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Les principales économies européennes ont-elles encore des intérêts économiques communs ?
Les principales économies européennes ont-elles encore des intérêts économiques communs ?
©Reuters

Espoir brisé

A l’opposé des espérances de ses fondateurs, la zone euro s’avance, peu à peu, vers toujours plus de divergences entre ses Etats membres. Le processus est pourtant loin d’être irrévocable, mais il trouve sa source dans la gestion calamiteuse de la grande récession de 2008.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Le 7 février 1992, les Etats de la Communauté européenne signaient le Traité de Maastricht avec une ambition fondamentale ; la convergence économique de ses membres. Afin de satisfaire à cette vision, la monnaie unique était alors perçue comme l’outil parfait, allant jusqu’à évoquer la notion de "férule monétaire", comme un moyen de contrainte. Dans un but d’harmonisation, les célèbres critères de convergence seront alors introduits : stabilité des prix, respect des déficits publics à un seuil de 3% du PIB, et limite d’endettement fixée à 60% de ce même PIB devront être respectés par chacun des Etats membres. Pourtant, et malgré les efforts déployés, c’est la divergence économiques des pays membres qui s’est imposée. Ainsi, Dans un rapport publié en 2012 et intitulé "convergence des économies européennes : 20 après", le Centre d’analyse stratégique auprès du Premier ministre déclarait : "La convergence réelle entre les pays membres de la zone euro ne s’est pas réalisée comme le prévoyaient les travaux qui ont précédé l’adoption du traité de Maastricht." (…) "Sans épuiser les explications de la crise que connaît la zone euro aujourd’hui, les divergences réelles y ont participé et se sont exacerbées.".A l’opposé des prévisions initiales, plusieurs facteurs ont favorisé cette grande divergence européenne.

Une zone monétaire unique fracturée par des modèles économiques divergents

Dès la mise en place de la monnaie unique, en 1999, les politiques économiques déployées par les différents membres se sont avérées contradictoires. Pendant que l’Allemagne soignait sa compétitivité en refusant de procéder à des hausses de salaire, et soutenait ainsi le développement de ses exportations, les pays du sud ont choisi une trajectoire inverse. Puisque l’Allemagne créait des excédents que la zone euro devait absorber, l’Espagne, la Grèce, le Portugal, ont pu bénéficier d’apports massifs de capitaux à bon compte, permise par une convergence cette fois-ci réelle des taux d’intérêt, pour financer leur demande intérieure, et ainsi soutenir largement leur croissance. De cette ambivalence est née une fracture au sein de la zone, entre deux modèles économiques ; entre une croissance soutenue par les exportations et une croissance soutenue par la demande intérieure. Et selon le cabinet de recherche Roland Berger, dans un rapport intitulé "la divergence des économiques européennes", cette fracture est désormais parfaitement nette :

"L’analyse de l’évolution des principaux indicateurs macroéconomiques de 18 pays membres de la zone euro fait nettement apparaître deux groupe de pays, opposant le Nord de l’Europe (Allemagne, Autriche, Belgique, Estonie, Lettonie, Luxembourg, Finlande, Pays-Bas) au Sud (France, Italie, Espagne, Portugal, Grèce, Irlande, Chypre, Malte, Slovénie, Slovaquie)."

L’absence de coordination des Etats membres a pu, pendant un moment, donner l’illusion d’un cercle vertueux de prospérité, mais celui-ci s’est effondré lors de la crise de 2008. En choisissant clairement d’imposer à tous le modèle des pays du nord, c’est-à-dire basé sur un modèle voué à l’exportation, la zone euro a pris les économies du sud à contre-emploi. En tirant le tapis de la demande intérieure, la zone euro a alors contraint ces économies à subir la crise de plein fouet. A l’inverse, les pays exportateurs ont pu se reposer sur leur demande extérieure, et ainsi tirer leur épingle du jeu. Ce que le cabinet Roland Berger décrit parfaitement :

"Cette divergence des politiques économiques en zone euro a produit une partie des hétérogénéités aujourd’hui observables, que l’on peut qualifier d’anormales. Au Sud, la hausse trop rapide des salaires et l’insuffisant effort d’innovation ont participé à la désindustrialisation, aux pertes de parts de marché et à la polarisation de l’activité sur des services peu sophistiqués (services aux particuliers, construction, tourisme…). Au Nord, les excédents commerciaux allemands récemment critiqués par le Fonds Monétaire International et la Commission européenne résultent d’un excès d’épargne, attribuable à la déformation du partage des revenus au détriment des salariés dans le Nord."

Mais cette divergence a également produit des effets de structure sur les économies des différents pays membres ; certains se spécialisent quand d’autres se diversifient. Alors que l’objectif de la zone est de parvenir à une homogénéisation, chacun renforce sa position précédente, dans son coin, comme peut le soutenir le centre d’analyse stratégique :

"Le marché unique européen pousserait les pays les moins avancés de l’Union vers davantage de spécialisation tandis que le cœur de l’Union se renforce et se diversifie. Il s’ensuit que les pays périphériques sont davantage exposés en cas de choc". Et l’absence de coordination économique n’est pas seule à avoir participé au phénomène de divergence.

L’effet boomerang des fonds structurels européens

En effet, un autre facteur économique est venu surprendre les auteurs du projet européen : l’effet pervers des fonds structurels européens. Afin de minimiser les divergences de développement entre les différentes zones, régions des pays membres, d’importants fonds européens ont été versés, majoritairement pour soutenir le développement des pays du sud, notamment au travers de dépenses d’infrastructures. Or, selon le centre d’analyse stratégique, le résultat a été contreproductif:

"Si influence positive il y a, il semble que ce soient les régions qui étaient déjà développées qui en tirent le plus de bénéfices. Il semble donc qu’il existe un paradoxe sur l’effet des fonds structurels si l’on se fie aux enseignements de la nouvelle économie géographique : l’amélioration des infrastructures de transport et de télécommunications dans les régions défavorisées a pu jouer contre elles, facilitant les effets d’agglomération. En effet, un meilleur accès aux régions défavorisées induit une diversification de leurs sources d’approvisionnement et peut favoriser une plus grande concentration des structures de production dans les régions développées compte tenu des rendements d’échelle".

Les fonds structurels devaient permettre de désenclaver certaines zones géographiques du continent, et si le désenclavement a bien eu lieu, il a été fait au profit des régions les plus fortes, qui ont pu y trouver de nouveaux débouchés.

Une démographie à plusieurs vitesses 

23 ans après la signature du Traité de Maastricht, une autre réalité est venue rattraper l’esprit de convergence des pères fondateurs ; la démographie. Alors que la population active allemande est attendue en baisse de 28% pour l’année 2060, c’est au contraire une hausse de 5% qui est envisagée pour la France. Ainsi, et étant donné que la population européenne a une très faible tendance à la mobilité interne puisque "seuls 2,3% des citoyens européens vivent actuellement dans un pays de l’UE 27 autre que leur pays d’origine" (selon la Banque Natixis), ces différences de dynamique démographique produisent un véritable casse-tête pour la politique macroéconomique européenne.

Au lieu d’être confronté à un ensemble parfaitement homogène, comme peuvent l’être les Etats Unis, il ne s’agit en réalité que d’une zone composée de 19 entités distinctes. Le résultat fait des gagnants, et des perdants, en fonction des dynamiques de chacun. Malheur à celui dont la population active croît plus vite que celle de l’ensemble, car c’est une hausse de chômage assurée qui se profilera. Malheur à celui dont la démographie plonge plus vite que l’ensemble, car, faute de trouver de nouveaux salariés (migrants), c’est la pression inflationniste qui s’imposera dans le temps. A moins de trouver le remède miracle permettant que les salariés européens deviennent parfaitement mobiles dans un espace aussi contrasté, et aussi vaste, cette problématique ne fera que se renforcer dans le temps.

Une zone euro plus victime de ses propres erreurs de gestion de crise que d’une impossibilité de la convergence

Malgré l’ensemble de ces difficultés, la grande divergence des Etats membres n’est pas inscrite dans les gênes de la construction européenne. Il s’agit bien plus du résultat d’une calamiteuse gestion de crise depuis l’année 2008, que d’un destin inexorable. Car il ne fait que peu de doute que les premières années de la zone euro ont été un succès ; croissance supérieure dans les pays du sud, rafistolage progressif de la compétitivité allemande, baisse continue du chômage et élévation du niveau de vie de l’ensemble de la population. Entre 1999 et 2008, la zone euro a été un succès. L’intérêt général européen ne faisait alors aucun doute. Et 2008 a tout gâché, non pas que la crise fut intraitable, car elle ne fut que mal traitée. Ceci notamment en raison d’intérêts particuliers prenant presque naturellement le dessus sur l’intérêt général. Mais surtout en raison d’une faillite totale et historique de la BCE à exercer correctement sa mission de stabilisation économique entre les années 2008 et 2012, sous la présidence d’un Jean-Claude Trichet totalement dépassé. (La double erreur de hausse des taux ; de 2008 et de 2011, figure en bonne place du grand bêtiser de l’histoire économique mondiale).

En effet, en faisant le choix plus ou moins clair de privilégier une modèle économique plutôt qu’un autre, c’est-à-dire en exerçant une politique monétaire judicieusement adaptée aux pays du nord, et parfaitement destructrice pour les pays du Sud, la BCE a fait exploser l’idée d’un possible horizon commun. Aussi longtemps que le projet européen se résumera à vouloir transformer un continent entier sur la base du modèle mercantiliste allemand, en évitant soigneusement de prendre en compte les réalités de chacun, cette divergence ne pourra que continuer de s’imposer.

Et pourtant, un simple rééquilibrage macroéconomique permettrait de corriger la majorité des effets pervers de la zone euro. En acceptant enfin, et principalement, de mener une politique monétaire adaptée à l’ensemble de la zone plutôt qu’à quelques-uns, ce qui pourrait être obtenu un complétant le mandat de stabilité des prix de la BCE par un objectif de plein emploi. Sur une telle base, un processus d’intégration serait alors crédible, viable, et seul capable de pouvoir affronter le prochain défi de la zone euro : cette redoutable équation que représente la contradiction entre différentiel démographique et faible mobilité des travailleurs. Pour cela, il faudrait que les dirigeants européens retrouvent la raison, et notamment dans le traitement du dossier grec.

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