Henri Guaino : "ceux qui veulent tenter de bâtir la synthèse monstrueuse du Gaullisme et du Thatchérisme sont libres de le faire"<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Henri Guaino l'affirme : à ce jour, il "n'est pas candidat à la présidence de l'UMP"
Henri Guaino l'affirme : à ce jour, il "n'est pas candidat à la présidence de l'UMP"
©REUTERS/Pascal Rossignol

Sans concession

Henri Guaino a signé avec Rachida Dati, Laurent Wauquiez et Guillaume Peltier un appel pour sauver la droite. Il passe par une réaffirmation de son identité pour éviter de laisser la voie libre au Front national.

Henri Guaino

Henri Guaino

Henri Guaino est un haut fonctionnaire et homme politique français

Conseiller spécial de Nicolas Sarkozy, président de la République française, du 16 mai 2007 au 15 mai 2012, il est l'auteur de ses principaux discours pendant tout le quinquennat. Il devient ensuite député de la 3e circonscription des Yvelines.

Voir la bio »

Atlantico : Vous signez avec Rachida Dati, Laurent Wauquiez et Guillaume Peltier dans Valeurs Actuelles un appel pour sauver la droite. Vous plaidez pour une droite qui s'assume. Les difficultés que rencontre aujourd'hui l'UMP tiendraient principalement au fait que la droite ne s'assume pas ? 

Henri Guaino : Les dernières élections européennes ont marqué une défaite non seulement de l’UMP mais aussi du parti socialiste. C’est-à-dire que les deux grands partis politiques français sont aujourd’hui en ruine. Alors certes, il y a des affaires. Au Parti socialiste, il y a eu Cahuzac et bien d’autres avant, et il y a l’affaire Bygmalion pour l’UMP. Mais je pense qu’il y a des causes plus profondes à cette crise, qui sont des causes politiques. Car ces deux grands partis n’expriment en réalité plus rien, ils n’ont plus d’identité. Ils sont devenus de simples cartels électoraux. Quand on vote pour eux, on ne sait plus pour quoi on vote. 

La question qui nous est posée aujourd’hui à l’UMP est celle de l’identité politique. Quelle est l’identité politique de l’UMP ? Qu’a-t-elle à dire dans le débat public ? Quel est son rôle dans la vie politique ? Oserais-je dire son utilité ?

Nous avons besoin aujourd’hui d’avoir des partis politiques qui ont une identité affirmée, une identité forte. Et non pas une identité molle. L’idée qu’on peut attirer un maximum d’électeurs avec l’identité la plus molle possible, c’est à dire la moins discernable qui soit, est une erreur profonde. Alors je ne sais pas s’il faut appeler ça la droite assumée ou la droite décomplexée, ce ne sont pas forcément des formules que je reprends à mon compte, mais en tout cas il faut s’affirmer.

Nous sommes quatre personnalités fortes. Nous avons des parcours, des histoires, des âges et des sensibilités différentes. Certains sont plus dans une droite légitimiste, traditionnelle, d’autres viennent d’une droite très soucieuse de l’enracinement, se rattachent à une tradition conservatrice. D’autres comme moi qui se rattachent à la tradition Gaulliste. Et nous nous retrouvons dans des objectifs communs et dans l’attachement à la nation, aux valeurs de la république, le mérite, le refus du communautarisme, la responsabilité… Nous avons décidé de travailler ensemble pour une raison simple. Nous savons tous ce dont nous ne voulons pas et nous avons tous conscience que si nous n’unissons pas les efforts de tous ces courants, dont nous avons la conviction qu’ils peuvent construire ensemble, nous allons laisser vide tout cet espace politique qui existe entre le Front national et le centre. Un centre qui est nécessaire à la démocratie française, mais qui est affaibli par le départ de Jean Louis Borloo. Si nous laissons vide cet espace, il sera annexé en grand partie par le Front National, ou par d’autres partis qui seront des partis probablement assez extrêmes.

Serait-ce un moyen de ressusciter le RPR ?

Il y a une nostalgie du RPR chez beaucoup à l’UMP, c’est vrai. Mais le paradoxe est que tous les déchirements de l’UMP aujourd’hui, tous les clivages idéologiques, les oppositions sur les choix stratégiques, et même les querelles de personnes, c’est l’ironie de l’histoire, opposent des anciens du RPR. Nous retrouvons les vieilles divisions qui étaient celles du RPR encore plus vives que jadis.  Alain Juppé, François Fillon, Xavier Bertrand, moi-même et bien d’autres sommes divisés sur un certain nombre de sujets parfois très profondément, mais nous venons tous du RPR. 

Alors personne ne refait l’histoire à l’envers, mais le RPR, longtemps, parce qu’il lui restait une imprégnation Gaulliste, avait une identité. Cela ne l’a pas empêché de se déchirer, notamment sur l’Europe, ou sur le rapport au libéralisme. Le point de départ de nos fractures actuelles et de notre affaiblissement c’est que ce qui restait du courant Gaulliste a été gommé, a disparu. L’UMP ne pouvait pas être une réponse à ces fractures. On ne répond pas aux divisions, aux contradictions, aux crises internes, en élargissant encore le champ des crises possibles ou des oppositions possibles. Au début des années 2000, on a cru qu’en faisant deux grands partis, un de centre gauche et un de centre droit, on allait réunir presque tous les électeurs français dans ces deux partis qui alterneraient au pouvoir comme dans ce qu’on appelait alors « les démocraties modernes ». On voit le résultat aujourd’hui. 

C’était une erreur par rapport à ce qu’est notre pays, à la manière dont il vit la politique, et c’était une erreur historique dans la mesure où cela coïncidait avec un phénomène de radicalisation de la société française face à la gravité des crises auxquelles cette société est confrontée. Lorsque la perte des repères devient une obsession, lorsque la quête identitaire devient une obsession, pas seulement européenne et nationale mais aussi sociale. Parce qu’un ouvrier aujourd’hui s’interroge sur son identité sociale, un cadre s’interroge sur son identité sociale, comme un français s’interroge sur son identité nationale, et dans ce contexte-là, les partis qui n’ont plus d’identité, ou plus d’identité suffisamment forte et affirmée ne sont plus capables de répondre aux angoisses, aux interrogations de la société.

Ici l’enjeu n’est pas d’exclure tel ou tel. Des centristes ont rejoint l’UMP, des libéraux ont rejoint l’UMP, on peut travailler tous ensemble, mais à la condition que nous sachions qui nous sommes et ce que nous voulons.  Et cette question se pose à partir du moment où cette formation politique se délite.

Ce n’est pas la même question que celle des élections présidentielles. Le président de la République doit rassembler largement, au-dessus des partis. La question qui est posée ici est celle de la permanence d’une famille politique qui contribue comme les autres à structurer dans la durée cette vie démocratique.

Au sein de cette interview croisée, vous semblez partager une critique commune de l’Europe actuelle ?

Les choix européens ne sont pas les seules causes de nos difficultés mais ils en font partie. La construction de l’Europe a servi d’alibi à tous les renoncements et à tous les reniements depuis tellement longtemps qu’on finit par payer la facture. Déjà ce débat avait lieu dans les années 80 au RPR et il est devenu très vif au moment de Maastricht, il ne s’est jamais totalement éteint. 

Il y a eu une vraie tentative pendant le quinquennat précédent de surmonter les  contradictions entre ceux qui avaient toujours voté oui et ceux qui avaient toujours voté non, par le volontarisme politique. Dans les circonstances de crise que nous avons vécues, cela n’a pas si mal fonctionné. Parce que l’on a pu, dans ces circonstances-là, violer tous les traités, violer toutes les règles. Cela a marché par ce que nous étions en mesure de violer tous les dogmes qui constituent le carcan qui étouffe les politiques nationales en Europe.

On voit bien que le manque de volontarisme politique à la tête de l’Etat et que la crise nous obligent à reposer la question de l’Europe.

Ce qui s’est enclenché dans les années 80 à partir de l’acte unique est une machine infernale. Quand on peut l’enrayer, on peut affronter des crises très graves mais quand on ne peut pas l’enrayer, on ne peut plus rien faire, même plus affronter les crises très graves.

Quel projet européen souhaiteriez-vous porter ?

Le volontarisme n’est pas la politique de la table rase. La politique de la table rase est toujours la politique du pire. Quand on fait de la politique, on est obligé de prendre l’histoire là où elle en est. On peut l’infléchir mais un pays n’est pas une page blanche, l’Europe non plus. 

Il ne s’agit pas de dessiner une Europe idéale, mais de changer la pratique institutionnelle de l’Europe et en particulier notre rapport à l’Europe, la gestion de notre relation à l’Europe.

Le discours de Villepinte pendant la campagne présidentielle marquait à ce propos un grand progrès, en disant, sur un certain nombre de sujet, cela ne peut pouvait pas continuer et qu’il fallait essayer de se mettre d’accord pour changer une règle. Mais que si au bout d’un an nous n’étions pas arrivés à nous mettre d’accord nous appliquerons unilatéralement une nouvelle règle jusqu’à ce que l’on parvienne à un accord.

Le président Sarkozy avait notamment évoqué le cas du traité de Schengen, celui du « Buy European Act », et du « Small Business Act ». On pourrait aussi évoquer le cas des travailleurs. Il n’est pas possible de continuer à employer sur le territoire national des salariés qui viennent d’autres pays pour lesquels il y a deux fois ou trois fois moins de charges que pour un travailleur français. Comment expliquer  cela à un ouvrier au  chômage qui cherche du travail ? Cela n’est pas pensable. Donc on peut dire à nos partenaires que soit on se met d’accord pour calculer désormais les charges au lieu de travail et non pas au lieu d’origine, et il n’y a plus de problème. Ou bien nous n’arrivons pas à nous mettre d’accord et nous créons une taxe différentielle sur les entreprises qui emploient de la main d’œuvre européenne avec des charges réduites, et qui fera payer la différence entre les charges françaises et les charges du pays d’origine. Et cela jusqu’à ce que l’on se mette d’accord sur le principe du calcul au lieu du travail.

Vous mentionnez le discours de Villepinte. Lors du discours de la Concorde, Nicolas Sarkozy souhaitait une modification des statuts de la BCE. D’autres comme le Front national souhaitent directement sortir de la zone euro. Quelle est votre position ?

Il n’est pas raisonnable de proposer la sortie pure et simple de l’euro. C’est se jeter dans le vide. C’est prendre un risque que nous ne mesurons pas, le risque d’un cataclysme. Il ne faut pas brandir des menaces que l’on ne mettra pas à exécution. Mais si la politique monétaire ne change pas, un jour on aura une catastrophe. Le problème de la politique monétaire, il est d’abord dans la démographie allemande. La démographie allemande pose un problème à l’Europe parce que l’Allemagne fait logiquement la politique de sa démographie. Ce sont des choses qu’il faut mettre sur la table et il est temps de savoir si tout le monde est prêt à faire un effort pour que l’Euro et l’Union européenne continuent. 

On ne sauvera pas la zone euro avec des mesures du type du pacte de stabilité, même si à un moment particulier il a été la nécessaire contrepartie de la solidarité européenne, on sauvera la zone euro si tout le monde fait un effort. Il y a des pays qui doivent réduire leurs déficits et d’autres qui doivent réduire leurs excédents. Quand les uns freinent les autres doivent relancer. Cela nécessite des efforts de chacun, mais si personne ne les fait l’Euro explosera. Il faut exercer une pression politique très forte en ce sens.

Cette interview croisée est-elle l’ébauche d’une offre politique qui serait portée par Nicolas Sarkozy ?

Le but c’est de construire une alternative entre ce qui se dessine chez certains de nos responsables, qui est celle à nos yeux d’une identité molle, une vision assez centriste de l’UMP et ce que souhaitent les partisans d’une identité forte. Nous espérons entrainer tous ceux qui savent très bien ce dont ils ne veulent pas et qui veulent construire cette alternative. On peut essayer de surmonter les oppositions mais il faut quand même avoir une position claire vis-à-vis de l’Europe, de l’Etat, de la nation, de la république, de la famille. Il y a ceux qui sont indulgents avec le communautarisme d’autres qui, comme nous, le récusent totalement. Il y a ceux qui sont pour l’affaiblissement permanent de l’autorité de l’Etat et ceux qui s’y refusent. Il y a ceux qui pensent que toute idée de souveraineté nationale est rétrograde, démodée, dépassée, et ceux qui pensent le contraire. Il y a un moment ou il faut faire des choix. Il y a ceux qui pensent que faire des grandes principautés en France, supprimer les départements, entasser tout le monde dans une dizaine de grandes métropoles est une bonne idée, parce qu’ils n’ont jamais aimé une France une et indivisible, ni la république qui n’en est au fond que l’accomplissement. Il y a ceux qui pensent que la politique n’a rien à faire dans l’économie et ceux qui pensent que cela n’est pas vrai. Il faut trancher.

Est-ce que la synthèse entre Gaullisme et Thatchérisme que François Fillon portait la semaine dernière à Londres s’inclue dans ce projet ?

J’ai une grande admiration pour Madame Thatcher, pour sa volonté de fer, mais pour ce qui est de sa politique, je n’en ai jamais fait un modèle. Il est toujours absurde de vouloir transposer une expérience étrangère dans un contexte particulier. Les circonstances dans lesquelles Madame Thatcher s’est trouvée placée n’ont rien à voir avec les nôtres. La situation est peut-être aussi grave pour l’Angleterre d’hier et pour la France d’aujourd’hui mais ce n’est pas la même. Le Thatchérisme n’est pas un remède à la crise actuelle et il est incompatible avec notre culture politique et l’état psychologique et moral de notre pays.

Réfléchissons sur les expériences étrangères, sur les expériences du passé. Il y a toujours des leçons à tirer des expériences des autres et de l’histoire. Aujourd’hui nous parlons de l’économie comme s’il ne s’était jamais rien passé, comme si les problèmes que nous connaissons n’avaient jamais été débattus, comme si le monde n’avait pas existé avant nous. C’est absurde. 

>>>>>>> Lire aussi : La voie libérale : le nouveau visage que se construit lentement mais sûrement François Fillon >>>>>>>>>>>

Après tout, ceux qui veulent tenter de bâtir la synthèse monstrueuse du Gaullisme et du Thatchérisme sont libres de le faire. Chacun jugera du résultat. Mais si le but c’est de supprimer la sécurité sociale et d’abolir la durée légale du travail, c’est-à-dire les heures supplémentaires, cela se fera sans moi. Je ne me vois pas aller à la rencontre de français en leur disant que l’on va réduire la prise en charge des maladies de longue durée ou supprimer les heures supplémentaires. Quand on veut réhabiliter la valeur du travail, il faut respecter le travail, il faut payer le travail. Le mérite, l’effort, il faut les récompenser. On ne rebâtira pas moralement notre cohésion sociale si on demande aux gens de travailler plus pour gagner moins, si on demande aux gens d’accepter de se résigner à plus de précarité, à plus de pauvreté. Si nous voulons réhabiliter le travail alors il faut en tirer les conséquences en respectant le travail et donc les travailleurs. 

Ce qui tue la politique aujourd’hui, c’est la politique des slogans. La politique des propositions qui ont l’air d’être radicales, des réformes qui se présentent comme définitives sans se soucier des conditions de leur mise en œuvre. Il vaut mieux parfois procéder par étapes et réussir chaque étape, plutôt que de vouloir tout accomplir d’un coup, provoquer un blocage total pour finalement ne rien faire du tout. Depuis 40 ans le cimetière des réformes parfaites s’est rempli. Je me souviens de 1995  quand on a réduit un septennat à un semestre, oui un semestre, après le pays n’était plus gouvernable et finalement il a fallu dissoudre. 

Il faut toujours réfléchir à la façon dont on va procéder, car si le chemin emprunté n’est pas le bon, on n’atteint pas l’objectif. On arrive même parfois à la situation exactement inverse de celle que l’on espérait. Il faut en tout cas se poser la question du « jusqu’où ne pas aller trop loin ». Il faut s’interroger sur la limite au-delà de laquelle apparaît collectivement un refus déterminé. Quand les citoyens ne veulent plus, la politique ne peut plus rien. Parce que la politique se fait avec les autres. Nous n’avons pas tant besoin de courage politique que de courage intellectuel et d’un peu de morale. La priorité quand une crise atteint à ce point la dimension d’une crise de civilisation c’est de combattre les idées fausses, les représentations erronées, les méthodes inefficaces, et cela se passe d’abord sur le terrain des idées, de la réflexion. Sans ce préalable, dans de telles circonstances, la politique ne peut plus peser sur l’histoire.

Serez-vous candidat à la présidence de l’UMP ?

Je ne suis pas à ce jour candidat à la présidence de l’UMP. Pour l’instant nous avons fait ce geste collectif pour dire à ceux qui se sont autoproclamés dirigeants de l’UMP qu’ils n’ont que des devoirs. Leur démarche n’est légitime que s’ils ne se reconnaissent que des devoirs. Personne ne leur a donné un mandat pour redéfinir la ligne de l’UMP, pour refaçonner son identité, pour dire aux élus ce qu’ils doivent faire ou ce qu’ils doivent penser. Personne ne leur a donné un mandat non plus pour se mettre en position favorable pour les échéances à venir, soit pour la présidence de l’UMP soit pour d’éventuelles primaires. Le seul mandat qu’ils pourront légitimement exercer, c’est d’être les garants que les choses se passent dans la sérénité, la transparence et l’honnêteté dans cette période transitoire, en vue du Congrès à venir et que, par conséquent, le choix des militants se fera dans les meilleures conditions possibles. 

Pour ce qui nous concerne tous les quatre, nous attendons de savoir si Nicolas Sarkozy sera candidat ou pas. S’il est candidat, je le soutiendrai, et s’il n’est pas candidat je ferai tout avec d’autres pour qu’il y ait une candidature qui incarne ce que nous avons essayé d’exprimer dans cette interview croisée. Parce que ce débat idéologique doit avoir lieu, ce débat intellectuel et moral doit avoir lieu et c’est aux militants de le trancher.

Et si Nicolas Sarkozy revient avec une offre politique au centre ?

Cela me paraît exclu. Rassembler ne veut pas dire : « tous au centre !». Aucun d’entre nous n’envisage l’hypothèse d’avoir à s’opposer à Nicolas Sarkozy pour excès de centrisme. Mais nous voulons peser dans le débat. Et nous pèserons. 

Cette interview croisée est-elle la synthèse du « Séguinisme », vous, et du « Buissonisme » qui a pu être revendiqué par la droite forte ?

Personne ne revendique la ligne Buisson dans cette interview croisée. Nous nous sommes réunis parce qu’encore une fois nous pensons que notre parti a besoin d’une identité forte et parce que nous savons ce dont nous ne voulons pas, et qui nous parait à tous conduire l’UMP au naufrage politique. Si l’UMP est un ventre mou, elle ne résistera pas à la puissance d’aspiration du seul parti qui reste debout aujourd’hui, qui est le Front national.  Les choses sont simples : est-ce que nous pouvons travailler ensemble ? Oui. Y-a-t-il parmi nous une volonté d’exaspérer les tensions entre les français, de dresser les catégories les unes contre les autres? Non. Il y a un socle républicain très solide. Il n’y a pas non plus cette idée, qui était dans la pensée de Buisson, d’écarter les problèmes économiques et sociaux sous prétexte que les élections ne se joueraient pas la dessus parce que les citoyens penseraient que les hommes politiques ne peuvent rien. Ce qui est inspiré d’une vision typiquement Maurrassienne. 

Je n’aurais pas accepté de faire équipe avec des gens qui auraient eu le moindre arrière pensé raciste,  la moindre volonté de stigmatiser qui que ce soit, la moindre volonté de diviser le pays,  en dressant les catégories les unes contre les autres. Je ne participerai à rien ou l’on dresse les fonctionnaires contre les non fonctionnaires, les musulmans contre les chrétiens, les homosexuels contre les hétérosexuels, le noirs contre les blancs.

Mais je souhaite que nous assumions ce que nous sommes, ce que nous sommes en tant que militants politiques et ce que nous sommes en tant que français. Oui, il y a une civilisation française, oui, il y a une culture française. Et oui je me refuse à toute indulgence vis-à-vis de la moindre tentation de communautarisme. Je me refuse de reconnaitre juridiquement ou politiquement l’existence de minorités. 

Mais je me refuse aussi à considérer que s’il y a trois millions et demi de chômeurs c’est parce que la France aurait été prise d’une grande crise de paresse. Je suis partisan de la fermeté mais pas de la dureté. Je suis partisan d’une politique ou l’on prend en compte la complexité humaine, la complexité morale, la complexité psychologique, sociale, économique de la politique. C’est ce que je reproche au Front national, il récuse cette complexité. C’est dangereux.  Je refuse cette idée que tout est blanc ou noir et qu’il y a une solution radicale pour tout, que tous les problèmes se tranchent avec un coup d’épée. 

La tentation de certains, pour un rapprochement entre l’UMP et le Front national vous inquiète-t-elle ?

Oui. Il y a beaucoup d’élus, beaucoup de sympathisants, de militants, ou d’électeurs qui sont tentés, et il y a des gens qui ont cédé à leur tentation dans certains scrutins récents. C’est un miracle si la digue n’a pas cédé, s’il n’y a pas eu de multiplications d’alliances, et il faut préserver ce miracle. Parce que le jour ou la brèche sera ouverte, elle ne sera refermera pas. Et cela vous ne pouvez pas le faire en disant « nous devenons tous centristes ». Ou alors nous renonçons à tout ce pourquoi nous avons une utilité, une fonction, un rôle dans la vie politique. Si nous ne parlons plus de l’état, de la nation, de l’autorité, du travail, de la famille, à quoi servons nous ?

Dans ces conditions, est-il encore possible de coexister avec une ligne plus centriste au sein de l’UMP ?

Mais moi je veux coexister avec tout le monde. Il faut s’ouvrir mais sans renoncer à ce que l’on est. Alors on peut faire des concessions mais il faut qu’il y ait un centre de gravité.  Il est impossible que tout le monde partage les mêmes idées dans une famille politique. Moi-même j’entends conserver le droit de penser différemment, ce n’est pas une caserne, ce n’est pas un couvent. Mais il faut quelque chose en commun qui soit identifiable et qui forme un centre de gravité. 

Moi je veux savoir si dans mon parti politique on pense principalement que la France ne sera jamais plus grande, jamais plus belle, et jamais plus forte que lorsqu’elle aura disparu, ou pas. Je caricature un peu mais c’est un sujet qu’il faudra trancher.

Tony Blair déclarait il y a quelques années que le débat entre droite et gauche était révolu, que le débat n’existait qu’entre les partisans de l’ouverture et ceux qui y sont opposés. Cette approche vous semble-t-elle correcte ?

Ce sont des slogans politiques. Je suis pour le dépassement de la droite et de la gauche. Je fais partie d’une tradition politique qui conjugue très bien l’ouverture au monde et l’amour de la nation, la défense des intérêts nationaux. Je suis pour nation ouverte au monde. Car sinon il faut aller jusqu’au bout, plus de nation, plus de sécurité sociale. Il faut dire les choses clairement. Et l’ouverture n’est pas une fin en soi, c’est comme la modernité. Sinon cela fini par ne plus rien vouloir dire. 

Tout le monde se protège et moi je ferais de mon pays une victime sacrificielle ? Non. On peut vouloir dépasser la droite et la gauche sans être centriste. Je gouvernerais volontiers avec Jean Louis Borloo, je peux travailler avec des gens qui ne sont pas moi, mais je ne suis pas centriste. Il faut que je sache qui je suis et qu’ils sachent qui ils sont. 

L’affaire Bygmalion est actuellement entre les mains de la justice. Jusqu’à quel point est-elle moralement acceptable ?

La politique se fait avec des hommes, des femmes, qui ont des grandeurs et des faiblesses, des qualités et des défaillances. Ce qui se passe est moralement douloureux et grave parce que nous sommes déjà dans un pays en crise, crise sociale, morale, intellectuelle, économique, identitaire, et vous rajoutez encore à ce climat tout à fait délétère des causes de rejet, de crispation, de défiance, cela abaisse dramatiquement la politique. Et comment sort-on d’une crise comme celle-ci sans la politique ? C’est à dire sans la volonté générale ? Une fois que l’on a dit « ils sont tous pourris », que tout le monde est cloué au pilori, on fait quoi ? Il reste quoi ? La démagogie populiste ?

Je suis outré par un certain nombre de révélations et je trouve cela détestable. Les gens qui ont des comptes à rendre rendront des comptes à la justice. Mais le problème que je vis le plus mal c’est l’impact de tout ça sur la politique. Comment peut-on essayer de répondre à la crise actuelle quand on se trouve tirés vers le bas par des affaires de ce genre ? 

Depuis 2012, l’UMP les responsables de l’UMP n’en finissent plus d’être « au travail » ; encore aujourd’hui, certains se disent « au travail », pour quel résultat ? 

Qu’est-ce que cela veut dire « travailler » ? Beaucoup pensent « on sait ce qu’il y a à faire », et il n’y a  donc pas à réfléchir. Cela donne le programme de l’UMP aux européennes par exemple. On ne peut pas dire « on se met au travail » en désignant les candidats avant d’avoir arrêté un projet. Et on ne peut pas tricher sans arrêt, on ne peut pas dire « il y a le programme de l’UMP » et puis après aller siéger au PPE (Parti populaire européen). On le sait d’avance, le programme sera celui du PPE. On ne vote pas seulement pour tel ou tel, on vote aussi pour Monsieur Juncker à la présidence de la Commission Européenne…

Si se mettre au travail se résume à faire faire des fiches par les mêmes experts qui font les mêmes fiches, à droite et à gauche, depuis 30 ans, ce n’est pas du travail.  Pour se mettre au travail il faut déjà savoir quel est notre système de valeur et notre doctrine. Cela ne se fait pas en réunissant dix sages dans un coin, qui ne sont d’ailleurs pas plus sages que les autres, et qui sortent un document insipide. Le travail ça se fait dans la politique, dans le débat, avec à la fin des militants ou des adhérents qui tranchent entre plusieurs options. Cela ne veut pas dire que l’option retenue doit exclure toutes les autres mais cela veut dire que l’on sait quand même quelle est la référence principale.

Comment comptez-vous porter ce discours ?

Soit Nicolas Sarkozy se présente et je le soutiendrai sans état d’âmes. Pour moi, les lignes qui sont affichées aujourd’hui par un certain nombre de personnalités de l’UMP et qui se sont mis en position de responsabilité, c’est non, je n’en veux pas. 

Et je fais confiance à Nicolas Sarkozy pour que l’on puisse faire ce qu’on a fait avant la campagne présidentielle de 2007 et ce qu’on a  essayé de faire pendant le quinquennat, c’est-à-dire trouver une voie qui soit celle du volontarisme politique. Je pense qu’il en est capable. Et s’il ne se représente pas, je travaillerai à ce que le courant que nous avons essayé de réveiller puisse se lever et dire non à une dérive irresponsable. 

Choisir cela ne veut pas dire que l’on va choisir un programme, mais on va choisir une attitude, une fermeté et des repères qui vont encadrer le débat. La politique, je le répète, cela se fait avec les autres donc il faut concéder aux autres, mais encore faut-il savoir où est notre colonne vertébrale.

Propos recueillis par Nicolas Goetzmann 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !