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L'idée d'un protectionnisme européen finira-t-elle par s'imposer ?
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ProtectiUEnnisme

En présentant ses 32 propositions chiffrées Nicolas Sarkozy a dévoilé sa « Lettre au peuple français ». Le président-candidat prône une politique plus stricte quant à l'ouverture des frontières européennes. Mais cette idée pourrait-elle être entendue ?

Julien Winock

Julien Winock

Après avoir travaillé dans l'édition et dans l'internet culturel, Julien Winock a fait partie de plusieurs cabinets ministériels.

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Le protectionnisme a franchi les limites de la querelle d’initiés pour s’inviter dans la campagne présidentielle. Peu nombreux sur la place publique avant l’automne dernier, ses thuriféraires de longue date tels Jacques Sapir, Jean-Luc Gréau, Hervé Juvin, Emmanuel Todd ou encore Hakim El-Karoui, sont aujourd’hui rejoints par de nouveaux ralliés de tous horizons, à commencer par Nicolas Sarkozy. En défendant le principe de la réciprocité dans l’ouverture des frontières, le président-candidat vient en effet d’enfreindre un tabou vieux d’un quart de siècle.Aucun dirigeant français ne s’était jusqu’alors aventuré à remettre en cause l’ouverture quasi-totale des frontières européennes aux biens et services venus du reste du monde.

Le discours dominant sur le protectionnisme est bien connu : il serait un instrument au service des égoïsmes nationaux et du repli sur soi, il ne pourrait servir qu’à nuire aux efforts de compétitivité auxquels les Européens doivent s’astreindre. Rien ne remplacerait un libre-échange symbole d’ouverture et de tolérance entre les peuples et instrument d’une mondialisation bénéfique aux pays en développement…Plusieurs éléments sont pourtant venus assombrir ce tableau idyllique.

Avec 500 000 emplois industriels perdus entre 2000 et 2010, la France perd ses usines en masse et ne parvient pas à recaser une main d’œuvre peu qualifiée vivant dans des territoires où les nouveaux gisements d’emplois sont des plus rares. Les odes à la compétitivité et à l’innovation n’ont guère de chance de toucher des quinquagénaires qui ont fabriqué des jeans ou des vélos pendant 30 ans. Pris en charge par un Etat Providence aujourd’hui exsangue, ces anciens ouvriers désespérant de retrouver un nouvel emploi se sentent abandonnés par un pouvoir politique qui ne peut rien changer sur le fond. Les règles commerciales édictées par Bruxelles restent fondées sur le même crédo du libre-échange en dépit d’un manque évident de réciprocité de la part des grands pays exportateurs, à commencer par la Chine.

De quoi s’agit-il au fond lorsque l’on évoque un retour du protectionnisme ? Les défenseurs du « juste échange » ne prônent pas le retour de barrières tarifaires étanches pour barrer la route aux importations de produits à bas coût. L’idée est d’imposer une forme de réciprocité entre les pays industrialisés et les pays émergents en s’attaquant aux différentes formes de dumping pratiquées. Car les coûts de production dérisoires ne sont pas seuls en cause. La Chine par exemple pratique une sous-évaluation du Yuan qui équivaut à une subvention massive de ses exportations ; ses normes sociales et environnementales d’une exigence dérisoire comparées aux nôtres diminuent davantage encore ses coûts de production. Tout est fait en revanche pour dissuader les produits étrangers de pénétrer le marché chinois : règlementation tatillonne, préférence nationale dans les appels d’offres sans oublier l’inconvertibilité d’une monnaie qui oblige ceux qui la détienne à ne l’utiliser que pour acheter ou investir…en Chine

Les défenseurs du protectionnisme considèrent dans de telles conditions qu’il est légitime de rétablir une certaine équité dans les échanges, en instaurant des droits de douane sur les marchandises produites dans des conditions sociales, environnementales ou fiscales jugées déloyales. Des pays bafouant les normes de l’Organisation Internationale du Travail ou ne respectant pas les limites d’émissions de CO2 se verraient ainsi taxés leurs produits à l’entrée de l’Union européenne. Reste à savoir ce qui serait fait du produit de ces droits de douane…De manière logique, cet argent devrait remplir les caisses de l’Etat concerné qui a en bien besoin par les temps qui courent. Plus audacieuse est l’idée de réaffecter le produit de ces droits de douane, soit aux organisations internationales chargées de faire appliquer les règles d’équité (notamment l’OIT), soit auprès d’organisations multilatérales vouées à l’aide au développement (programme alimentaire mondiale, PNUD, ONG…[1])

Quelle que soit la forme choisie, cette régulation des échanges doit de toute façon passer un obstacle de taille : la lourde procédure communautaire. La mise en place de ces barrières douanières ne requiert pas, il est vrai, l’accord unanime des 27 pays membres de l’Union Européenne ; une simple majorité qualifiée suffirait à faire adopter une telle mesure. Cela signifie tout de même une majorité d’Etats représentant 65 % de la population de l’UE. Rien d’impossible donc, en théorie, mais le chemin menant à ce protectionnisme européen version soft promet d’être bien long…


[1] Ce protectionnisme social est mis en avant par 3 journalistes économiques, Franck DEDIEU, Benjamin MASSE-STAMBERGER et ADRIEN de TRICORNOT, dans leur ouvrage paru en décembre dernier aux Editions Gallimard, Inévitable protectionnisme 

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