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Guy Verhofstadt : "Il faut un second bond en avant en utilisant l’échelle européenne comme moteur de croissance"
©REUTERS/Yves Herman

En campagne

L'ancien Premier ministre belge et candidat des libéraux à la présidence de la Commission européenne répond aux questions d'Atlantico sur le rôle du Parlement européen, la gestion de l'Union face à la crise, et préconise un second "bond en avant" de l'Union pour retrouver la croissance.

Guy Verhofstadt

Guy Verhofstadt

Guy Verhofstadt a été Premier ministre du Royaume de Belgique de 1999 à 2008. Ministre d'État belge, il est membre de l'Open Vld de tendance libérale démocrate.
 
Depuis 2009, il est député européen et préside le groupe parlementaire Alliance des démocrates et des libéraux pour l'Europe (ALDE). Il est également le fondateur du Groupe Spinelli, qui vise à rassembler les députés européens fédéralistes parmi les divers tendances politiques. Il est candidat à la présidence de la Commission européenne, soutenu par le parti Alliance des libéraux et des démocrates pour l'Europe et le Parti démocrate européen.
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Atlantico : La campagne électorale européenne a débuté la semaine du 8 mai en France, suite à la tribune de François Hollande parue dans Le Monde (lire ici). Le président français réfute toute idée de sortie de l’union et de la zone sous l’argument de la "sortie de l’histoire". N’est-ce pas réducteur du projet européen ?

Guy Verhofstadt : Ce n’est pas suffisant. Même s’il est vrai qu’il est une idiotie de sortir de l’Europe ou de l’euro car les défis auxquels nous sommes soumis aujourd’hui nécessitent une approche transnationale. Mais encore une fois cela n’est pas suffisant. Ce n’est pas avec cela que l’on peut convaincre. Il faut une stratégie positive en ce sens que les recettes menées depuis 5 ans ont échoué. L’austérité seule, même si elle est nécessaire, ne fonctionne pas. De la même manière, la relance par la dépense publique, par la dette, prônée par les socialistes européens ne nous permettra pas de garantir la croissance sur le moyen terme. Ce qu’il nous faut, c’est une stratégie qui à nouveau utilise l’Europe, l’échelle européenne, pour la croissance. Je rappelle toujours les années 1980 et le bond en avant de Jacques Delors. A cette époque, on parlait d’ "euro sclérose" et Delors a lancé l’idée du marché intérieur. Je me rappelle la date mythique de 1992, le monde avait changé. Nous avons fait un bond en avant utilisant l’échelle européenne. C’est exactement ce qu’il nous faut aujourd’hui. Une deuxième phase sur tous les domaines qui sont essentiels pour l’avenir de l’Europe. Un second bond en avant.

Lire aussi : 100 000 emplois créés chaque mois au Royaume-Uni et 6,8% de chômage : les Britanniques ont-ils signé un pacte avec le diable ?

Un second bond en avant mais avec quel projet ?

Union bancaire, fluidification des marchés de capitaux, une communauté énergétique européenne, une communauté digitale tant au niveau technologique qu’au niveau d’Internet, parce que toutes les entreprises de taille mondiale sont américaines ou asiatiques, dans les télécoms, les infrastructures, les transports, et je peux continuer. Il faut créer une nouvelle dynamique d’intégration européenne basée sur l’idée initiale : un second bond en avant en utilisant l’échelle européenne comme moteur de croissance, et ce dans tous les secteurs qui sont prometteurs. Voilà comment on sort de la crise, parce qu’en créant cela on permet aux entreprises d’anticiper un mouvement. C’est un défi que nous sommes en train de perdre si on ne lance pas cela. 

Mais tout cela doit être fait sous une « coupole » de gouvernance économique différente. Il faut une autre Commission Européenne pour prendre la tête des opérations, et développer une vision. Nous n’avons pas besoin d’une Commission ou d’un Conseil Européen pour nous fournir les détails de telle ou telle réforme. Il nous faut une gouvernance économique ou l’Europe définit les paramètres et les Etats doivent en tenir compte dans  leurs réformes, en les adoptant avec un paquet législatif. Ce que je reproche à Barroso c’est qu’il n’a pas utilisé son droit d’initiative pendant 5 ans pour développer une vision de sortie de crise, et de la traduire dans un paquet législatif qui oblige les Etats et le Parlement d’aller dans ce sens. C’est la Commission comme gouvernement européen qui doit mener cette bataille parce que les Etats sont occupés avec leurs politiques nationales.

Que pensez-vous de la déclaration de Herman Von Rompuy  : "la différence entre le Parlement et ceux qui décident réellement est très claire pour les Européens" ?  Le Parlement a-t-il les moyens d’agir face au Conseil, aux chefs d’Etats ?

C’est tragique. Parce que les traités sont très clairs. Nous avons changé le pacte de stabilité contre l’avis du Conseil, pour ACTA c’est la même chose, c’est nous qui avons dit que cela n’allait pas. L’union bancaire a été possible parce que nous l’avons exigée, et il a fallu la crise bancaire espagnole pour que les chefs d’Etats soient sur la même longueur d’ondes. Contester le pouvoir du Parlement, c’est nier les traités et la réalité du terrain, c’est dire que l’Europe n’est qu’un club de gouvernements et que le reste ne compte pas alors que justement pour la première fois on parle de l’Europe dans ces élections. Pour la première fois, cela ne sera pas seulement un test de popularité au niveau national.

Les chefs d’états doivent ils désigner un candidat "officiel" à la Présidence de la Commission même si cela n’est pas une obligation pour eux ? 

Oui. Cela veut dire prendre quelqu’un qui a été candidat sinon on peut fermer la baraque, le Parlement, tout, la démocratie européenne. Celui qui sera nommé sera celui qui est capable de rassembler une majorité de parlementaires autour d’un projet et d’avoir naturellement aussi le soutien du Conseil. Ce sera une négociation entre les instances. Il est impensable de prendre quelqu’un en dehors des candidats. Sinon, la prochaine fois, on saura que pour être nommé il ne faut pas être candidat. Cela deviendrait un petit jeu qui n’a rien à  voir avec une démocratie. Ce sont tous les partis politiques européens qui sont allés dans ce sens-là, alors si on considère que les candidats ne sont là que pour animer la campagne, ce sera une catastrophe.

Vous avez mené de nombreuses réformes de société en Belgique, dont le mariage gay. La majorité des électeurs de l’UDI et du Modem sont sur une voie opposée. Quelle est la cohérence de votre candidature pour un électeur centriste français ? 

La cohérence du groupe libéral est assez élevée. On le voit par exemple avec le « Vote Watch », ou l’on suit les votes des parlementaires. Nous (le Groupe des libéraux et démocrates ALDE) et le PPE (parti populaire européen) sommes ceux qui gagnent le plus de votes. C’est naturellement plus difficile pour un petit groupe, mais c’est bien. Pour moi l’objectif c’est d’être plus grand que les eurosceptiques. On voit une cohérence assez élevé au Parlement, sauf pour les extrêmes. La cohérence se trouve chez nous à 90% (les votes sont suivis à 90%). Je suis assez content parce que le groupe est constant, pro européen, et que je n’ai pas à gérer des groupes qui veulent sortir de l’Union Européenne ou de l’euro comme par exemple le PPE avec Berlusconi. Moi je n’ai aucun parti dans mon groupe qui veut sortir de l’euro, on est tous sur la même ligne. J’ai même des Britanniques qui veulent entrer dans l’euro. La raison pour laquelle je peux proposer un bond en avant européen, c’est parce que j’ai des partis derrière moi qui sont tous pro européens. Et je ne plaide pas pour une Europe omnipotente, je ne veux pas d’une Europe bureaucratique, super état régulateur centraliste, etc. Je veux une Europe qui s’engage dès lors qu’elle peut démontrer qu’elle a une plus-value pour les citoyens et pour les entrepreneurs.

Que pensez-vous de l’action de la Banque centrale européenne depuis l’entrée en crise? A-t-elle été à la hauteur des évènements ? 

Dans la réalité, on peut constater que la Banque centrale européenne a eu une souplesse qui est quand même plus importante que ce que l’on pensait initialement. Quand on voit qu’il y a eu l’OMT (Outright monetary transactions) par exemple, lancé par Draghi, cela a quand même beaucoup aidé.

La cour constitutionnelle de Karlsruhe semble s’opposer aux OMT … ?

Non, je ne pense pas qu’ils peuvent critiquer cela. En plus, aucun pays n’a eu à le tester. On parle maintenant du Quantitative Easing (assouplissement quantitatif), il y a là une évolution qui est claire. Mais je veux quand même dire que ce n’est pas la BCE qui va résoudre la crise. Elle peut aider avec l’OMT justement, qui consistait à bloquer une dérive. Mais la crise c’est nous. Ce sont les hommes politiques qui doivent prendre leurs responsabilités en lançant une stratégie de croissance le plus vite possible. La Banque peut aider. Une idée de mon programme est de lancer, avec la BCE et  la Banque Européenne d’investissement, des « future bonds » pour financer les investissements d’infrastructure dont on a besoin, dans le transport, dans l’énergie, dans l’internet..

Ce qui nous rappelle les "Project bonds" de François Hollande en 2012…

Mais ils n’ont rien fait ! 200 millions !! Désolé, je m’énerve, mais avec 200 millions, qu’est-ce qu’on fait ??

Quel montant serait nécessaire ? 

Quelques centaines de milliards d’euros. Le besoin général pour une décennie est évalué à 2000 milliards d’euros pour l’Union.  Et là, on parle de 200 millions avec ces "projet bonds" et en plus rien n’est encore réalisé. J’appelle cela le monstre du Loch Ness de l’Union parce que les "project bonds" font surface et disparaissent chaque mois ou chaque semaine. Et on ne voit rien. Voilà pourquoi il faut une Commission qui mette cela sur la table avec un paquet législatif, en disant "voilà ce que l’on va faire". On doit faire cela avec des capitaux privés, en payant des intérêts, c’est le seul moyen de le faire sans aggraver la dette publique des Etats. Sinon, nous allons échouer. Si en plus de cela, nous mettons en place un paquet législatif pour unifier les marchés de capitaux, unifier les systèmes bancaires, unifier le digital unifier l’énergie etc…nous aurons des résultats. C’est un concept valable. L’Europe comme moteur de croissance, en utilisant cette dimension européenne.

Les critères de Maastricht ?

Je ne veux pas les changer. Je suis contre toute cette idée, c’est moi qui ai bloqué le changement du pacte de stabilité avec mon groupe. Je ne voulais pas que les Etats décident. Sinon on ne fait rien du tout. Si on commence à dire, "on va exclure les investissements" dans le calcul des déficits, je connais les hommes politiques, tout va devenir "investissement".  C’est la porte ouverte à la dette. Il faut arrêter, on n’a jamais connu ce niveau de dettes. Mais encore une fois ce n’est pas un problème parce qu’il y a une alternative pour cela : l’Europe. 

Je critique aussi durement la gestion de la crise que n’importe quel eurosceptique mais je ne suis pas fou au point de penser qu’il faut retourner en arrière, derrière nos frontières nationales, pour résoudre nos problèmes.

Les critères de Maastricht sont les 3% de déficits, les 60% d’endettement et une inflation inférieure à 2%, et celle-ci devait permettre une croissance nominale de 5%. Sur ce dernier point, le mandat de la BCE n’a pas permis de délivrer cette croissance nominale (qui tient compte de l’inflation) de 5%. Que faire ? 

Je ne suis pas contre que la Banque centrale, à côté de son objectif d’inflation, regarde aussi le côté croissance. 

Sur le modèle américain ?

Non, pas le même modèle. Il ne faut quand même pas aller dans ce sens ou l’on ne considère que les moyens monétaires pour résoudre les problèmes. C’est ce que nous avons connu aux Etats Unis avec Greenspan et qui n’a pas toujours été un exemple. Je ne crois pas aux moyens monétaires comme seuls moteurs de croissance, et certainement pas en Europe ou il y a quelque chose d’autre à faire. Il y a un énorme marché, 500 millions de personnes, et on ne l’utilise pas pour les secteurs d’avenir. C’est pour cela que l’on n’a pas les Facebook, les Twitter, les Google, Apple, Microsoft, c’est pour cela aussi qu’on paye trois fois le prix pour l’énergie par rapport à nos concurrents américains. Voilà pourquoi il y a une baisse des crédits alloués à l’économie réelle en Europe. Voilà notre problème. On essaye de rester compétitifs de manière assez artificielle parce qu’il y a la concurrence mais le grand défi est devant nous. La tragédie est que si on ne fait ce second « bond en avant » dans l’intégration européenne dans ce monde globalisé, on va connaitre une défiance économique. On aura un retard énorme.

L’Ukraine ?

Il nous faut une unité plus grande au niveau de nos actions communes. Pas seulement en Ukraine. Quand on est ensemble et que l’on lance des sanctions économiques contre Ianoukovitch, ça aide, après, on a eu des difficultés avec les sanctions pour la Russie. La même chose concernant les enfants au Nigéria, le défi de tout cela c’est le  défi du terrorisme islamiste en Afrique. On doit jouer la carte de l’Europe. 

Ce qui nécessiterait une réforme institutionnelle ?

Diplomatie européenne et communauté de défense européenne. On doit revenir un petit peu à 1954 (rejet par la France du traité instituant la communauté de défense). Mendes France était alors Premier ministre et c’était un projet de son prédécesseur, or lui n’était pas intéressé. C’est cela la réalité, mais nous devons y revenir. Et cela n’est pas une concurrence à l’OTAN. Nous devons y revenir aussi pour des raisons budgétaires parce que la réalité est que nos forces sont très diminuées. On est quatre fois moins efficaces que les américains pourquoi ? Toujours la même chose ; il faut utiliser l’échelle européenne !  Et ceux qui ne le voient pas vivent dans un autre monde. En faisant les choses ensemble, on diminue les coûts et on est plus efficaces. Au niveau politique c’est exactement la même chose. Utiliser l’Europe pour regagner et réinventer notre souveraineté, notre capacité de décider de notre propre sort, pour défendre notre modèle social au niveau mondial, pour être compétitifs face aux américains et aux chinois. Alors que nos hommes politiques restent dans leur strabisme national…

Comment analysez-vous la campagne européenne en France ?

Pour la première fois le thème est l’Europe. Même si  déjà en 2009, Daniel Cohn-Bendit avait fait une campagne très pro européenne. C’est ce que j’essaye de faire, une campagne européenne. C’est une nécessité et une occasion. Et le dire très ouvertement et très directement dans les médias français. Je crois que c’est très important de dire cela, de le répéter dans les meetings, à la radio, sur les plateaux télé. Parce que j’ai l’impression que depuis trop longtemps on n’a pas entendu cette voie la en France. C’est ce que j’essaye de faire.

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