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Hillary Clinton : la campagne en panne
©Flickr / marcn

Elle ne rit plus...

Elle peine à prendre le large dans les urnes. Hillary Clinton ne s'attendait surement pas à trouver en Bernie Sanders, 74 ans, un opposant aussi redoutable. Les raisons qui expliquent pourquoi la femme la plus capée de sa génération n’arrive pas à convaincre.

Gérald Olivier

Gérald Olivier

Gérald Olivier est journaliste et  partage sa vie entre la France et les États-Unis. Titulaire d’un Master of Arts en Histoire américaine de l’Université de Californie, il a été le correspondant du groupe Valmonde sur la côte ouest dans les années 1990, avant de rentrer en France pour occuper le poste de rédacteur en chef au mensuel Le Spectacle du Monde. Il est aujourd'hui consultant en communications et médias et se consacre à son blog « France-Amérique »

Il est aussi chercheur associé à  l'IPSE, Institut Prospective et Sécurité en Europe.

Il est l'auteur de "Mitt Romney ou le renouveau du mythe américain", paru chez Picollec on Octobre 2012 et "Cover Up, l'Amérique, le Clan Biden et l'Etat profond" aux éditions Konfident.

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Pour Hillary Clinton, les campagnes présidentielles se suivent et se ressemblent. Favorite des primaires démocrates en 2008, elle avait été battue par Barack Obama, jeune sénateur à l’époque qui lui avait  donné des leçons d’intelligence électorale. Archi favorite pour la même nomination démocrate en 2016 elle se retrouve en difficulté, après seulement deux primaires, face à un challenger sans véritable envergure, un anticonformiste de 75 ans, sorte de doux dinosaure politique, Bernie Sanders.

Hillary a emporté le caucus de l’Iowa, le 1er février d’un cheveu. Une victoire infime mais essentielle, car elle lui  a évité une double humiliation. L’humiliation d’une deuxième défaite consécutive dans cet Etat où elle n’était arrivée que troisième 2008. L’humiliation d’une défaite face à un candidat dont la classe politique américaine considérait qu’il n’avait aucune chance réelle d’emporter la nomination et encore moins d’être élu en novembre.

Dans la foulée, le 9 février, Hillary a subi une défaite cinglante, 60% contre 38%, lors de  la primaire du New Hampshire. Vingt-deux points d’écart ! Alors que les sondages en donnaient une dizaine, ou moins. Et qu’elle-même annonçait à ses électeurs « une bataille serrée jusqu’au bout » !

Pris dans le détail, ces chiffres sont encore plus préoccupants. Seulement 45% des femmes ont voté pour elle. Les moins de 30 ans ont voté à 84% pour Sanders. Les moins de 45 ans à 74% ! Ces résultats ont précipité une avalanche de questions dans les médias américains. Chacun s’interroge pour savoir si Hillary "va y arriver", ou si 2016 sera la campagne du "déjà vu" ?

Pour l’instant (mi-février), la réponse demeure : Oui, Hillary parviendra au bout du compte à emporter la nomination du parti démocrate.  Le 28 juillet prochain, au soir de la convention de Philadelphie, elle deviendra la première femme candidate à la Maison Blanche sur le "ticket" d’un des deux grands partis américains.

Mais la campagne sera plus longue et plus difficile que prévu. Et ce qui suivra le sera encore plus.

Pourquoi tant de difficultés? Pourquoi une candidate comme Hillary Clinton,  avec son expérience, sa notoriété, sa connaissance des dossiers, et un CV aussi riche que le sien, ne parvient-elle pas à emporter l’adhésion de l’électorat américain ? Pourquoi une femme à la carrière aussi illustre peine-t-elle à convaincre ses propres congénères ?

Les "malheurs d’Hillary" ont trois explications : la personnalité de la candidate, l’usure politique du couple "Clinton", et le contexte de révolte électorale favorable à son challenger.

Entre les Américains et Hillary Clinton tout a mal commencé… C’était en 1992. Son mari Bill Clinton était un jeune candidat en pleine campagne présidentielle confronté à des révélations scabreuses sur ses frasques sexuelles. Hillary était venue à son secours. Dans une interview télévisée mémorable, elle avait défendu l’unité de leur couple, la moralité de son mari, et ses capacités de leader. Les Américains avaient découvert une femme intelligente et sachant s’exprimer, mais aussi froide et calculatrice, capable de remiser ses sentiments.   Son message était passé. Bill avait été élu. Mais l’image d’une Hillary Clinton, prête à tout pour servir ses ambitions, y compris à ravaler sa fierté de femme, s’était à jamais ancrée dans l’esprit des Américains.

Par la suite, sa façon de se comporter en "co-présidente" plutôt qu’en "Première dame" n’avait pas arrangé les choses. Depuis, quand on interroge les Américains sur son compte, la réponse la plus fréquente, y compris chez les femmes, est qu’ils ne l’aiment pas et ne lui font pas confiance.

En vingt-cinq ans de vie publique Hillary Clinton n’a jamais réussi à restaurer  son image, et regagner la confiance des électeurs. Au contraire elle a été poursuivie par les affaires.  De Whitewater – un scandale immobilier remontant à ses années de femme de gouverneur dans l’Arkansas – à l’utilisation de son compte privé pour ses emails de Secrétaire d’Etat,  en passant par la tragédie de Benghazi,  Hillary Clinton a montré qu’elle faisait passer la vérité après ses intérêts, et la sécurité de l’Etat après sa convenance personnelle.  

S’en est suivi une relation très difficile avec la presse, les journalistes américains n’aimant rien autant que de mettre leur nez là où on ne veut pas… Du coup lorsqu’elle donne une interview, Hillary est toujours sur ses gardes. Elle pèse chacun de ses mots, et utilise des formules sibyllines. Face à des candidats comme Bernie Sanders, ou Donald Trump, qui partagent une même franchise, voire une brutalité, de langage, son attitude défensive  n’en apparait que  plus coupable.

"HRC" ("Hillary Rodham Clinton" comme la désignent parfois les médias américains reprenant ses initiales avec le nom de jeune fille qu’elle a longtemps gardé) est aussi connue pour ses « coups de gueule » et ses exigences. C’est une femme fière, voire orgueilleuse, convaincue (comme Barack Obama)  de sa supériorité intellectuelle. La possibilité qu’elle puisse se tromper ne l’effleure jamais. Ses échecs sont inévitablement la faute des autres, qu’il s’agisse d’employés incompétents, ou de ses innombrables ennemis travaillant sans relâche à sa perte… En 2008 elle avait chamboulé son équipe de campagne après ses mauvais résultats des premières semaines. En 2016 il est question d’un remaniement de son « staff » après ses mauvais résultats de février…

Quoi qu’elle fasse, Hillary ne pourra jamais changer le fait qu’elle et son mari occupent le devant de la scène politique américaine depuis vingt-cinq ans. Un quart de siècle ! Cas unique de l’histoire américaine. Et que l’usure du pouvoir se fait sentir, surtout à une heure où l’électorat a désespérément faim de changement…

D’autres "couples de pouvoir" ont défrayé la chronique, mais jamais aussi longtemps. John et Jackie Kennedy ont personnifié le couple "glamour" au tournant des années soixante. Cela dura trois ans. Franklin Roosevelt et son épouse Eleanor ont dominé la vie politique dans les trente et quarante. Leur règne s’arrêta au bout de quinze ans et Eleanor ne fut jamais candidate à un poste électif. Avant eux rares furent les Premières dames à se faire seulement remarquer !

Au contraire les Américains ont pu suivre toutes les métamorphoses d’Hillary depuis vingt-cinq ans. Tour à tour femme de candidat, co-présidente, épouse bafouée mais soutenant son mari coute que coûte, sénatrice, candidate, Secrétaire d’Etat, grand-mère et encore candidate…Le rejet massif exprimé par les jeunes découlent du fait qu’elle est là depuis leur naissance. Elle incarne ce qui ne va pas en Amérique.  

L’humeur irascible de l’électorat profite  clairement pour son adversaire.  En 2008 Hillary s’est trouvé face à un candidat qui a su répondre à la soif d’idéal –celui d’une société apaisée et harmonieuse- des électeurs. Aujourd’hui elle se retrouve face à un autre candidat qui répond à leur soif de changement et leur rejet de l’establishment. Hors Hillary incarne l’establishment. Mieux, elle avait fait de sa capacité à "travailler le système de l’intérieur" l’un des arguments de sa campagne. Il se retourne contre elle. Après six années d’obstructionnisme républicain et d’obstination présidentielle, Hillary entendait vendre aux électeurs sa capacité à manœuvrer le Congrès (au contraire de Barack Obama). "Je ne veux pas changer les cœurs a-t-elle dit récemment, je veux changer les lois et je sais le faire."

Cet argument tombe à plat car il s’avère que l’électorat ne souhaite pas changer les lois mais plutôt changer Washington et Wall Street. Les Américains sont en colère. Au discours réfléchis et sereins ils préfèrent les diatribes révolutionnaires. Pour réformer Wall Street,  Hillary entendait mettre en avant ses liens privilégiés avec les grandes banques, dont Goldman Sachs pour qui elle a donné une série de conférences à deux cent mille dollars la soirée. Mal lui en a pris. Sanders a dénoncé ses liens incestueux avec la haute finance. Comment pourrait-elle, demain, mordre la main qui l’a nourrie hier, demande-t-il ? De par le trésor de guerre qu’elle a amassé, Hillary sera redevable envers tous les "intérêts particuliers" ("special interests" en américain, c’est-à-dire les "lobbies") qui bloquent les réformes.  Dans son narratif, Hillary sera incapable de changer le système car elle EST le système !   

A la décharge de la candidate démocrate il faut lui reconnaître une honnêteté intellectuelle dont ne s’embarrasse pas son adversaire. Hillary ne promet pas la lune. C’est une pragmatique et une réaliste qui axe sa campagne sur des objectifs modestes mais atteignables – soutenir la famille, favoriser l’égalité homme-femme au travail, réduire les discriminations, etc. Bernie Sanders au contraire promet un changement radical, instantané et indolore. Il promet la santé, l’éducation supérieure, et la justice gratuites pour tous, au seul coût d’une augmentation d’impôts pour les 1% les plus riches. Chacun sait que son équation ne tient pas.  Mais pour l’instant les médias ne l’attaquent pas encore sur les chiffres. Cela viendra si ses chances d’emporter la nomination persistent. On ne rendra compte alors que Sanders est un marchand d’illusions. Mais il sera peut-être alors trop tard pour sauver Hillary. 

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