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Guerre froide et espionnage naval : la stratégie de Staline
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Bonnes feuilles

Ignoré par les ouvrages traitant de la Guerre froide, l'espionnage naval permit aux deux blocs d'utiliser les océans et les ports pour surveiller et pénétrer le camp adverse. Extrait de "Guerre froide et espionnage naval" (2/2).

Peter A. Huchthausen et Alexandre Sheldon-Duplaix

Peter A. Huchthausen et Alexandre Sheldon-Duplaix

Ancien attaché naval des Etats-Unis à Belgrade, Bucarest puis Moscou, le capitaine de vaisseau Peter Huchthausen, (mort en juillet 2008) est l'auteur de trois livres sur la marine soviétique.

Alexandre Sheldon-Duplaix chercheur depuis 1999 au Service historique de la Défense (Vincennes), enseigne à l'école militaire.. Il a travaillé au ministère de la Défense de 1987 à 1999 et a publié trois ouvrages sur les sous-marins et les porte-avions.

 

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Pendant la visite de Winston Churchill à Moscou en octobre 1944, Staline lui confia qu’Hitler avait commis la grave erreur de vouloir conquérir l’Europe sans disposer d’une flotte capable de rivaliser avec les forces navales combinées de ses adversaires.

Peu de temps après, Staline donna l’ordre de préparer un nouveau programme naval décennal qui reprendrait les grandes lignes du plan adopté en 1938. Après la guerre, l’URSS voulait reconstruire sa base industrielle avec l’objectif de devenir une puissance navale d’envergure mondiale. La priorité absolue allait au progrès scientifique et technique, et ce malgré le coût exorbitant imposé à une population déjà lourdement éprouvée. Cette politique permit le développement rapide d’une infrastructure de construction navale qui intégrait le butin des équipements et des techniques obtenus en Allemagne. Les centres de recherche et les bureaux d’études consacraient toutes leurs ressources à la conception de nouvelles armes, notamment les missiles qui seraient l’arme maîtresse pour attaquer l’adversaire. En étudiant les technologies allemandes et alliées acquises grâce au prêt-bail, les Soviétiques avaient mesuré leur retard. Staline lui-même décida d’accorder la priorité aux missiles. Le 19 mai 1946, il signa un décret du Conseil des ministres de l’URSS instituant un comité spécial sur les fusées6.

Le contenu du décret révélait la dépendance totale des Soviétiques envers les technologies allemandes et le renseignement :[…] utiliser les ressources de l’URSS pour reproduire en priorité le FAU-2 (missile guidé à longue portée) et le Wasserfall (missile guidé antiaérien)[…] le travail sur les missiles comprendra les éléments prioritaires suivants :

a) reproduire la documentation technique pour le FAU-2, Wasserfall, Rheintochter, Schmetterling ;

b) reconstituer les laboratoires et les installations d’essai munis de l’équipement et des instruments requis pour mener des recherches et faire des essais[…] ;

c) former des spécialistes soviétiques capables de fabriquer et de tester les pièces qui serviront à l’assemblage des missiles FAU-2 et des missiles antiaériens[…] prévoir les installations pour relocaliser les bureaux d’ingénierie et accueillir les spécialistes allemands[…] permettre au Comité spécial sur les fusées et aux ministères de se procurer auprès des centres de recherche scientifique et des installations d’essais en Allemagne de l’équipement et des systèmes au titre des réparations[…] donner l’ordre au Comité spécial de présenter au Conseil des ministres de l’URSS des propositions pour l’envoi d’une mission qui aura pour objectif d’acquérir du matériel et des instruments destinés aux centres de recherche scientifique sur les fusées[…] établir comme priorité d’État le développement de la technologie des fusées et ordonner à tous les ministères d’accomplir en priorité les tâches reliées à cette technologie.

En 1947, Staline démit de ses fonctions le chef de la marine en raison de son opposition à ses réformes. Rétrogradé au rang de vice-amiral, Kouznetsov fut accusé un an plus tard d’avoir livré la technologie de la torpille acoustique T-5 allemande à l’amirauté britannique. Il s’agissait d’un grossier subterfuge puisque c’était Staline lui-même qui avait signé la lettre autorisant les techniciens anglais à examiner cette arme. Néanmoins, comme le généralissime avait de l’estime pour Kouznetsov, il lui confia en février 1950 le commandement de la Ve flotte du Pacifique ; moins chanceux, ses adjoints furent disgraciés ou jetés en prison. Il faut dire que Staline lui-même n’était pas satisfait de ses propres réformes. Comme il le craignait, l’armée continuait à traiter la marine comme une force subalterne, ce qui était contraire au rôle que le chef soviétique voulait confier à sa flotte. Pour renforcer celle-ci face à l’armée, Staline créa le 26 février 1950, un ministère et un état-major de la Marine. En juillet 1951, il accorda son pardon à Kouznetsov qui fut immédiatement nommé ministre de la Marine9. Le choix de Staline révélait son respect pour l’intégrité de Kouznetsov et son désir d’une marine indépendante et océanique, privilégiant les croiseurs de bataille et les croiseurs.

Le généralissime voulait une flotte capable de collaborer avec l’aviation pour dominer les approches de l’URSS et former les officiers d’une future marine hauturière. « À ce stade, je vous conseille d’ajouter quelques croiseurs légers et destroyers », avait dit Staline à N.G. Kouznetsov. « Les officiers de marine ne sont pas assez compétents. Les croiseurs et les destroyers vous permettront de mieux les entraîner. » Toutefois, comme le notait l’historienne Natalia Yegorova, le programme naval décennal rencontrait de sérieuses diffi cultés et, fi n 1949, le ministère des constructions navales ne l’avait toujours pas exécuté10. Si une guerre avait éclaté, la marine de Staline aurait été une fois de plus limitée à un rôle de soutien aux forces terrestres dans les régions côtières.

Face à une telle perspective, les croiseurs de bataille évoqués en 1951 auraient dû constituer la pierre angulaire du deuxième programme naval décennal qui devait s’achever en 1956. Les symboles de prestige auraient consacré l’URSS comme une superpuissance12. Pourtant, Staline et Kouznetsov avaient autre chose en tête : créer la version soviétique du futur « capital ship » de la guerre froide, une plateforme d’un nouveau genre capable de gagner une guerre avec un seul coup : le sous-marin nucléaire. En effet, des rapports troublants en provenance des États- Unis évoquaient la construction d’une plate-forme sousmarine qui n’était plus dépendante de l’air : un véritable sousmarin propulsé par l’énergie nucléaire et capable de produire de l’oxygène et de l’eau. Après l’adoption le 9 septembre 1952 d’un décret par le Comité central du Parti communiste, lança le développement accéléré d’un sous-marin atomique. Le projet 627 n’était pas une simple réplique du sous-marin d’attaque américain Nautilus. Il lancerait une torpille nucléaire de 27 m de long. Sa cible probable était la principale ville portuaire de l’ennemi : New York.

Extrait de "Guerre froide et espionnage naval", Peter A. Huchthausen, Alexandre Sheldon-Duplaix, (Nouveau Monde Editions), 2013. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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