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Il est possible de sortir de l’affrontement stérile entre "élitisme" et "populisme". La preuve par Boris Johnson
©Ben STANSALL / AFP

Brexit

Le parti conservateur britannique a obtenu la majorité absolue lors des élections législative de jeudi. Le Premier ministre Boris Johnson va être en mesure de mettre en oeuvre le Brexit d'ici au 31 janvier 2020.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Jubilatoire ! Il est rare qu’une élection donne une telle satisfaction intellectuelle et politique. Tant d’éléments convergeaient pour faire anticiper la victoire de Boris Johnson. Mais rien n’est sûr tant que les bureaux de vote ne sont pas fermés et les bulletins dépouillés. Ce matin, nous avons la confirmation de l’immense victoire de Boris Johnson et des conservateurs. Et toutes les analyses électorales d’anticipation sont confirmées: le nord de l’Angleterre a basculé en faveur des Tories. La défaite du Labour de Jeremy Corbyn signifie la fin du blairisme, ce curieux croisement de la tradition travailliste avec le néolibéralisme. Mais il y a aussi Jo Swinson, présidente des LibDems, qui est défaite par un candidat nationaliste écossais. Il y a la défaite de Dominic Grieve et de tous les Remainers du parti conservateur qui avaient déclaré la guerre à Johnson et voulaient se faire réélire comme « indépendants ». 

Jubilatoire, parce que les journalistes de la plupart des chaînes de télévision britanniques, hier soir, avaient du mal à camoufler leur déception ou leur stupéfaction. La politique est un art simple et tout d’exécution, pourrait-on dire à propos de Boris Johnson, en détournant la célèbre formule de Napoléon sur la guerre. Les chansonniers, et même ses amis politiques, se sont moqués, dans la dernière semaine de la campagne, de la manière dont le Premier Ministre martelait sans se lasser les trois mêmes mots: « Get Brexit Done ! ». Passait-il plus de cinq minutes sans les prononcer? Eh bien, la campagne de 2019 restera comme un modèle du genre dans les écoles de sciences politiques et, espérons-le, dans les partis politiques. Ce n’est pas seulement la célèbre « Oneness of mind », la capacité britannique à se concentrer sur un objectif simple et pratique, qui est ici illustrée. C’est aussi le fait qu’il est possible de sortir de la crise de la démocratie sans être populiste. Boris Johnson a répondu, si l’on ose dire, à l’anticipation et au souhait de David Goodhart dans son livre The Road to Somewhere. Il a forgé un pacte, un compromis entre une partie des élites et les classes moyennes en déclassement ainsi que les classes populaires. 

Jubilatoire mais aussi réconfortant pour l’avenir de l’Europe. Boris Johnson montre qu’il est possible de sortir de l’affrontement entre « élitisme » et « populisme ». C’est un homme qui appartient aux élites européennes, qui a fait Eton et Oxford, qui a été le maire de l’une des métropoles les plus mondialisées du monde, Londres, qui vient de faire respecter le vote de 2016 sur le Brexit, c’est-à-dire de faire respecter la voix de tous les « enracinés », les « déplorables », les plus fragiles, qui avaient voté Brexit et assistaient, impuissants, à la tentative de hold up d’une partie des parlementaires, des hauts fonctionnaires britanniques et des technocrates bruxellois sur le résultat. Il s’agit d’un immense résultat électoral; aussi important que la césure de 1979, qui avait lancé le déclin du socialisme dans le monde. Il ne faudra pas oublier l’assurance, l’arrogance même, avec laquelle à Paris, à Berlin ou à Bruxelles, on nous assurait que les Britanniques ne savaient pas ce qu’ils faisaient, qu’on allait les ramener dans le droit chemin. Une absence, un moment de folie? On aura eu droit, finalement, pendant trois ans à un immense déni de réalité des élites européennes. 

Il y a quelques jours, Boris Johnson en campagne était aux commandes d’un tracteur-pelleteuse repeint aux couleurs de l’Union Jack, où l’on lisait « Get Brexit Done! »; et il s’est fait filmer en train de renverser un mur avec son solide engin. C’est bien un mur que Johnson a renversé, celui de tous les conformismes bâtis par une élite dirigeante qui avait fait sortir le libéralisme de Margaret Thatcher de son cadre national (modérateur) pour un faire une immense machine à financiariser et désindustrialiser les économies. Les Britanniques ont saisi l’occasion du Brexit, voici trois ans et demi, pour réclamer un changement de politique. Malgré trois ans et demi d’immobilisme d’une partie du monde dirigeant, ce souhait sera finalement respecté. 

Nous avions appris dans nos manuels d’histoire qu’on ne s’oppose pas à la volonté d’un peuple, que les nations sont des réalités. Encore faut-il qu’il y ait une personnalité politique capable de porter les aspirations profondes d’une société, les expliciter, les rendre efficaces politiquement. La Grande-Bretagne a la chance d’avoir Boris Johnson. Elle a la chance, aussi, d’avoir, au sein du parti conservateur, un certain nombre de personnalités qui allient le courage à l’intelligence. De telles personnalités existent aussi chez les travaillistes mais elles ont été écartées par Jeremy Corbyn. Au bout du compte, c’est à la fois un nouveau conservatisme qui a fait élire Boris Johnson (les Tories tournent la page du néolibéralisme) et, en fait, un retour aux sources du parti de Benjamin Disraeli: One-Nation Conservatism, démocratie Tory, Toryisme rouge ou radical: Johnson a emprunté à ces courants qui sans doute n’en font qu’un puisqu’ils ont pour but de réaliser le mot d’ordre disraelien depuis les années 1840, rassembler, réconcilier, ressouder les « deux nations », l’Angleterre des métropoles et l’Angleterre périphérique.  

Et l’Ecosse, dira-t-on, qui a voté massivement pour le parti nationaliste SNP? N’est-ce pas là un nouvel antagonisme de « deux nations », qui vient se substituer à l’affrontement social de ces dernières années?  Je suis prêt à prendre le pari qu’il y aura, une fois de plus dans l’histoire britannique, un compromis. D’abord parce qu’à Londres et à Edimbourg on parle désormais le même idiome, celui de l’identité; ensuite parce que le rapport de forces est disproportionné. En position de force, Boris Johnson va négocier un accord très favorables aux intérêts britanniques. Et il n’oubliera pas l’Ecosse dans ses revendications. 

En fait, on pourrait sous-estimer la portée de ce qui vient de se passer. Non seulement la Grande-Bretagne impose sa volonté à l’Union Européenne; mais le prestige de Londres va désormais remonter à grande vitesse dans les affaires du monde. Le conservatisme johnsonien va faire école dans un monde confronté, partout, à la montée des inégalités et à la tentation des élites de confisquer la démocratie. 

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