provoquées par les guerres, plus particulièrement civiles car elles n'obéissent à aucunes lois (même si les guerres classiques sont aussi abominables), ont toujours existé. La grande différence de Daesh est qu'il les médiatise alors que les autres mouvements (ou armées) ont tendance à les dissimuler.

Il le fait pour plusieurs raisons :

  • terroriser les populations et ses adversaires qui savent qu'ils n'ont pas de quartier à attendre de sa part. Cela a joué un grand rôle dans la débandade des unités militaires irakiennes;
  • faire un pied de nez à la terre entière, et plus particulièrement aux Occidentaux dont les populations sont jugées comme facilement influençables car "décadentes" (Daesh espère que ces dernières pèseront sur leurs dirigeants pour qu'ils se retirent de la coalition);
  •  recruter de nouveaux adeptes. En effet, les abominations ont un double effet de repoussoir et en même temps d'attraction. Des individus peuvent être séduits par le slogan qui accompagne ces images horribles : "nous aimons la mort comme vous aimez la vie".

Daesh propose une raison et vivre et de mourir pour une "cause" qui, selon lui, est le retour à la "pureté" de l'islam des origines. En ces temps où les repères manquent de plus en plus, Daesh en propose, même s'ils dépassent les limites de l'abominable. Daesh a une vision très bestiale de ses ennemis (les apostats chiites, les juifs, les chrétiens, les yazidis, les "vendus" sunnites, tous les systèmes politiques, etc.). Ils comptent encore moins que les animaux, donc il est normal d'éliminer les "pêcheurs" qui sont des "sous-hommes". Le parallèle avec l'idéologie nazie est frappant.

L'actualité est riche en massacres commis un peu partout dans le monde. Pour les différents cas qui suivent, pouvez-vous nous expliquer le contexte dans lequel ils s'inscrivent ?

Kenya (fin du mois de novembre)

Les shebab semblent être responsables de ce massacre qu'ils ont revendiqué. Au départ, il est possible qu'ils ne voulaient "que" prendre des otages. Mais la situation tactique a voulu qu'ils ont été contraints de fuir, le bus dont ils s'étaient emparés s'étant embourbé. Ils ont donc assassiné les chrétiens plutôt que de les laisser partir. Les shebab ont reçu des coups très durs ces derniers mois. Ils ont perdu leurs chefs historiques et abandonné du terrain dont le port de Kismayo par lequel transitaient de nombreux trafics qui leur permettaient de subvenir à leurs besoins. Le commandement est remis en question, une guerre des chefs ayant actuellement lieu. Les groupes répartis sur le terrain agissent indépendamment sans rendre compte (et d'ailleurs, à qui?).

Affaiblis à l'intérieur, certaines bandes portent le fer au Kenya voisin. Il y est plus facile de s'attaquer aux civils qu'aux forces de sécurité. Il faut ajouter des querelles ethniques au Kenya (qui n'ont rien à voir avec les shebab) qui tournent parfois au massacre. Ce n'est pas demain qu'une solution sera trouvée pour stabiliser la région d'autant que, parallèlement, le pouvoir politique somalien s'entredéchire aussi. Il est à noter que les shebab n'ont pas les ambitions planétaires de Daesh. Leur guerre reste essentiellement régionale. Enfin, ils n'ont pas les moyens de réaliser les prouesses médiatiques de Daesh (bien qu'il aient tourné dans le passé quelques vidéos fort bien faîtes). 

Nigeria

Les remarques sont les mêmes que pour les shebab. Par contre, Boko Haram maitrise mieux les moyens médiatiques. Le massacre de près d’une cinquantaine de vendeurs de poisson est surtout destiné aux populations locales: terroriser à défaut de gagner les cœurs et les esprits. Les environs du lac Tchad sont très importants pour Boko Haram qui a décrété un "Etat Islamique" dans le nord-est du Nigeria. De plus, cette tuerie de masse commise à une quinzaine de kilomètres de Doron Baga où sont stationnées les unités de la Force multinationale (MNJTF) constitue une véritable provocation à l'égard des autorités tout en démontrant  que Boko Haram ne craint absolument personne.

L'Afrique est-elle la seule zone concernée par ces tragédies humaines ? Quels autres lieux et populations font les frais de crimes de grande ampleur ?

L'Afrique a toujours été une terre de massacres. Les guerres civiles et les coupeurs de routes sont là pour le prouver. L'exemple actuel de la République Démocratique du Congo (RDC) en est la parfaite illustration. Le Pakistan, l'Afghanistan, le Yémen connaissent des attentats de masse presque toutes les semaines. D'autres théâtres sont à risques : Philippines, Indonésie, Thaïlande, Birmanie, nord-ouest de la Chine, etc. Il ne faut pas oublier que les djihadiste-salafistes, qu'ils appartiennent à Al-Qaida "canal historique" ou à Daesh, ne rêvent que d'une chose : provoquer des attentats monstres en Occident. Massacrer des "impies" serait un must pour eux. Pour l'instant, les moyens leur manquent en dehors de quelques loups solitaires. Mais l'avenir est inquiétant.

Dans la litanie des horreurs, un continent est oublié : l'Amérique latine avec, en particulier, le Mexique où les cartels de la drogue se livrent à des massacres particulièrement horribles : des pendaisons, décapitations, démembrements et autres "joyeusetés". L'horreur n'a pas de limites quand ceux qui s'y livrent sont littéralement décérébrés. Par exemple, les Maras (groupes criminels d'Amérique centrale qui se sont répandus sur l'ensemble du continent américain) "éduquent" leurs futurs sicarios dès leur plus jeune âge en leur faisant assassiner de la manière la plus barbare qui soit, des innocents enlevés au hasard. Eux-mêmes sont soumis à des tortures, viols et autres traitements infamants. Pour ces jeunes tueurs, le meurtre devient ensuite quelque-chose de naturel. Ayant été au bout de l'horreur, aucune exaction ne les rebute plus.  C'est là où les décérébrés de "droit commun" rejoignent leurs homologues de "droit divin" (selon leur opinion). Philosophiquement, il est naturel de se poser la question de la sauvagerie de l'être humain. Est-ce un prédateur que seules les règles sociétales maintiennent dans une juste mesure ou un être "bon" dévoyé par la société ? Selon l'expression militaire traditionnelle, la réponse est : "les deux, mon général".

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