Hervé Moritz : « Une fenêtre de tir s’ouvre pour la France à Bruxelles »<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron pose avec des dirigeants et des politiciens européens, dont Margrethe Vestager, pour une photo de groupe de la réunion des dirigeants de Renew Europe, à Bruxelles, le 29 juin 2023.
Emmanuel Macron pose avec des dirigeants et des politiciens européens, dont Margrethe Vestager, pour une photo de groupe de la réunion des dirigeants de Renew Europe, à Bruxelles, le 29 juin 2023.
©KENZO TRIBOUILLARD / AFP

Opportunités politiques

Après le retrait de la candidature de Fiona Scott Morton, Margrethe Vestager pourrait postuler à la Banque européenne d'investissement et Frans Timmermans songerait à se présenter aux élections néerlandaises. Les rapports de force en Europe tournent-ils en faveur de la France ?

Hervé Moritz

Hervé Moritz

Hervé Moritz est président du Mouvement européen.

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Atlantico : Un changement de pouvoir semblait s’opérer à Bruxelles avec le retrait de la candidature de Fiona Scott Morton. Mme Vestager postule pour la BEI, M. Timmermans va se présenter aux élections néerlandaises. Quels rapports de force sont en train de se mettre en place ? La France est-elle réellement avantagée et a-t-elle une chance à saisir sur le plan européen ? 

Hervé Moritz : Oui, tout à fait, la France a potentiellement une opportunité à saisir. Le contexte actuel est celui de la proximité des élections européennes qui vont renouveler l’ensemble des députés du Parlement européen. Les élections se dérouleront en juin 2024. Mais ce scrutin sera aussi synonyme du renouvellement de la Commission européenne.

Un certain nombre de commissaires importants comme Margrethe Vestager ou Frans Timmermans vont quitter la Commission européenne l’année prochaine. Ils vont se réorienter sur d’autres postes stratégiques, notamment à la Banque européenne d’investissement. Ils laisseront donc des postes à enjeux à d’autres personnalités européennes au sein de la Commission.  

Des commissaires stratégiques vont donc rendre leur mandat. Ce fut aussi le cas récemment de la commissaire Mariya Gabriel, qui a pris la tête du gouvernement bulgare. Elle occupait un poste stratégique sur la recherche, l’innovation.

Les commissaires qui savaient qu’ils n’avaient pas forcément d’avenir dans la prochaine Commission sont en train de préparer leur départ.

Chaque pays et chaque parti politique européen prépare ces prochaines élections européennes et ce prochain renouvellement de la Commission et vont vouloir commencer à placer leurs candidats à des postes clés et des portefeuilles stratégiques.

Quelle stratégie française serait souhaitable ? Quelle stratégie française est prévisible en Europe face à cette situation ? 

La France a déjà des postes stratégiques à la tête de l’exécutif européen. La France a un commissaire européen, Thierry Breton, qui est commissaire au marché intérieur, un poste très stratégique dont le portefeuille pléthorique à la fois sur les questions industrielles, de souveraineté économique de l’Europe, sur la question de la réalisation du marché intérieur… Lors de cette mandature de la Commission et du Parlement,  Thierry Breton a par exemple porté de grandes législations sur la régulation du numérique. Thierry Breton pourrait être reconduit dans ses fonctions à un tel portefeuille d’importance équivalente voire encore amplifié.

Autre française occupant l'un des "top jobs", Christine Lagarde assure la présidence de la Banque centrale européenne.

Les Français sont donc déjà à des postes très stratégiques.

A la suite des élections européennes de 2024, les jeux seront ouverts avec le renouvellement des fonctions stratégiques comme la présidence de la Commission ou du Parlement européen…

Pour déterminer la répartition de ces hautes fonctions européennes, l'un des facteurs clé sera les résultats des élections européennes, notamment en France. Quels seront les partis qui vont dominer cette élection ? La dernière fois, le Rassemblement national est arrivé en tête en France. Ce parti anti-européen réduit l’influence française au Parlement européen et par extension dans les autres institutions. Lorsqu’un parti anti-européen arrive en tête en France, il paraît difficile par la suite de truster des postes importants au sein des institutions européennes.

La France est-elle en capacité d’être à la hauteur des enjeux européens face à ces revirements et départs et avec les enjeux des élections européennes ?

La France a des atouts avec un gouvernement qui est très pro-européen et très mobilisé sur la scène européenne. Le président de la République est hyperactif sur les enjeux européens. Cela apporte une légitimité et un leadership français en Europe qui est clairement reconnu et identifié, qui est suivi parfois. On ne peut pas dire que la France n’est pas un moteur en Europe aujourd’hui. Cela lui permet de garder une influence.

Au Parlement européen, la France est très influente à travers les parlementaires européens de la majorité présidentielle, qui siègent au sein du groupe Renew réunissant les démocrates et libéraux européens. Il n'est que le troisième groupe du Parlement, mais y joue un rôle pivot. Cependant, la délégation française est très minoritaire dans les deux principaux groupes qui sont ceux du Parti populaire européen et des socialistes et démocrates européens. Le premier contingent des eurodéputés français est celui du Rassemblement national qui siège à l'extrême droite de l'hémicycle et ne participe pas à une quelconque majorité. La France garde donc une influence limitée au Parlement européen.

En vue des élections européennes, l’influence française dépendra des forces politiques en présence, à la fois des députés qui seront envoyés au Parlement européen et de la mobilisation du gouvernement et du président de la République l'année prochaine. De cela dépend l'influence française dans les institutions européennes.

Cette situation n’est-elle pas néanmoins le signe des paradoxes du "en même temps" d'Emmanuel Macron sur l’Europe ? Mme Vestager qui a proposé Mme Scott Morton était elle-même adoubée par Emmanuel Macron avant qu’il critique le choix de Margrethe Vestager…

Ce n’est pas un désaveu de Margrethe Vestager de la part de la France. Elle appartient à la famille politique européenne à laquelle est allié le parti d’Emmanuel Macron. Ils siègent au Parlement européen dans le groupe Renew. Elle est la championne de la famille politique des alliés européens d’Emmanuel Macron.

La question soulevée par cette nomination relève plus d'une question de culture politique. Cette nomination a beaucoup choqué en France et dans un certain nombre d’Etats membres. La France n’est pas le seul pays à être monté au créneau sur cette nomination. Cette situation illustre un décalage de culture politique entre les pays de l'Union européenne. Dans un certain nombre d’Etats membres, il peut être naturel de chercher de l’expertise à l’étranger. Cela se pratique souvent dans les pays nordiques, d’où est originaire Margrethe Vestager. Cette culture politique est un peu différente. On imagine assez peu une telle nomination dans la haute administration française. Cette différence de culture politique est au cœur de l’erreur d’appréciation de la Commission européenne. Elle aurait pu anticiper cette levée de boucliers contre la nomination de l’Américaine Fiona Scott Morton de la part de plusieurs dirigeants d’Etats membres et de parlementaires européens.

Cette crise ne va-t-elle pas laisser des traces au niveau européen ? Les partenaires européens ne vont-ils pas se méfier de la France après l’emprise d’Emmanuel Macron sur ce dossier ? La France ne va-t-elle pas apparaître comme anti-américaine ?

La France n’apparaîtra pas comme anti-américaine. Le niveau de méfiance vis-à-vis de la France ne va pas changer. C'est plutôt une « constante ». La France est reconnue pour son leadership. Le président de la République est très engagé sur la scène européenne. Mais il lui est souvent reproché de faire cavalier seul et de ne pas assez associer suffisamment en amont ses partenaires européens aux initiatives qui sont lancées depuis la France.

Cela lui joue des tours. Elle n’est parfois pas suivie, parce que la France n’associe pas toujours ses partenaires européens dès la conception de ses initiatives. Le fait de vouloir aller de l’avant sans y associer en amont des partenaires peut en effet susciter la méfiance de nos partenaires européens.

La protestation contre la nomination de Fiona Scott Morton ne devrait pas perturber plus que cela les relations franco-américaines ou euro-américaines. Ces relations sont aujourd’hui assez pragmatiques. Les Européens sont sortis d'une certaine naïveté depuis un certain temps déjà et ont compris que l’allié américain n'était pas toujours pétri de bonnes intentions. Les Européens ont compris que les Etats-Unis défendaient d'abord leurs intérêts propres. Les Européens ont tout intérêt à s'unir pour défendre les leurs dans une relation plus équilibrée avec les Etats-Unis.

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