Hausse des prix du tabac : les Français fument-ils vraiment de moins en moins (ou les statistiques oublient-elles la contrebande) ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Depuis 1991, date de la loi Evin, le prix hors inflation des cigarettes a triplé.
Depuis 1991, date de la loi Evin, le prix hors inflation des cigarettes a triplé.
©Reuters

Contre-productif ?

Le prix du paquet de cigarettes augmente de 20 centimes ce lundi, après une hausse de 40 centimes en octobre 2012, puis de 20 centimes en juillet dernier. Si ces augmentations ont fait baisser la consommation, elles ont aussi encouragé les comportements alternatifs.

Gérard Dubois

Gérard Dubois

Gérard Dubois est membre de l’Académie nationale de médecine, où il occupe la fonction de président de la Commission Addictions. Il est le co-auteur du rapport des "Cinq sages" au ministre des Affaires sociales sur la Santé Publique à l'origine de la loi Evin.

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Atlantico : Depuis des décennies maintenant, les gouvernements successifs ont mené une importante politique anti-tabac : augmentation des prix, campagnes de communication, etc. Constate-t-on une véritable baisse de la consommation de tabac en France ? Se transforme-t-elle plutôt qu'elle ne diminue ?

Gérard Dubois : Depuis 1991, date de la loi Evin, le prix hors inflation des cigarettes a triplé, les ventes ont été divisées par deux, la mortalité par cancer du poumon des hommes jeunes a été elle aussi divisée par deux. La France est donc citée en exemple. Hélas, on peut aussi constater que pendant cette période d’une vingtaine d’années, la baisse n’a lieu que pendant deux périodes (1991-1997, 2002-2004) qui ne représentent que dix de ces vingt années.

De 1997 à 2002 puis de 2004 à 2011 les ventes stagnent. Cela démontre que les politiques actives d’augmentations dissuasives et répétées des taxes sont efficaces et sauvent des vies, que les faux-semblants proposés par l’industrie du tabac avec la complicité active du ministère du Budget conduisent à une stagnation organisée des ventes. En conclusion, la France aurait pu faire deux fois mieux si l’on n’avait pas cherché à préserver la santé financière de l’industrie du tabac plutôt que de préserver la santé des Français, notamment fumeurs.

L'un des indicateurs utilisés pour mesurer la consommation de tabac est le nombre de paquets de cigarettes vendus. Est-ce le seul, et sinon quels sont les autres ? Sont-ils pertinents ?

Les ventes de cigarettes et de tabac sont des indicateurs qui peuvent être suivis mensuellement. Les tendances sont cruelles pour l’industrie du tabac et leur porte-voix, la Confédération des buralistes. Ils veulent donc casser le thermomètre en le critiquant. Un autre critère est l’étude de la fréquence du tabagisme dans la population. Cela demande des enquêtes qui sont faites irrégulièrement étant donné leur coût mais elles vont dans le même sens que les statistiques de ventes.

Ces lois ont-elles engendré des pratiques alternatives pour se procurer et consommer le tabac comme la contrebande, organisée ou "personnelle" ? Quelle est l'ampleur de ces phénomènes ?

Face aux augmentations fortes et dissuasives, le fumeur a plusieurs possibilités de réagir. Celle que nous recherchons, la plus simple et la plus efficace financièrement et médicalement pour le fumeur est l’arrêt du tabac. En un an, il économisera 2500 € et gagnera rapidement des années d’espérance de vie. L’industrie du tabac lui offre des alternatives pour persister dans l’addiction : des cigarettes moins chères (d’où l’importance d’empêcher fiscalement tout dumping), le tabac à rouler outrageusement favorisé fiscalement, certains petits cigares tellement sous fiscalisés qu’ils coûtent moins chers que les cigarettes. Le fumeur proche des frontières ou en voyage peut acheter des cigarettes moins cher dans des pays limitrophes. Ceci ne peut être répété que pour ceux qui habitent près des frontières. Cette pratique est légale et l’ont ne peut guère espérer un alignement vers le haut des taxes dans l’Union Européenne car certains pays comme le Luxembourg se comportent tels des “prédateurs fiscaux”. Enfin, il peut acheter illégalement des cigarettes de contrebande venant de petits trafics transfrontaliers pour une minorité, de trafics en bandes organisées majoritairement.

Peut-on dire que dans une certaine mesure les lois anti-tabac sont contre-productives ? Comment pourraient-elles ne pas l'être ?

Entre 1980 et 2012, le tabagisme des hommes a mondialement diminué de 25%, celui des femmes de 40%. Loin d’être contreproductives, partout dans le monde les politiques anti tabac basées sur les principes reconnus par le traité international appelé Convention Cadre de Lutte Anti Tabac (CCLAT) de l’OMS ont permis de lutter efficacement contre le tabagisme. Il faut associer l’interdiction de toute publicité ou promotion pour le tabac, des augmentations dissuasives et répétées des taxes, protéger les non fumeurs de la fumée de tabac, éduquer et informer, aider les fumeurs qui décident d’arrêter de fumer. Mises en œuvre conjointement, ce sont les conditions d’une politique victorieuse contre la première cause évitable de décès dans le monde. La meilleure cigarette est celle que l’on ne fume pas.

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