Harcèlement scolaire : la part de l’Etat, la part des parents<!-- --> | Atlantico.fr
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Des parents d'élèves qui amènent leurs enfants à l'école.
Des parents d'élèves qui amènent leurs enfants à l'école.
©Lionel BONAVENTURE / AFP

Mesures efficaces ?

Le gouvernement a présenté mercredi un plan destiné à lutter contre le harcèlement scolaire. Tous les acteurs de la communauté éducative seront notamment formés à la lutte contre le harcèlement d’ici la fin du quinquennat.

Catherine Blaya

Catherine Blaya

Catherine Blaya est professeure en sciences de l’éducation, sociologie de l’éducation et directrice de l’Institut national supérieur du professorat et de l’éducation à l’Université Côte d’Azur. Elle est également membre du comité de direction de l’Observatoire international de la violence à l’école www.ijvs.org. Ses recherches portent sur la violence en milieu scolaire, la délinquance juvénile, le décrochage scolaire et la cyberviolence.

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Laure Boutron-Marmion

Laure Boutron-Marmion

Avocate au barreau de Paris, Laure Boutron-Marmion intervient aussi bien en matière pénale et disciplinaire devant les ordres professionnels qu’en contentieux de la responsabilité contractuelle et délictuelle et dispose d’une expertise particulière dans les contentieux liés au patrimoine (droit des successions et régimes matrimoniaux). Elle a notamment été saisie de plusieurs affaires de premier plan en droit pénal des mineurs et de la famille. Me Laure Boutron-Marmion est l’avocate des parents de Marie, une adolescente qui s'est suicidée en 2021.

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Atlantico : Alors que la question du harcèlement fait malheureusement son retour dans l’actualité, Elisabeth Borne a présenté ce mercredi le plan interministériel de lutte contre le harcèlement scolaire. Le meilleur moyen de lutter contre le harcèlement, c’est « de sensibiliser, d’expliquer, de prévenir ». Brigades dédiées dans les rectorats, confiscation du portable dans les cas graves, cours d’empathie à partir de la rentrée 2024, numéro unique (le 3018)... Que pensez-vous de ces mesures ?

Catherine Blaya : Si le terme "Brigades" n'est pas forcément celui que j'aurais choisi en raison de sa connotation militaire, avoir des équipes spécialisées dans les rectorats est nécessaire. C'est d'ailleurs ce qui avait été mis en place pour la violence en milieu scolaire en général  et pour gérer notamment les situations de crise sous forme d'équipes académiques/mobiles de sécurité avec les Assistants de Prévention et de Sécurité mis en place en 2012 et qui ont quasiment disparu. Sans nul doute, ceci a besoin d'être renforcé avec des personnels pérennes et une formation solide sur les questions de harcèlement. 

Il est primordial d'accompagner les sanctions d'une aide au changement de comportement, ce que propose le ministre Attal. La mesure concernant les cours d'empathie est essentielle car la recherche a montré que les jeunes qui harcèlent ont un déficit à ce niveau tout comme il pourrait être intéressant de proposer un suivi psychologique pour les cas les plus graves. Elargir les possibilités de prise en charge à ce niveau est nécessaire. Cependant, il est primordial que ces cours sur le développement de l'empathie soient assurés par des professionnels avec une formation validée afin d'éviter toute dérive. 

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Quant à la suppression du droit aux réseaux sociaux et la confiscation du portable, quand bien même l'intention est bonne, j'ai des doutes quant à leur mise en oeuvre, on sait très bien qu'il est tout à fait possible de contourner ces mesures (utilisation de pseudonymes, d'ordinateurs dans des lieux publics, emprunt d'un téléphone portable après achat d'une carte sim, etc.). Enfin, le numéro unique est une excellente idée : très souvent les jeunes sont harcelés à la fois en milieu scolaire et en ligne. Il est difficile et douloureux de parler de ce que l'on subit quand on est harcelé et devoir répéter sur deux numéros distincts pouvait représenter un frein à la libération de la parole et rajouter à la souffrance de la victime. 

Il est illusoire de penser que l'on va pouvoir éradiquer toute forme de harcèlement mais avoir des personnels formés dans tous les établissements scolaires (il ne s'agit pas de former uniquement des spécialistes cf. brigades) tout en mettant en place une politique de prévention et de gestion des problèmes qui soit la responsabilité de tous et qui inclue les parents comme partenaires de la démarche est essentiel.

Laure Boutron-Marmion : Il faut saluer ces mesures. Le gouvernement a le mérite d'avoir pensé le sujet dans sa globalité et en ce qui me concerne, donc sur le terrain judiciaire, je pense que ces mesures aideront les enquêtes. De plus, j'estime que la saisine du procureur est une très bonne chose. En effet, l'institution n'est pas toujours capable d'avoir un regard objectif sur ce qu'il faut faire ou ne pas faire. Cette décision d'une saisine automatique du parquet a donc le mérite de ne pas laisser qu'entre les mains de l'Education nationale les suites à donner en cas de harcèlement grave. L'institution judiciaire devra donc agir et réagir en fonction des cas qui lui seront présentés.

Vous avez défendu plusieurs familles dont les enfants étaient victimes de harcèlement scolaire, notamment celle de Marie, une adolescente qui s'est suicidée en 2021. Face à la gravité de la situation, pensez-vous que les mesures présentées par Elisabeth Borne soient vraiment un « électrochoc », pour reprendre la terminologie employée par le gouvernement ?

Laure Boutron-Marmion : Ces mesures ne porteront leurs fruits que si les personnes concernées le souhaitent vraiment. En effet, il faut aussi faire un effort sur nos mentalités pour que ce plan de lutte se concrétise et soit efficace. Je constate qu'au cours des dernières années, l'institution judiciaire a eu du mal à évoluer sur le sujet. Aujourd'hui, nous avançons, même si les traitements judiciaires sont toujours trop longs, notamment au regard de la douleur des familles concernées. En somme ces mesures sont intéressantes mais il reste à voir comment elles s'articuleront et comment elles seront investies par les acteurs concernés.

Les pouvoirs publics ont-ils fait le nécessaire au cours de ces dernières années dans le cadre de la lutte contre le harcèlement ? Ces mesures ont-elles porté leurs fruits ?

Catherine Blaya : La question du harcèlement ne peut pas se résoudre en quelques mois et l'application d'un programme d'intervention unique et non contextualisé va à l'encontre de ce que les études sur l'efficacité des programmes d'intervention concluent. De plus, la méthode de la préoccupation partagée telle qu'elle est déclinée ne peut répondre à toutes les situations. Premièrement il est primordial de parler de harcèlement et non d'intimidation. De plus, les préconisations spécifiant qu'elle est efficace pour le harcèlement dit faible interrogent. Qu'est-ce qu'un harcèlement faible ? Quand est-ce que l'on décide qu'il s'agit de harcèlement moyen ou fort ? Le flou de la mesure interpelle. La recherche sur la mesure du harcèlement montre qu'à partir d'une déclaration de deux fois par mois et plus, il faut prendre la situation au sérieux. De plus, les méta-analyses qui évaluent l'impact des interventions "clé en main" indiquent que celles-ci réduisent la perpétration d'intimidation à l'école d'environ 19 à 20 % et la victimisation d'intimidation à l'école d'environ 15 à 16 %. La méthode Pikas (préoccupation partagée/programme phare) a un effet modéré égal à celui de la sanction des agresseurs (voir Smith, P. K., Salmivalli, C., & Cowie, H. (2012). Effectiveness of school-based programs to reduce bullying: A commentary. Journal of Experimental Criminology, 8, 433-441).. Donc, avant de généraliser il aurait été intéressant d'évaluer les effets réels de la méthode de manière rigoureuse, c'est à dire scientifique. 

Gabriel Attal, ministre de l'Éducation nationale, envisage notamment d'instaurer des brigades anti-harcèlement dans les établissements, des couvre-feux numériques pour prévenir le harcèlement scolaire ou la confiscation des téléphones portables des élèves harceleurs. Ces mesures vous semblent-elles efficaces ?

Catherine Blaya : Il est important de sanctionner les agresseurs mais il est tout aussi important de les accompagner afin qu'ils changent de comportement. Outre les mesures répressives qui peuvent rassurer mais aussi limiter le sentiment d'impunité chez les agresseurs, reconnaître le statut de victime à la victime (envisager des mesures de réparation pourrait être intéressant) et renforcer le sentiment d'insécurité chez les témoins, il est important de proposer des mesures éducatives et une aide psychologique aux agresseurs aussi. Ceux-ci sont fréquemment eux-mêmes victimes (ce qui n'excuse pas le comportement mais permet de le comprendre), c'est ce que l'on appelle du harcèlement réactif. D'autres fois encore, ils rencontrent des problèmes d'estime de soi, de confiance en soi et ont un faible niveau d'empathie (ce que l'on retrouve à la fois pour le harcèlement et le cyberharcèlement). Il est primordial de travailler sur le développement des compétences sociales et la gestion des émotions. Le ministre envisage des mesures de ce type et ne s'inscrit pas uniquement dans la répression, ce qui est rassurant. Une formation des enseignants mais aussi de l'ensemble des équipes éducatives dans les établissements est primordiale, sans oublier les services académiques. Un renforcement du soutien des victimes et des témoins de sorte à leur donner la confiance d'en référer à un adulte est important. Il faut que les jeunes puissent avoir confiance dans les adultes, ce qui permettra de briser la loi du silence qui est au coeur du processus de harcèlement. L'écoute des jeunes comme des familles doit primer. Y compris des familles d'agresseurs car il n'est pas évident d'apprendre que son enfant a ce type de comportement et souvent elles se sentent démunies, ce à quoi elle répondent par un réflexe de déni. 

Il est intéressant que le problème soit appréhendé de manière interministérielle, l'école ne pouvant tout résoudre à elle seule. Chacun sera amené à apporter son expertise et à prendre ses responsabilités quant à la gestion de ce fléau.

Dans un cour d'école, comment faire la différence entre chamaillerie et harcèlement scolaire ?

Laure Boutron-Marmion : Bien souvent, l'insulte, la brimade, l'injure est banalisée en la considérant comme une chamaillerie. C'est justement l'obstacle contre lequel nous nous battons. Les professeurs, puis les directeurs, le rectorat, le parquet et enfin les juges analysent les affaires de harcèlement qu’ils ont à traiter, à travers un prisme : en fonction de l'appréciation qu'ils ont du sujet mais aussi la génération à laquelle ils appartiennent, ils peuvent relativiser les insultes. Personnellement, j'essaie toujours de démontrer qu'il n'y a jamais de chamailleries puisque la plus faible des brimades, lorsqu'elle est répétée, constitue déjà un fait de harcèlement.

Dans quelle mesure les parents ont-ils aussi leur part de responsabilité dans les faits de harcèlement ? Que peuvent-ils faire pour enrayer cette problématique ?

Laure Boutron-Marmion : D'après les constats que j'ai pu faire, les enfants qui harcèlent sont souvent eux-mêmes en souffrance, pour une raison ou une autre. Cela peut être dû à un climat familial délétère, parce qu'ils connaissent la violence ou parce que les parents sont eux-mêmes dans une dynamique harcelante. Les enfants harceleurs ont donc souvent un terrain familial préexistant. Cette responsabilité parentale est bien à prendre en compte, raison pour laquelle, à l’échelle des affaires que je traite, je sollicite toujours que les représentants légaux de ces enfants soient entendus par les enquêteurs pour qu’ils comprennent qu'ils ont un rôle à jouer.

Concrètement, si je suis parent d'un enfant harcelé, que puis-je faire juridiquement ?

Laure Boutron-Marmion : Si un enfant est harcelé, il faut absolument porter plainte. La réponse pénale n'est qu'un élément de la réponse, mais il est très significatif. Quand on dépose plainte, on commence à enrayer la mécanique. L'école se rend compte de la gravité des faits et les parents qui n'étaient pas écoutés commencent généralement à l'être. Enfin, nous connaissons la grande difficulté des institutions mais aussi des établissements à réagir face à ce qui se passe. Pourtant, les adolescents ont encore un peu peur du pénal. De plus, il est essentiel pour les victimes comme pour les harceleurs que justice se fasse. Elle a un rôle pédagogique, d'abord chez les harceleurs, mais aussi parce que l'enfant harcelé doit se sentir écouté, ce qui est essentiel pour qu'il puisse tourner la page. Il y aura donc des vertus pour les deux parties. 

Catherine Blaya a publié "Le (cyber)harcèlement chez les jeunes" aux éditions Mardaga

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