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Hommage populaire à Johnny Hallyday : une figure à la phénoménale complexité
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Phénomène artistique. Phénomène social. Phénomène culturel. Phénomène humain. Johnny Hallyday était tout cela.

Michel Fize

Michel Fize

Michel Fize est un sociologue, ancien chercheur au CNRS, écrivain, ancien conseiller régional d'Ile de France, ardent défenseur de la cause animale.

Il est l'auteur d'une quarantaine d'ouvrages dont La Démocratie familiale (Presses de la Renaissance, 1990), Le Livre noir de la jeunesse (Presses de la Renaissance, 2007), L'Individualisme démocratique (L'Oeuvre, 2010), Jeunesses à l'abandon (Mimésis, 2016), La Crise morale de la France et des Français (Mimésis, 2017). Son dernier livre : De l'abîme à l'espoir (Mimésis, 2021)

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Johnny Hallyday, qui nous a quittés mercredi matin très tôt, était un phénomène. Phénomène artistique. Phénomène social. Phénomène culturel. Phénomène humain.

Phénomène artistique, et pas seulement musical, car Johnny était plus qu’un chanteur, c’était un metteur en scène, un chorégraphe, un comédien, doté de surcroît d’un formidable charisme. D’où ce plein succès obtenu. Que l’on en juge par ces quelques chiffres : 183 tournées en près de soixante ans de carrière, 3 200 concerts – dont plus de 200 à Paris (9 au seul Stade de France), 28 millions de spectateurs. Johnny Hallyday a chanté 1 100 chansons, dont 200 ont été des « tubes ». Il a réalisé 50 albums-studio et 29 albums-live, obtenu 40 disques d’or et écoulé 110 millions de disques. Il a au total fait l’objet de 2 000 couvertures de journaux et magazines, dont 77 couvertures de Paris-Match.

Johnny Hallyday, c’était sans conteste un « incroyable talent », comme on dit à la télé aujourd’hui, un showman avéré, un « inventeur » de spectacles hors-pair. Aucun autre artiste français vivant n’a fait mieux, et sans doute faudra-t-il attendre longtemps avant de retrouver une telle « bête de scène ».

Phénomène social. La carrière de Johnny Hallyday s’étend sur un demi-siècle, sur toute la Vème République. Elle s’ouvre avec ce phénomène musical qu’on nommera les « yé-yé » - dont nous reparlerons. Elle se poursuit avec cet autre phénomène, les hippies, dont Johnny revêtira les habits, portant ces cheveux longs qu’il dénonçait chez Antoine quelques années plus tôt. Et puis c’est en 1973-1975 la sortie des « Trente Glorieuses » et l’entrée dans la crise économique mondiale. Johnny est toujours là. Il s’adapte aux temps nouveaux. Sa musique rebelle de ses débuts s’adoucit. Alors, il fédère autour de lui. Fabien Lecoeuvre, le spécialiste de la chanson française, parle de « phénomène religieux », de « grand-messe » avec celui que beaucoup nomment aujourd’hui l’« archange ». Ce n’est pas faux. Johnny re-lie (du latin re-ligare qui a donné le mot « religion »). Au fil des ans, de nouveaux publics s’agrègent au public jeune du début. A la fin de sa vie, toutes les générations, hommes et femmes, ouvriers et cadres, étaient à ses concerts.

Phénomène culturel. Johnny, au tout début des années-soixante, se retrouve au milieu d’une bande d’artistes d’un nouveau genre. Il y a là, fait remarquable, autant de filles que de garçons. A côté des Sheila, Sylvie Vartan (sa future femme), François Hardy, Alice Dona, Pétula Clark, il y a les Richard Anthony, Claude François, Frank Alamo, et quelques groupes, Les Chaussettes noires avec Eddy Mitchell et Les Chats sauvages avec Dick Rivers. Cette bande, que l’on va retrouver réunie, le 22 juin 1963, place de la Nation, à Paris, pour un « méga-concert », est une bande de « copains » et de copines qui incarne la « révolution culturelle » commencée aux Etats-Unis avec les Chuck Berry, Gene Vincent, et, bien sûr, Elvis Presley quelques années auparavant. Formidable révolution des mœurs. Il s’agit pour les jeunes de secouer le joug de leurs pères et d’affirmer les « copains » : c’est la vocation première du rock and roll. Les « yé-yé » français vont ajouter une touche joyeuse (et parfois musicalement un peu superficielle) et quasi-libertaire, à la contestation de l’autorité des « croulants ». Johnny, avec son côté un peu rebelle (qui effraie au début la bonne bourgeoisie), devient le héraut d’une certaine jeunesse en délicatesse avec les contraintes familiales et l’immense tristesse des pères. Autant dire que Johnny, pour cette génération des sixties, est aussi important que le sera Dany (le Rouge) en mai 1968. N’oublions pas en effet qu’en ces années-là c’est la musique (jeune) plus que l’idéologie – alors réservée à une élite étudiante – qui porte le flambeau de la révolte.

Phénomène humain enfin. D’où l’extraordinaire popularité de Johnny. Pourquoi une telle fascination auprès du public ? Parce que celui-ci pouvait se reconnaître en lui. Johnny avait les qualités qu’il avait ou aurait aimé avoir : la simplicité, la générosité, la fidélité en amitié. Parce qu’il était un exemple de réussite et d’ascension sociale. Enfant da la balle, abandonné par son père, délaissé par sa mère, Johnny s’est élevé jusqu’aux plus hautes marches, sans perdre aucune des qualités évoquées plus haut. Parce qu’aussi, il était pleinement homme, avec un parcours de vie fait de hauts et de bas, marqué ici par l’instabilité conjugale (5 mariages) et les excès en tous genres : alcool, tabac, drogues dures et là, au contraire (la maturité venue), par une relation matrimoniale durable (22 ans de vie commune avec Laetitia), un réveil de la paternité avec l’adoption de deux petites vietnamiennes. Parce qu’enfin les Français se retrouvaient peut-être chez ce personnage classé politiquement à droite, mais aussi moralement à gauche, capable de sympathiser avec le Président Chirac et d’aller chanter devant Georges Marchais, à la Fête de l’Humanité, capable enfin de « prendre des libertés » avec les obligations fiscales, rêve à n’en pas douter de nombre de Français à l’esprit frondeur.

Je terminerai par une note personnelle. Je suis triste de cette disparition. La mort de Johnny, c’est un pan entier de ma vie qui s’efface. J’avais 10 ans au début de sa carrière. J’ai grandi avec les airs de « L’idole des jeunes », du « Pénitencier », de « Noir c’est noir ». Forcément, j’ai été un peu « yé-yé » comme tous les enfants de ma génération, un peu « rock and roll ». Je suis devenu jeune homme avec « J’ai un problème », puis adulte avec « Laura » et « Marie ». Je n’étais pas un fan à proprement parler de Johnny, mais j’ai été une sorte de « compagnon de route ».

Pourquoi la France pleure-t-elle aujourd’hui ? Juste parce que Johnny Hallyday était devenu pour elle une « habitude », une habitude de vie.

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