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Hystérie de la transparence : pourquoi les nouveaux croisés de l’indignation sont dangereux ET hypocrites
©Reuters

#BalanceTonPorc, je balancerai ton optimisation fiscale

Les Paradise Papers ou la vague de dénonciation contre le harcèlement sont l'occasion de cultiver une certaine indignation morale qui ne permet pas de faire le tri entre les faits qui tombent sous le coup de la loi, et les autres.

Erwan Le Noan

Erwan Le Noan

Erwan Le Noan est consultant en stratégie et président d’une association qui prépare les lycéens de ZEP aux concours des grandes écoles et à l’entrée dans l’enseignement supérieur.

Avocat de formation, spécialisé en droit de la concurrence, il a été rapporteur de groupes de travail économiques et collabore à plusieurs think tanks. Il enseigne le droit et la macro-économie à Sciences Po (IEP Paris).

Il écrit sur www.toujourspluslibre.com

Twitter : @erwanlenoan

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Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Atlantico : Le lynchage médiatique qui touche des personnalités diverses telles que Kevin Spacey, accusé de harcèlement ou Jean-Jacques Annaud conspué depuis la révélation lors des Paradise Papers de son montage financier (qui serait pourtant légal) ne sont-ils pas la preuve de la montée en force d'un certaine croisade morale sur la scène politique et médiatique ? Ne peut on pas également voir une forme d’hypocrisie, notamment lorsque le journal Le Monde, à l'origine des Paradise Papers, publie dans le même temps un article consacré à "comment réduire au maximum son ISF" ? 

​Eric Verhaeghe : Vous avez assez raison de mettre en parallèle l'extrême violence qui règne sur les questions d'optimisation fiscale, et le climat de suspicion irrationnelle qui touche la sphère des médias concernant le harcèlement sexuel. Il n 'y a pas qu'une question de hasard de calendrier qui permette de juxtaposer les deux phénomènes. En réalité, ils procèdent d'une même logique, et d'une même entreprise de destitution: celle de l'influence masculine "bourgeoise" dans notre société. La chasse au riche blanc est ouverte. Celui-là est taxé de tous les maux, et peu à peu il devra vivre en montrant patte blanche: fraudeur, harceleur, voire violeur, immoral, égoïste, cherchant à se soustraire à l'impôt, etc. En creux, et le moment est intéressant de ce point de vue, c'est le portrait robot d'un bouc-émissaire qui se dessine: celui de l'homme blanc qui appartient à l'élite et dont les caractéristiques traditionnelles d'affirmation de soi sont mises en procès. La virilité, l'aisance deviennent des preuves de filouterie. Au passage, ce procès permet de remettre en cause la réhabilitation que le terrorisme islamiste avait permise: on peut habilement de détourner l'attention portée aux dangers de l'Islam radical en diabolisant les hommes blancs. 

Comme vous le suggérez très bien, la morale est ici un prétexte, un levier. Bien entendu que les détracteurs de l'optimisation fiscale ont ici une morale sélective, désapprouvant l'optimisation au bénéfice de Bahamas, mais approuvant largement celle qui profite aux pays européens, ou en tout cas faisant mine de l'ignorer. L'objectif est ailleurs que dans la moralisation. Il vise surtout à justifier une prochaine mise sous contrôle renforcé de l'establishment occidental par les machines étatiques. 

Entendez-moi bien: je ne dis que cette opération est montée de toutes pièces pour juxtaposer les mises en accusation de harcèlement et celles concernant l'optimisation fiscale. Je dis juste qu'à quelque chose malheur est bon, et que la vigueur de la campagne médiatique qui se déroule s'explique d'abord par la "sensibilité" de l'opinion publique à la mise en procès de l'establishment blanc masculin. 

Erwan Le Noan : [qui n'a pas souhaité traité la partie harcèlement et ne parle que des Paradise Papers] La « non » affaire des Paradise Papers est particulièrement intéressante pour un observateur et particulièrement inquiétante. Jusqu’à ce jour, elle n’a révélé aucune fraude, aucune pratique illégale en matière de fiscalité. Elle met au grand jour des pratiques qui, bien que légales, choquent une partie de l’opinion : il est bien normal que celle-ci réagisse avec outrage, puisque c’est précisément ce qu’on lui demande et qu’on lui présente des faits autorisés par la loi comme étant intolérables. A ce titre, il est vraiment étonnant de voir des journalistes se faire non des informateurs pédagogiques mais des militants revendiqués d’une cause, au nom d’indicateurs moraux qu’ils définissent eux-mêmes.

Une partie de la presse et des commentateurs politiques tient ainsi un discours depuis le début de semaine qui consiste à expliquer que payer moins d’impôts est un scandale social, un péril démocratique et une salissure morale. Cela me semble inapproprié.

Si la fiscalité est le reflet d’un choix social, en France nous avons visiblement fait celui de prélever énormément (un record des pays développés) pour dépenser au maximum (également un record), sans se soucier de l’efficacité  de cet effort financier considérable ni de ses résultats. Mais la fiscalité est aussi un indicateur de notre esprit démocratique : prélever l’impôt, c’est, de fait, porter atteinte au droit de propriété en confisquant aux citoyens (individus ou entreprises) ce qu’ils ont créé et ce qui leur appartient légitimement. Plus on taxe, plus on réduit, de fait, leur liberté (et plus on crée de la dépense publique, dont l’usage doit lui-même être strictement surveillé, impliquant des intrusions dans la vie des individus). 

Or, ce qui est choquant dans ce débat sur les Paradise Papers, c’est qu’une partie du discours consiste à prétendre qu’en réalisant leurs montages juridiques (légaux !), les personnes mises en cause détroussent les Etats (les « volent » dit même Xavier Bertrand). Ce discours est dangereux : c’est une menace directe et immédiate contre la démocratie et la liberté. L’argent n’appartient pas à l’Etat mais à ceux qui produisent la richesse ! Au fond, ce discours légitime l’idée qu’il est normal que la puissance publique maitrise nos vies, contrôle nos choix, restreigne au maximum notre liberté ! C’est exactement ce que Hayek décrivait dans La route de la servitude.

Tout cela est d’autant plus ironique et hypocrite effectivement que dans le même temps, Le Monde encourage l’optimisation dans son propre journal et les politiques réclament des niches fiscales diverses ! Xavier Bertrand prétendait il y a un an mettre les pieds dans le plat en dénonçant la fiscalité excessive (il avait démissionné de l’association des régions avec un éclat médiatique bien organisé) : son discours fiscal semble d’une cohérence bien faible.

Le problème n'est-il pas d'une certaine façon qu'en restant dans le domaine de la condamnation morale, on risque de ne pas résoudre les problèmes soulevés par ce genre de révélations ? L'indignation morale n'agit-elle pas comme un voile masquant les problématiques de fond? 

​​Eric Verhaeghe : Je dirais même qu'on a recours à l'indignation morale pour ne surtout pas régler les problèmes. Le réflexe, concernant l'optimisation fiscale par exemple, consistant à dénoncer l'immoralité de ceux qui veulent échapper à l'impôt ne manque pas de piquant. En effet, l'optimisation fiscale est la doctrine en vigueur en France pour susciter la croissance. Depuis des années, on crée des niches pour pousser tel ou tel agent économique à dépenser ou à investir. Et un jour on se réveille et on met en accusation tous ceux qu'on a poussé à optimiser. Sur ce point, personne n'a effectivement le courage de poser la question de l'impôt confiscatoire qui constitue un véritable pousse à l'optimisation. Certains semblent s'imaginer en France qu'on peut impunément sortir de l'assiette de l'impôt sur le revenu la moitié des Français et soumettre l'autre moitié à des taux de 45% sans qu'une réaction se produise. C'est absurde. Ceux-là même qui se font aujourd'hui les apôtres de l'impôt se vantent fréquemment d'augmenter le nombre de Français qui ne paient plus l'impôt sur le revenu. Tout cela n'est évidemment pas sérieux, et le message qui est passé est, comme toujours: on veut bien vous faire une fleur si vous défiscalisez au bon endroit, c'est-à-dire au Luxembourg ou aux Pays-Bas, pays sur lesquels l'indignation est curieusement moins violente parce qu'elle nous profite plus directement. 

On dira la même chose du harcèlement moral dans le cadre professionnel. Depuis des années, tout le monde accepte une opacité parfaite dans le fonctionnement, et le favoritisme à tous les étages. Personne ne s'offusque de voir que le recrutement dans les médias soit un système de passe-droits généralisé. J'en veux pour preuve la masse colossale d'héritiers qui se croisent dans les couloirs des médias français. Dans cette foire d'empoigne sans foi ni loi, bien sûr que tous les moyens sont bons pour réussir. On ne règlera le problème qu'en remettant des critères de transparence dans les carrières. 

Erwan Le Noan : L’indignation morale interdit de poser sereinement les questions qui structurent la vie commune. Celle qui se pose ici est de savoir quel niveau de fiscalité la France souhaite mettre en œuvre, pour quel modèle de société.  Visiblement, un certain nombre de commentateurs ne souhaitent même pas y réfléchir car ce qui les intéresse est de promouvoir de façon militante leur propre vision de la société, faite d’égalitarisme et de fiscalité élevée au maximum.

Ce faisant, on ne parle pas du tout des vrais sujets : celui de l’efficacité économique de l’impôt ; celui de la liberté individuelle et de l’impôt ; celui de l’harmonisation fiscale européenne. On peut très bien considérer que des impôts records et un contrôle social maximum dans toute l’Union européenne serait une bonne piste politique, mais il faut le démontrer et cela mérite débat. L’indignation morale permet d’éviter de débat démocratique.

Selon un sondage Elabe du 6 novembre, seuls 13% des Français estimaient être "marqués" par la loi de moralisation du gouvernement, soit un niveau faible à mettre en relation avec la médiatisation de cette loi, dont l'origine politique est à chercher dans l'affaire Fillon. Ne peut on pas y voir un signe d'un décalage entre l'indignation médiatique, et celle des français pris dans leur ensemble ? 

​Eric Verhaeghe : Peu de Français sont en effet concernés par les pratiques de l'establishment mâle blanc visé par la campagne actuellement en cours. Peu de Français comprennent l'optimisation fiscale, le conflit d'intérêt ou le harcèlement sexuel dans le monde professionnel. Pour le Français moyen, le favoritisme, c'est plutôt le franc-maçon local qui obtient des marchés par copinages, et le harcèlement, c'est plutôt les adolescentes qui n'osent plus porter de jupe par peur de se faire insulter dans la rue. 

De ce point de vue, je trouve que l'opération Paradise Papers n'a pas été, et c'est une faute de la part des médias français qui y participent, présentée de façon sérieuse. Elle procède d'un populisme facile qui n'honore pas les médias en question. Sans surprise, un Mélenchon en a déduit le lendemain un "tous pourris" auquel Le Monde avait soigneusement déblayé le terrain, oubliant par exemple de redire avec force que les "Paradise Papers" font l'impasse sur l'essentiel de la défiscalisation qui a lieu au Luxembourg. Le Monde a traité tardivement la défiscalisation aux Pays-Bas. Le renvoi dos-à-dos implicite mais suggéré par le nom "paradise papers" aux pratiques frauduleuses du "panama papers" a clairement nourri le "tous pourris" dans l'esprit des Français qui vivent loin de tout cela. 

Erwan Le Noan Il me semble que les Français ont des attentes très fortes – et légitimes – en matière de transparence de la vie publique : cet objectif de droit est un sujet démocratique très important pour l’ensemble des sociétés occidentales. Mais pour « moraliser » la vie politique, c’est-à-dire pour passer à une mise en œuvre spontanée des principes éthiques vantés pendant la campagne, il faut que les comportements jugés vertueux s’inscrivent dans la pratique des élus. 

Or, cela prend du temps, à se mettre en œuvre et à se traduire de façon claire pour les électeurs : ces textes ne révolutionnent pas la société à partir du moment où ils sont publiés au Journal officiel. Ensuite, l’ « affaire » Ferrand a probablement fait du mal au gouvernement en la matière, nuisant à son action législative. Enfin, la loi était de toute manière incomplète et déséquilibrée ; elle s’est attaquée à quelques faits saillants qui avaient choqué mais elle n’a rien changé sur le fond : les élus continuent de conserver cet esprit de privilège qui fait fonctionner la République ; et rien n’a été fait pour commencer d’envisager d’aborder le sujet de la fonctionnarisation de la vie publique. 

Ce texte a apporté quelques éléments intéressants, mais c’était un texte d’affichage politique ; et les affiches finissent toujours par disparaître des murs comme de l’esprit du public.

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