Hamas, Israël, solution à deux Etats… : radioscopie de l’opinion palestinienne 5 mois après le déclenchement de la guerre<!-- --> | Atlantico.fr
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Les Palestiniens à Gaza exprimaient déjà avant le 7 octobre un certain mécontentement à l’encontre du Hamas, dont la gestion était critiquée sur plusieurs points.
Les Palestiniens à Gaza exprimaient déjà avant le 7 octobre un certain mécontentement à l’encontre du Hamas, dont la gestion était critiquée sur plusieurs points.
©AFP

Mécontentement

Les Palestiniens à Gaza exprimaient déjà avant le 7 octobre un certain mécontentement à l’encontre du Hamas, dont la gestion était critiquée sur plusieurs points.

Henry Laurens

Henry Laurens

Henry Laurens est historien et universitaire, spécialiste du monde arabe et professeur au Collège de France, où il occupe la chaire d'histoire contemporaine du monde arabe depuis 2003.

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Atlantico : L'opinion des Palestiniens change, à en croire le dernier rapport du Palestinien Center for Policy and Survey Research. Ainsi, en Cisjordanie, le soutien au Hamas décroit considérablement. Quelle est l'ampleur du phénomène et comment l'expliquer ?

Henry Laurens : Le Hamas, rappelons-le, reste très largement gagnant au regard de ce rapport. Il est difficile d’affirmer, dans ce cas de figure, que l’opinion des Palestiniens change du tout au tout. Rappelons également que les Palestiniens à Gaza exprimaient déjà avant le 7 octobre un certain mécontentement à l’encontre du Hamas, dont la gestion était critiquée sur plusieurs points. Ce que l’on observe désormais, c’est que ce mécontentement persiste et que les données se recoupent clairement. Bien sûr, il y a évidemment des Palestiniens qui font du Hamas le responsable des terribles assauts que connaît la population palestinienne aujourd’hui. Il n’en demeure pas moins, et c’est une évidence, que la première et la principale préoccupation des Palestiniens, c’est d’être libérés de l’occupation. Une majorité écrasante, si pas la totalité de ces derniers, jugent aujourd’hui qu’Israël commet ou a commis des crimes de guerre dans le cadre du conflit actuel. Force est de constater, d’ailleurs, que certaines des images et des informations qui nous arrivent ont pu se montrer accablantes à ce sujet. 

Il est vrai que le Hamas bénéficie d’un soutien moins fervent en Cisjordanie, à en croire le document du Palestinian Center for Policy and Survey Research. Ceci étant dit, la variation n’est pas énorme par rapport aux chiffres qui ont pu être constatés avant octobre dernier. A l’époque, d’ailleurs, à l’approche des élections, l’Autorité palestinienne a réalisé qu’elle faisait face à un risque réel de perdre sa place. Elle a donc préféré annuler le scrutin, sur la base d’un prétexte jugé quelque peu fallacieux : la situation à Jérusalem.

L’information principale qui ressort de cette analyse, me semble-t-il, c’est bien que les Palestiniens veulent d’abord et avant tout être libérés. Le type de société dans laquelle ils veulent ensuite vivre est très secondaire. 10% d’entre eux se prononcent en faveur d’une société ouvertement islamique. 10% des autres disent vouloir vivre dans une société démocratique. Cela signifie en clair que la question de l’orientation politique qui suivra la libération n’est pas un sujet de préoccupation majeur. Ce qui les travaille au corps, c’est ce qu’ils vivent comme une occupation du territoire. Une variation de 11 points dans le soutien au Hamas (c’est-à-dire celle que l’on constate aujourd’hui) n’est pas si impressionnante qu’elle peut le sembler. Ce sont des chiffres que l’on aurait pu observer ailleurs, qui résultent d’une évolution rapide, du fait notamment de l’épouvante de la situation. Le fait est qu’il n’y a pas une demande Hamas pour ce qu’est le Hamas, mais bien pour ce qu’il fait (face à ce que d’autres, comme l’Autorité palestinienne, sont accusés de ne pas faire).

Le Hamas est considéré comme un groupe terroriste luttant contre l’occupation. Ce n’est pas le fait qu’il soit producteur d’une société islamique qui intéresse. C’est le fait qu’il agit. Contrairement, encore une fois, à l’Autorité palestinienne. Il n’y a donc pas de soutien marqué à l’ambition sociétale que porte le Hamas.

Cette perte de vitesse du soutien ne s'observe pas de la même manière dans le reste du pays. Qu'est-ce que cela traduit exactement ? Quelles sont les réalités que cela peut cacher ? 

Cela s’explique notamment par des raisons historiques. Le Hamas, rappelons-le, contrôle la Bande de Gaza depuis 2006-2007. Cela fait des années qu'il s'est localement installé et qu’il agit comme un gestionnaire. Dès lors, il est évident qu’il a une empreinte plus forte sur la société. Les seuls à échapper au Hamas dans le Bande de Gaza, ce sont les membres du Djihad islamique. C’est un groupe terroriste plus dur encore que le Hamas, en témoigne l’absence totale de problème de gestion auquel il peut être confronté.

Ce premier point évoqué, il importe de rappeler que, en Cisjordanie, l’Autorité palestinienne est déconsidérée. Cela résulte pour partie de ses dérives autoritaires (elle combat le Hamas en collaborant avec les Israéliens et en mettant les membres du groupe terroriste en prison) mais pas seulement. Outre la répression qu’elle mène contre les cadres du Hamas, il faut aussi évoquer son caractère clientéliste et sa tendance à la corruption. Certains arguent aujourd’hui, notamment aux Etats-Unis comme cela peut être le cas de Joe Biden, en faveur d’une Autorité palestinienne renouvelée et populaire. Or, ce sondage illustre bien que cela ne pourrait s’avérer possible que dans le cas de figure où l'Autorité palestinienne serait perçue comme une force travaillant à la protection de sa population des attaques et des tentatives de colonisations d’Israël. L’Occident a parfois l’air de penser qu’elle pourrait retrouver un réel soutien par simple miracle. Ce n’est pas le cas.

Qu'est-ce qu'un tel changement dans l'opinion publique palestinienne pourrait augurer ? Faut-il s'attendre à ce que le Hamas perde davantage le soutien des Palestiniens ?

Je doute que cela change quoique ce soit. Rappelons-nous que les Israéliens ne traitent de toute façon pas avec l’Autorité palestinienne, sauf peut-être à ce que l’Occident décide de sanctions à l’encontre de l’Etat d’Israël… ce qui apparaît hautement improbable. Le Hamas, une fois de plus, est perçu par les Palestiniens comme le dernier acteur qui travaille à leur protection.

N’oublions pas que 80% des familles palestiniennes ont été endeuillées du fait de ce seul conflit. Mon ingénieure de recherche est d’origine palestinienne et se retrouve aujourd’hui dans ce cas de figure. Dès lors, il n’est pas difficile de comprendre pourquoi une part conséquente de la population éprouve un profond ressenti pour Israël, quand bien même le soutien envers la solution à deux Etats progresse au sein de la population palestinienne. 

Déjà avant les évènements du 7 octobre dernier, la majorité des familles palestiniennes avaient dû faire face à l’emprisonnement d’un des leurs au moins dans une prison israélienne. Tout cela explique la situation très complexe dans laquelle on se trouve, de même que la revendication du Hamas d’échanger des otages contre des prisonniers : c’est la demande la plus forte émanant des familles palestiniennes.

Ces enseignements permettent-ils d’envisager une piste vers la sortie du conflit ?

Indéniablement, ce document traduit l’absence d’amour immodéré de la part de la population palestinienne pour les Israéliens. Ce n’est pas nouveau. Pour l’instant, la violence est quotidienne. Nous l’avons dit : l’un des éléments essentiels de la société palestinienne aujourd’hui, c’est l’existence de centaines voire de milliers de prisonniers palestiniens dans les cellules israéliennes. La plupart font face à des conditions de détention très dures, ainsi que décrites dans la presse française ces derniers jours. Tout cela se répercute sur l’ensemble de la société.

Ne perdons pas de vue que la solution à deux Etats, qui est la seule possible sur le long terme, s’éloigne de plus en plus aujourd’hui, du fait des violences, des atrocités commises et la mémoire vive que tous les gens ont de ces années de violences.

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