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Hausse du racisme en France... mais les instruments de mesure sont-ils les bons ?
©Reuters

Derrière les chiffres

Les actes et menaces à caractère raciste, antisémite et antimusulman ont connu une "forte augmentation" avec une progression de 23% en 2012, selon un rapport de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH).

Véronique de Rudder

Véronique de Rudder

Véronique de Rudder est chargée de recherches au CNRS.

Elle est responsable scientifique et administrative, et directrice de publication de RÉMISIS (Réseau d’Information sur les migrations internationales et les relations interethniques), centre de documentation et base de données bibliographique (voir : http://www.remisis.org).

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Atlantico : La Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) dans son rapport annuel révèle que les actes et menaces à caractère raciste, antisémite et antimusulman ont connu une "forte augmentation" avec une progression de 23% en 2012. Comment ces actes sont-ils mesurés exactement ? 

Véronique de Rudder : La validité de la mesure de ces actes est à peu près nulle. Mesurer les actes délinquants à l’aune de ce que la police recense revient, en fait, à mesurer l’activité de la police. Le rapport, d’ailleurs, le dit explicitement : "les statistiques criminelles sont un objet de paradoxe : elles constituent autant un comptage des infractions qu’un comptage de l’activité policière" (p. 95)

Sur quels indicateurs cette enquête se base-t-elle ? Sont-ils fiables ? Certains indicateurs sont-ils plus fiables que d’autres ?

Les chiffres fournis proviennent du ministère de l’Intérieur, donc des enregistrements effectués par la police et la gendarmerie. Or, celles-ci enregistrent ou non les plaintes, éventuellement les découragent ou les font passer "en main courante". A moins qu’elles puissent en tirer "des chiffres" quand on les soumet au régime des résultats quantitatifs…On le sait très bien, désormais : les cas recensés  de viol, d’inceste, de pédophilie,… ont varié, au fil du temps, en fonction du fait que ces actes ont été considérés comme vraiment répréhensibles, et pénalement punissables, ou pas. C’est donc un problème politique.

Cette enquête peut-elle être malgré tout révélatrice d’une tendance ?

Il y a plusieurs éléments d’enquête dans ce rapport. Indépendamment de ce qui vient du ministère de l’Intérieur, il y a un sondage d'opinion, et une enquête qualitative destinée à éclairer les résultats de ce sondage. Par ailleurs, mais je n'en traiterai pas ici, on trouve dans ce rapport des témoignages d'associations, de syndicats,… Comme dans chaque rapport annuel.

Celui-ci, cependant, inclut pour la première fois, une réflexion particulière concernant les Roms.

S'agissant du sondage d'opinion, les critiques dont il a été l'objet depuis qu'il figure dans le rapport annuel de la CNCDH, ont produit un certain nombre d'effets, notamment en matière de formulation des questions et d'analyse des résultats.

Il reste que ledit sondage interdit toute appréciation en matière d'antiracisme ou même, d’a-racisme. Or comment traiter du racisme sans traiter du non-racisme ?

1. Des phrases du genre "il y a des musulmans que je trouve sympathiques et d'autres pas" ou "moi de toute façon, je trouve que toutes les religions se valent" ou encore "les religions, ça dépend comment on les pratique" ne trouvent pas à s'exprimer dans un questionnaire aux réponses pré-codées.

2. Rien n’est demandé aux personnes interrogées en matière d'action solidaire ou de sympathie à l'égard de personnes en butte au racisme, aux discriminations, aux mesures répressives : il eût été intéressant de connaître les opinions concernant les actions du Réseau éducation sans frontières (RESF), par exemple, voire aux discours de Zemmour sur les délinquants noirs et arabes ou de Sarkozy à Dakar sur les "Africains qui regardent passer l'histoire", entre autres exemples.

Bien entendu, ce sondage est probablement "révélateur d'une tendance", mais de quelle tendance ? Celle des agitations politico-médiatiques de l'année passée, marquée par une campagne électorale clivante sur les questions dont il traite ? Celle d'une actualité internationale ponctuée par les "printemps arabes" autant que par la prise de pouvoir de partis islamistes ? Celle, enfin, de faits divers inquiétants, tant pour ce qui concerne le "terrorisme islamique" que pour ce qui concerne les violences racistes, tels qu'ils ont pu, par surcroît, être relayés médiatiquement..

De manière générale, le racisme peut-il réellement être mesuré à partir de sondages ?

Aucun sondage n’est en mesure de "mesurer" le racisme. Un sondage, par définition, mesure (à supposer qu'il la mesure réellement) une opinion. Or le racisme n'est pas seulement une question d'opinion. C'est une question d'ordre social plus général, donc à la fois de pratiques institutionnelles, de pratiques individuelles, d'idéologie, et de représentations. Un sondage ne peut que tenter d'approcher les deux derniers éléments de cette énumération. Il ne s'agit bien que d'une tentative, car tout - même en matière d'idéologie, d'opinions, de stéréotype, d'opinion, ne peut pas être saisi, à tout moment de la même façon - par la procédure du sondage qui suppose et surtout présuppose (souvent abusivement) une unité de conception de la réalité à laquelle se réfèrent les questions posées.

Comment définit-on objectivement un "acte raciste" ?

Je ne peux répondre rapidement à cette question. Cela dépend quel aspect du racisme on privilégie. Un acte "raciste" peut se reconnaître à l'intention "raciste" de celui qui le commet (conception "subjectiviste" ou "intentionnelle"). Mais, d’un autre point de vue, un acte peut être considéré objectivement comme raciste dès lors que, sans intention de discriminer ou de nuire, il contribue à perpétuer un traitement différent et inégal, ordinaire, voire routinier, à l'égard de telle ou telle personne ou groupe de personnes, à raison de son (leur) origine réelle ou supposée, sans aucune autre justification.

La question de la définition "objective" de "l'acte raciste" est aussi une question juridique. Cela signifie qu'elle dépend de l'État et de l'opinion et du droit. Elle se pose différemment au sociologue, à l'anthropologue, à l'historien, au politiste… Il serait trop long ici d'argumenter...

Il est peut-être aujourd'hui moins intéressant de "sonder" ce que la CNDCH ose encore appeler "l'intolérance" que de savoir, ou tenter de savoir, en quoi se tient le "racisme" dans l'opinion publique : actes individuels, discrimination collective, traitement institutionnel, mesures législatives…

Cette enquête fait le  choix de distinguer les différentes catégories de racisme : antisémite, antimusulman, etc… ? 

C'est en effet un choix  très surprenant et très contestable. Le plus surprenant et le plus contestable étant que les auteurs du rapport ne s'en justifient pas. La notion d’"islamophobie" est en elle-même contestable. Car en effet, en France en particulier, mais pas seulement, ce ne sont pas principalement les musulmans qui sont spécifiquement visés par le racisme (même s'ils peuvent l'être), mais les Arabes, ou encore les Maghrébins ou encore les Arabo-musulmans (et leurs descendants). Il est clair, au regard du sondage, que ces diverses dénominations n'ont pas été réellement offertes aux enquêtés.

Cette classification des racismes est-elle la bonne approche ?

Que répondre ? La mode est aujourd'hui à spécifier LES racismeS. D'ailleurs, on lit un peu partout "racisme et antisémitisme". Pour ma part, je continue de voir une unité du racisme, même complexe, même ambiguë, même contradictoire. Cette unité se tient, disons pour aller vite, dans la "généalogisation" des appartenances réelles ou imaginaires, revendiquées ou supputées.

Quel que soit le trait retenu, apparence physique, religion, mode de vie, nationalité d'origine, culture, psychologie singulière, etc., LE racisme se présente toujours, idéologiquement, comme un renvoi à origine tenue pour l'essentiel. C'est un essentialisme.

Propos recueillis par Alexandre Devecchio

Autres remarques :

 • L'échantillon du sondage est constitué de personnes "résidant en France". Est-il imaginable que certaines questions aient été posées  réellement à des résidents non  "majoritaires" ?

•  A la page 30,  les commentateurs du sondage, qui sont spécialistes des sondages  électoraux et "sorties des urnes", oublient  que, théoriquement, l'échantillon n'est pas  censé être constitué d' "électeurs", mais de résidents. Qu'en est-il réellement de l'échantillon ?

• Il est fait état tout au long des  commentaires de ce sondage d'attitudes psychologiques :  la "crispation", les "récriminations", "l'autoritarisme", la   "tolérance"... Le racisme est considéré comme un trait de caractère.

• Sans aucune considération pour les critiques dont la théorie "du bouc émissaire" a pu être l'objet tout au cours du  second XXe siècle, celle-ci est reprise sans discussion. Il en va de même pour ce qui concerne la théorie de "la personnalité autoritaire"  que l'on doit à Adorno et Horkheimer. C'est comme si la théorie s'était arrêtée  un  certain jour de 1950 !

•  Une fois de plus, un sondage - mais pas n'importe lequel  puisque  celui-ci est commandité par la CNCDH -  s'autorise à divulguer sous forme de "questions légitimes"  (celles que sont censés se poser les citoyens) des énoncés racistes, dont certains sont punis par la loi quand ils ne proviennent pas d'une instance prétendument scientifique, à savoir un institut de sondage.  

De fait,  en dépit d'une certaine amélioration  méthodologique de l'outil "sondage", depuis que la CNCDH a décidé de s'y  livrer, pour ne pas dire s'y soumettre -sans doute pour justifier son existence même -  on ne voit pas bien à quoi servent à ces rapports annuels :  Ils n'ont  jusqu'ici servi,  le 21 ou le 22 mars  de chaque année, qu'à occupe,r de façon  extrêmement rituelle et éphémère, là une des médias.

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