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Hubert Védrine : "Devoir d'ingérence ? Il faut oublier ce mot !"
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Libye

Faut-il intervenir en Libye ? Pas "d'ingérence" mais un "devoir de protection" des populations menacées. L'ancien ministre socialiste des Affaires étrangères se méfie des va t'en guerre et revient pour Atlantico sur les pièges d'une situation tendue : "nous ne pouvons pas invoquer sans arrêt le droit à la démocratie, le droit international et ne pas tenir compte de l’obligation d’avoir l’accord des membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU pour une intervention".

Hubert Védrine

Hubert Védrine

Hubert Védrine fut ministre des Affaires étrangères du gouvernement de Lionel Jospin de 1997 à 2002.

Il fut également conseiller diplomatique de François Mitterrand et a créé en 2003 une société de conseil en stratégie géopolitique appelée Hubert Védrine Conseil.

Il a récemment publié La France au défi aux éditions Fayard. 

 

 

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Atlantico : C'est ce vendredi 11 mars que se tient à Bruxelles un sommet européen consacré à la situation en Libye et aux révoltes arabes. Pensez-vous que le concept d'ingérence puisse s’appliquer aujourd’hui à la situation en Libye ?

Hubert Védrine : J’ai toujours été réticent par rapport à la notion de « droit d’ingérence » et encore plus de « devoir d’ingérence » tellement il me semblait que ça ressemblait aux arguments évoqués pendant toute l’histoire coloniale. Il faut oublier ce mot, c’est un concept délégitimé par l’histoire. Depuis que ce terme est devenu populaire en France, il y a 30 ans, on n’a jamais réussi à répondre à la question qui s’ingère chez qui et au nom de quoi ? Il n’y a jamais eu de réponse. Le droit d’ingérence a été décidé de manière unilatérale par les Occidentaux : comme par hasard ce sont toujours eux qui pensaient avoir le droit de s’ingérer dans les affaires des pays du Sud. Jamais les pays du Sud n’ont imaginé intervenir en Irlande du Nord, par exemple.

C’est l’une des raisons pour lesquelles ce concept a toujours été rejeté dans les pays du Sud. Ca ne veut pas dire qu’ils avaient toujours raison : ils le rejetaient aussi pour justifier des pratiques inacceptables.

Certains néo-conservateurs aux États-Unis, relayés en Europe, prétendent maintenant que l’intervention américaine en Irak a préparé le terrain pour les révolutions arabes. Je ne le pense pas. La politique étrangère de George W. Bush, c’était vraiment la caricature à l’extrême du concept de droit d’ingérence. Les États-Unis sont intervenus en Irak en s’appuyant sur des arguments mensongers, sous prétexte d’apporter la démocratie, comme si elle allait être contagieuse.

Au contraire, cette façon de justifier la guerre en Irak voulait dire que la seule manière pour les pays arabes de se démocratiser était de l’être par une armée extérieure. Nous sommes là une nouvelle fois dans l’incapacité de penser que les peuples arabes peuvent avoir une autonomie dans leur propre histoire. En fait, c’est exactement l’inverse qui se produit. La démocratisation armée exogène n’a rien à voir avec les révoltes arabes endogènes. Ce qui s’est déroulé en Tunisie et en Egypte, même si c’est le début d’un processus très long, correspond à une situation totalement différente. Il s’agit de révoltes extrêmement courageuses, tout à fait novatrices, et c’est choquant de prétendre que ces peuples se révolteraient parce que Bush les aurait inspirés.

Toutefois, je crois à la notion de « responsabilité de protéger ». Lorsque j’étais ministre des Affaires étrangères, j’avais non seulement accepté mais aussi soutenu le travail lancé par Kofi Annan qui avait demandé à l’ambassadeur algérien d’alors de trouver une synthèse dans le cadre de l’ONU. La plupart des pays des Nations Unies rejettent l’idée d’ingérence et en même temps ne peuvent pas contester que face à certains drames particulièrement aigus, il faut faire quelque chose. Nous nous étions donc  arrêtés sur cette notion de « responsabilité de protéger ».

Et aujourd’hui, que pensez-vous de la situation libyenne ?

A l’heure actuelle, nous ne devons pas nous remettre dans une situation d’intervention militaire coloniale à l’ancienne, car c’est évidemment très facile pour Kadhafi et ceux qui lui sont encore fidèles d’invoquer le colonialisme, l’impérialisme, etc. Nous ne pouvons pas invoquer sans arrêt le droit à la démocratie, le droit international et ne pas tenir compte de l’obligation d’avoir l’accord des membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU pour une intervention. Peut-être qu’on aurait pu ces derniers jours aller plus vite et faire davantage pression pour obliger la Russie et la Chine à prendre leurs responsabilités. Mais de toute façon la question est en train d’être dépassée pratiquement. On a perdu trop de temps. On a renoncé à la voie de l’ONU car elle semblait impossible. Je le regrette. Peut-être qu’il y avait des moyens d’obtenir que la Chine et la Russie s’abstiennent, en tout cas qu’elles ne mettent pas leur veto…

Mais alors que faire désormais ?

On ne peut pas rester passif face à la reconquête possible par les forces de Kadhafi des zones qui se sont libérées en prenant des risques gigantesques. Je ne sais pas quelle forme cela doit prendre – je ne suis pas en fonction, je n’ai pas tous les éléments d’appréciation – mais il est impossible qu’on ne fasse rien. Attention, je ne défends pas l’ingérence, mais il ne faut pas se laisser ligoter complètement par le droit international. Il faut donc trouver une forme d’aide à des populations qui se sont révoltées courageusement sans tomber dans les inconvénients du passé. 

Ne retombons pas dans une situation néo-coloniale, il ne faut pas que des pays occidentaux interviennent seuls, il faut agir en liaison avec d’autres pays arabes. La Ligue arabe a envoyé des signaux dans ce sens ces derniers jours, l’organisation de la conférence islamique aussi. Il faut donc absolument s’appuyer sur une coalition politique qui ne soit pas uniquement formé d’anciens pays coloniaux.

Cela peut-il passer par une intervention armée en Libye ?

Il ne faut rien exclure.

Y compris les bombardements ?

Je n’entre pas dans le détail, je n’ai pas les éléments exacts techniques et militaires. Donc je vous réponds sur le plan des principes.

Que pensez-vous de la politique du gouvernement français dans le contexte libyen ?

Je ne fais pas de commentaires de politique intérieure. Ce n’est pas le sujet. Il me semble que la France est assez allante, qu’elle a envie de faire quelque chose, elle ne se borne pas à constater que rien n’est possible. Je parle de la France de ces derniers jours, depuis qu’Alain Juppé est à la tête du ministère des Affaires étrangères. J’approuve cette attitude, mais je ne sais pas ce qu’elle pourra donner en pratique.

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