Histoire navale de la Seconde Guerre mondiale : l’audacieuse opération Chariot menée par Lord Mountbatten dans le port de Saint-Nazaire contre le cuirassé allemand Tirpitz<!-- --> | Atlantico.fr
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Photo non datée du Bismarck, cuirassé de la marine de guerre allemande, (avec son jumeau "Tirpitz") protagoniste d'une des chasses les plus acharnées de la Seconde guerre mondiale de la part de la marine anglaise.
Photo non datée du Bismarck, cuirassé de la marine de guerre allemande, (avec son jumeau "Tirpitz") protagoniste d'une des chasses les plus acharnées de la Seconde guerre mondiale de la part de la marine anglaise.
©AFP

Bonnes feuilles

Loïc Guermeur publie « Les grandes histoires navales de la seconde guerre mondiale » aux éditions Plon. La Seconde Guerre mondiale fit rage aussi sur les mers. Ce sont les combats et histoires navales les plus épiques, et les moins chroniqués, que l'auteur présente ici d'une plume affûtée. Extrait 2/2

Loïc Guermeur

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Loïc Guermeur relate l'histoire militaire à travers des threads immersifs sur Twitter

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1er  avril 1939. À Wilhelmshaven, au milieu d’une foule immense, le régime nazi inaugure le plus grand cuirassé d’Europe : le Tirpitz.

Navire jumeau du célèbre Bismarck, c’est le nouveau prédateur de la flotte des corsaires d’Hitler, destinée à étrangler le Royaume-Uni en coulant les navires de commerce à destination de l’île.

Depuis la défaite française, le Reich bénéficie de ports stratégiques directement sur l’Atlantique (Brest, Lorient, Saint-Nazaire), permettant à ses navires de ne plus se risquer dans le dangereux passage entre l’Écosse et l’Islande, jonché de mines britanniques et surveillé par la Royal Navy stationnée à Scapa Flow (cf. chapitre 1).

Mais Brest est à portée des bombardiers britanniques et, à partir de mars 1941, ceux-ci pilonnent les cuirassés allemands Scharnhorst et Gneisenau, réfugiés dans le bassin de commerce breton, où ils sont rejoints par le croiseur Prinz Eugen en juin.

Or, au moment où la flotte britannique est accaparée par la traque du Bismarck, les services secrets de Londres apprennent que des travaux d’aménagement du bassin de Saint-Nazaire – plus éloigné des bombardiers anglais que les ports bretons – ont été ordonnés afin d’accueillir le Tirpitz en plus d’une flotte de sous-marins.

Si les Britanniques parviennent à couler le Bismarck le 27 mai 1941 en mobilisant toutes leurs forces à disposition, ils abordent 1942 avec anxiété. Les États-Unis sont désormais aux côtés de Londres, mais le royaume de Sa  Majesté a également gagné un nouvel ennemi  : le Japon, et son imposante marine. Le 10  décembre 1941, l’aviation nippone coule au large de la Malaisie deux cuirassés britanniques, venus défendre les colonies orientales.

Tandis que les zones à défendre s’étendent désormais à l’Asie, la situation de la flotte du roi Georges VI demeure préoccupante. Le 12  février 1942, elle subit une nouvelle humiliation lorsque les navires allemands bloqués dans Brest s’échappent en plein jour du port breton, pour rallier la mer du Nord en passant par le Pas-de-Calais au nez et à la barbe de toutes les forces anglaises.

Trois jours plus tard, Singapour – le joyau de l’empire britannique – tombe aux mains des Japonais, tandis que les panzers de Rommel foncent à travers l’Égypte…

C’est dans ce contexte que Winston Churchill demande à Lord Mountbatten  –  alors chef des opérations combinées  –  de monter une opération commando destinée à neutraliser les installations portuaires de Saint-Nazaire, afin d’ôter au Tirpitz la possibilité d’opérer dans l’Atlantique. C’est l’opération Chariot.

Objectif : sabotage

En 1942, la grande cale Joubert du port de Saint-Nazaire –  dite aussi « cale du Normandie », car elle avait servi à la construction du fameux paquebot éponyme  – constitue l’écluse la plus vaste du monde. Pensée comme un sas, elle est achevée en 1932 après quatre ans de travaux. Longue de 350  mètres, large de 46  mètres, pouvant contenir un navire de 85 000 tonnes, elle était donc largement capable d’accueillir le Tirpitz3 . Remplie d’eau, elle sert d’entrée de port ordinaire ; vide, elle fait office de cale sèche. Ses extrémités sont fermées par des portes roulantes en acier, longues de 52 mètres, hautes de 15 mètres et larges de 10,60 mètres. Ces portes, traditionnellement appelées caissons, coulissent latéralement de façon perpendiculaire à l’axe du sas dans deux enclaves, au lieu de s’ouvrir en battants comme des portes d’écluses traditionnelles.

Les postes de manœuvre de ces caissons sont situés dans deux petits bâtiments jouxtant l’écluse. Une station de pompage (permettant de vider le bassin) est située non loin des postes de manœuvre. Les trois bâtiments sont regroupés sur la rive ouest de l’écluse. Cet ensemble constitue l’objectif principal de l’opération Chariot.

Lors des différentes réunions de l’état-major des opérations combinées, de nombreux objectifs secondaires sont adjoints à cette cible prioritaire : notamment le sabotage des écluses du grand bassin, voisin de la cale Joubert. En effet, supprimer ces retenues d’eau entraînerait l’échouement des navires et des sous-marins amarrés dans le bassin, et permettrait de réduire considérablement l’activité du port. Afin de mener ces tâches à bien, la destruction des ponts par lesquels l’ennemi amènerait des renforts lors de l’inévitable contre-attaque est impérative.

En tout, ce sont donc 24  objectifs (huit portes d’écluses, quatre ponts, six centrales d’énergies, six batteries d’artillerie) que les commandos ont pour mission de détruire, tout en repoussant les soldats ennemis.

Un plan suicidaire

Le 27 janvier 1942, alors qu’il étudie la faisabilité de l’ordre donné par le Premier ministre, le capitaine de vaisseau John Hugues-Hallett, conseiller naval à l’état-major des opérations combinées, se rend compte d’une faille sur la carte marine du port. En effet, par grandes marées, un navire rapide à faible tirant d’eau peut passer par-dessus les bancs de vase, hors du chenal principal. Il imagine alors un plan hardi consistant à se servir d’un navire-bélier rempli d’explosifs, éperonnant à pleine vitesse le caisson de la grande cale Joubert. Si, sur le papier, la faille semble bel et bien exploitable, le plan final validé par l’état-major s’apparente tout de même à une mission suicide.

Opérant de nuit, un vieux destroyer chargé d’explosifs déclenchés par minuteur et 16 petites vedettes, transportant 257  commandos, devront traverser la Manche, entrer dans le golfe de Gascogne sous domination allemande, arriver jusqu’à l’estuaire de la Loire sans être repérés par la station radar du Croisic qui donnerait l’alerte aux nombreuses batteries d’artillerie côtières échelonnées le long des rives du fleuve, remonter celui-ci en dehors du chenal balisé sans talonner, éperonner le caisson de la grande cale à pleine vitesse, débarquer les commandos sur les divers points du port, saboter les installations de l’un des ports les mieux défendus d’Europe, et enfin repartir en haute mer à l’aide des vedettes après avoir fait exploser le destroyer. Enfin, afin de distraire la défense du port, la Royal Air Force (RAF) prêtera son concours en menant un raid aérien de diversion sur les installations militaires de la ville.

Le plan est transmis le 24  février aux chefs d’état-major. Ceux-ci l’approuvent dès le lendemain, tout comme Churchill, adepte des idées originales.

Pour remonter la Loire le plus loin possible sans être inquiété, le destroyer choisi – le HMS Campbeltown, vieux navire de 1915 commandé par un Gallois, le lieutenant commander Stephen Beattie  – est maquillé. Ainsi, deux cheminées sont supprimées, tandis que la troisième est coupée en biais pour que le vaisseau ressemble aux torpilleurs allemands présents dans la région. Un pavillon ennemi sera même hissé jusqu’au dernier moment.

Mais pour naviguer hors du chenal dragué, il est nécessaire d’alléger le Campbeltown au maximum, et faire passer le tirant d’eau de 4,60 à 3,45 mètres. C’est pourquoi la quantité de mazout embarquée est calculée au plus juste, et l’armement modifié.

Les trois canons de 100 mm sont remplacés par un canon anti-aérien léger, des pièces de petits calibres adaptées au combat contre l’infanterie sont installées et des plaques de blindage soudées sur les rambardes et la passerelle afin de protéger les commandos lors de la phase finale du raid.

Placée dans une soute à l’avant, une charge de plus de quatre tonnes d’explosifs est programmée pour exploser deux heures et demie après l’impact. Un dispositif secondaire de mise à feu est programmé huit heures après le choc.

Mais le nombre de commandos à embarquer est trop important pour le seul Campbeltown, aussi Hugues-Hallett et le bureau des opérations combinées sollicitent-ils un second destroyer à la Royal Navy. Hélas, en ce début de 1942, ses moyens sont limités, si bien que le second destroyer est refusé. À la place, on lui propose des vedettes côtières type ML5, c’est à prendre ou à laisser.

Ces dernières mesurent 34 mètres de longueur et ont le défaut d’être construites en bois d’acajou ce qui les rend promptes à s’enflammer. Armées d’un canon de 20 mm et d’une mitrailleuse, elles sont équipées pour l’occasion d’un réservoir d’essence supplémentaire, afin de pallier leur faible autonomie. Qui plus est, ce réservoir est placé sur le pont, à l’avant, donc très exposé aux balles ou obus adverses. Ces vedettes ne sont pas conçues pour un assaut de ce type.

Malgré le danger, une vedette canonnière type MGB prendra toutefois la tête du dispositif. Puissamment armée, très rapide, équipée d’un petit radar et d’un sondeur, elle éclairera la flottille et ouvrira la voie dans l’estuaire. À l’autre extrémité du dispositif, une vedette lance-torpilles type MTB fermera la marche. Équipée de deux torpilles, elle devra cibler le caisson-écluse de la rade Joubert, dans le cas où le Campbeltown ne pourrait remplir ses objectifs.

Enfin, deux petits destroyers de 900  tonnes, l’Atherstone et le Tynedale, chargés d’escorter le dispositif jusqu’au large de l’estuaire, complètent l’expédition.

En voyant les vedettes proposées par la Royal Navy, Hugues-Hallett est terrifié : « Mais nous allons perdre tout le monde ! » Lord Mountbatten avalise cependant le projet, jugé vital pour la survie du Royaume-Uni.

À mission atypique, commandement atypique. Ainsi, Mountbatten rappelle le capitaine de frégate Ryder pour diriger la partie navale. Cap-hornier au parcours étrange, habitué des opérations inhabituelles, Ryder ronge son frein dans un obscur bureau de la campagne anglaise après avoir perdu son navire au large de l’Écosse, lorsqu’il est convoqué à Londres. La partie terrestre, quant à elle, est confiée au lieutenant-colonel Newman, chef du commando no 2 de la Special Service Brigade, basé en Écosse.

Extrait du livre de Loïc Guermeur, « Les grandes histoires navales de la seconde guerre mondiale », publié aux éditions Plon

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