Guerre en Ukraine : quelle sortie possible pour la Russie et pour Poutine (ensemble… ou séparément) ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Vladimir Poutine lors d'une réunion sur le développement de l'industrie de la construction navale. 18 août 2022
Vladimir Poutine lors d'une réunion sur le développement de l'industrie de la construction navale. 18 août 2022
©©MIKHAIL KLIMENTYEV / SPUTNIK / AFP

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En moins d'une semaine, les Ukrainiens ont entièrement repris les territoires contrôlés par les Russes dans la région de Kharkiv. Si cette offensive risque de modifier le cours de la guerre, elle pourrait également avoir des conséquences pour Vladimir Poutine, que de nombreuses voix commencent à critiquer

Brian Frydenborg

Brian Frydenborg

Brian Frydenborg a passé deux décennies à étudier, écrire ou travailler dans les domaines de l'analyse des conflits, du contre-terrorisme, des affaires internationales, des politiques publiques, de la politique, de l'histoire, de l'aide humanitaire et du développement international.  Son travail a été présenté dans Newsweek, Jerusalem Post, Modern War Institute at West Point, London School of Economics and Political Science Middle East Centre, Jordan Times, Radio Free Europe/Radio Liberty (RFE/RL), et Real Clear Defense/History, entre autres.  

Brian Frydenborg est très actif sur son compte Twitter

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Cyrille Bret

Cyrille Bret

Cyrille Bret enseigne à Sciences Po Paris.

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Atlantico : Les troupes ukrainiennes ont réalisé une avancée assez extraordinaire ces derniers jours. Comment peut-on l'expliquer ?

Cyrille Bret : les forces armées ukrainiennes disposent de plusieurs atouts structurels. Elles sont motivées au plus haut point car elles ont défendu et aujourd’hui reprennent des territoires ukrainiens récemment conquis, occupés et détruits par les forces armées russes. C’est la défense de la souveraineté ukrainienne de leur terre qui est en jeu – leur patriotisme est un atout que n’ont pas les adversaires engagés dans une opération offensive de conquêtes. Elles ont en outre une agilité tactique acquise depuis plusieurs années auprès d’instructeurs occidentaux et renforcée par les derniers mois de conflit. Enfin, elles bénéficient du soutien en matériels de la part de l’Union européenne et des Etats-Unis. Ces succès s’expliquent également par les difficultés logistiques, tactiques et matériels des forces armées russes. Enfin et surtout, d’un point de vue politique, une certaine union sacrée soutient les soldats ukrainiens. En somme, l’Ukraine pourrait bien vivre sa bataille de Valmy durant laquelle, en 1792, les citoyens français, prenant les armes, avaient défendu leur pays et les idéaux révolutionnaires contre une coalition d’armées royalistes étrangères sur le sol même de la patrie.

Brian Frydenborg : Il y a plusieurs raisons. Mais avant tout l'état des deux armées et une différence de tactique. L'Ukraine utilise une bonne tactique, la Russie une mauvaise. Avant l'offensive, l'Ukraine utilisait des armes de précision à distance (MR, M777, Cesar, etc.). Lorsque l'offensive a commencé, l'armée russe était déjà dégradée. De plus, une partie des meilleures troupes russes a été déplacée de l'est vers le sud, laissant les positions fortes pour des positions plus précaires. À un moment donné, les Russes n'avançaient plus. Les troupes restées à l'est sont mal équipées et mal entraînées. Une grande partie des soldats bien formés sont morts et il s'agit maintenant de soldats conscrits équipés de matériel de l'ère tsariste ou de la Seconde Guerre mondiale. Je pensais que pour les Ukrainiens, Kharkiv n'était pas un objectif principal, mais ils ont réalisé qu'ils pouvaient faire beaucoup en avançant là. Et je pensais aussi qu'ils n'avaient pas assez d'équipement offensif pour pouvoir aller aussi loin dans la région de Kharkiv et faire autant de dégâts. Cependant, il n'est pas surprenant que les Russes s'effondrent rapidement, car ils sont dans une situation où ils doivent soit mourir, soit se rendre. Aucune troupe dans cet état ne peut se battre longtemps, à moins de défendre son foyer. Cette situation place Poutine dans une situation précaire. Certaines personnes de son entourage se rendent compte qu'une partie de l'armée a été détruite, selon les chiffres ukrainiens : 50.000 tués, beaucoup plus de blessés et beaucoup de matériel détruit.

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Ce qui se passe maintenant va-t-il changer la donne dans cette guerre ?

Brian Frydenborg :Il n'y a aucun doute. Les troupes russes, la population, même à la télévision, certains admettent que la situation est désastreuse. Il y a quelques jours, Poutine disait « nous n'avons rien perdu ». Quelle est sa crédibilité maintenant ? Qu'est-ce qui incite les soldats à bien se battre maintenant ? À un moment donné, tout le monde doit avoir une idée de ce qui se passe. Donc, le moral, déjà terrible, de l'armée russe doit vraiment s'effondrer. Les pertes russes sont élevées, les pertes ukrainiennes sont faibles. Donc, je pense que les soldats savent qu'ils sont terriblement dirigés, qu'ils ont des pertes élevées. Les capacités de combat des Russes vont être si faibles à ce stade que je doute que la Russie puisse gagner un territoire important dans cette guerre. Même s'ils mobilisaient de nombreuses personnes, il faudrait du temps pour les équiper, et elles ne seront ni bien équipées ni bien entraînées. Ce qui change la donne, je pense, c'est que les Russes sur le terrain savent qu'ils ont perdu, et ils vont juste essayer de survivre. C'est pourquoi je pense que nous allons assister à de nombreux autres effondrements dans les semaines à venir.

Certaines voix, y compris à la télévision russe, considèrent que la guerre est ingagnable. Dans le même temps, le porte-parole du Kremlin a expliqué que « L’opération militaire spéciale va se poursuivre jusqu’à ce que les objectifs initialement fixés soient atteints ». Comment peut évoluer la situation ? Une escalade est-elle possible ?

Cyrille Bret : une réaction russe sur le plan militaire, diplomatique et médiatique est éminemment probable. Elle va porter les combats à une plus haute intensité encore. En effet, la présidence russe a jeté dans la bataille sa crédibilité et mis en jeu son autorité. Renoncer aujourd’hui serait un aveu de faiblesse extrêmement dangereux pour les décideurs en place. Ils pourraient s’exposer d’une part à des mouvements pacifistes dans la rue et d’autre part à des courants ultra-nationalistes dans l’armée. Une escalande paraît malheureusement aussi inévitable que la guerre promet d’être longue.

Dans un article, vous avez écrit que la Russie avait déjà quasiment perdu, mais cela signifie-t-il que l'Ukraine a gagné ? 

Brian Frydenborg :Après Stalingrad, il était clair que les Allemands allaient perdre, de même pour la bataille d'Okinawa pour les Japonais. Pourtant, la Seconde Guerre mondiale a continué et les soldats ont continué à se battre. Parfois, les pires batailles se déroulent à ce moment-là. Ce sont des batailles presque fanatiques. Les Ukrainiens savent qu'ils se battent pour défendre leur pays. Mais pour quoi les Russes se battent-ils ? Ils tuent leurs voisins dans une guerre de conquête qu'ils savent qu'ils sont en train de perdre. Et malgré tout, il pourrait y avoir beaucoup de morts Russes supplémentaires.

Le prétexte de la guerre était que les Ukrainiens étaient, au fond, des Russes attendant d'être réunis. C'est manifestement faux. Et il est clair maintenant que les Ukrainiens ne veulent pas participer au projet russe. 

Compte tenu de ce revers, que pourrait-il se passer ensuite ? Une escalade ? Quel est le scénario le plus probable ?

Brian Frydenborg :Je pense que le scénario le plus probable, c'est que si l'Ukraine continue à remporter la victoire et que la Russie continue à perdre des soldats, même si, disons, Kadyrov envoie toutes ses troupes, quelle différence cela ferait-il si l'Ukraine dispose de l'intelligence ? Face à des Ukrainiens bien équipés, qui conservent un bon moral, que peuvent faire les troupes russes ? Même en cas de mobilisation générale, il serait trop tard. Ils ont besoin de ces troupes maintenant, car ils sont en train de perdre. L'impact serait palpable dans un mois, et la Russie n'a pas de mois. Et s'il y a une mobilisation générale, ce sera un signe que Poutine a menti pendant tout ce temps et ce ne sera pas une décision populaire. Je pense qu'avant qu'une quelconque mobilisation générale puisse commencer, il est plus probable que quelqu'un au Kremlin se débarrasse de Poutine. Personne en Russie ne profite de la guerre, et le Kremlin le sait parfaitement. Et pendant que la Russie se rassemble pour une mobilisation générale, l'Ukraine aura le temps d'obtenir plus d'équipement, plus d'entraînement, etc. Plus cela dure, plus les chances de l'Ukraine sont grandes. Même si Poutine décide d'utiliser l'arme nucléaire, dans quel scénario est-elle utile ? Que pourrait-il y gagner, compte tenu des conséquences. C'est comme une partie de poker, Poutine n'a pas de main gagnante, s'il joue, il perd, s'il se couche, il perd aussi. 

Vous pensez que ce revers pourrait signifier la fin de Poutine. Sera-t-il contraint de partir ? De quelle manière ? 

Brian Frydenborg :Je n'exclus pas une transition pacifique du pouvoir, mais j'en doute. Il est plus probable qu'il soit tué par quelqu’un de l’intérieur ou qu'il doive faire face à une mutinerie de l'armée elle-même. Au Kremlin, dans les familles des soldats, tout le monde sait qu'ils sont en train de perdre, et la plupart d'entre eux savent que c'est la faute de Poutine. Et ils savent aussi que s'ils lui restent fidèles, il fera tomber la Russie. La promesse de Poutine était de donner à la Russie une position forte, où les Russes seraient respectés et craints dans une économie stable et forte, en échange de leur liberté. Avec cette guerre, tout cela a disparu, et cela ne s'améliorera pas. Donc, je pense que quelqu'un va faire quelque chose parce qu'il y a trop à perdre. Tout ce que Poutine a dit s'avère être un mensonge, et il y a beaucoup de lavage de cerveau, mais vu la situation, on peut se demander combien de temps cela va durer. Le scénario dans lequel le peuple et le gouvernement soutiennent Poutine est improbable, voire inimaginable. Dans l'armée, certains commencent à le blâmer, à la télévision aussi. Alors, imaginez ce qui se passera après la prochaine victoire militaire en Ukraine ? 

Face à cette situation et les revers actuels, la place de Poutine comme chef de l’Etat pourrait-elle être remise en question ?

Cyrille Bret : le président russe ne renoncera pas au pouvoir à ce stade. Les succès militaires ukrainiens sont tangibles et sensibles. Ils suscitent le soulagement à l’Ouest, la crainte en Russie et l’enthousiasme en Ukraine. Mais, vus de Moscou, il s’agit de revers tactiques qui ne remettent en cause ni les gains territoriaux fondamentaux (Crimée et Bassin du Don) ni les objectifs stratégiques de la Russie : empêcher l’Ukraine de rejoindre l’OTANT et l’Union européenne. Pour que le pouvoir ou le prestige du président russe soient atteints, il faudrait une dégradation bien grande de la situation des troupes russes en Ukraine, par exemple une annulation des gains territoriaux enregistrés depuis février 2022 ou une menace sérieuse sur l’annexion de la Crimée.

Le départ forcé ou volontaire de Poutine est-il une possibilité crédible à l’heure actuelle ?

Cyrille Bret : pour le moment, la présidence Poutine a soudé les cercles de décision autour de son opération militaire. De plus, une épuration des cercles de décisions et des forces de sécurité a été menée durant les mois passés. Enfin, les sanctions nominatives imposées contre les décideurs russes par l’Occident ont pour effet inévitable de souder ces decideurs autour du président russe. Si un départ volontaire est hautement improbable, un départ forcé n’est pas plausible à l’heure actuelle.

À quoi pourrait ressembler l'après-Poutine ? Pourrait-il être pire ? 

Brian Frydenborg :Nous devons être très prudents sur cette question. Navalny pourrait être une option car il est assez populaire en Russie et incarne l'opposition. S'il n'est pas assassiné par le Kremlin, ses chances pourraient être bonnes lors d'une élection. Mais il se peut qu'il n'y ait même pas d'élection, ils pourraient avoir un gouvernement temporaire d'oligarques. Je doute que ce soit une seule personne. Et lorsque Poutine sera destitué, je doute que son successeur soutienne l'invasion de l'Ukraine. Le peuple russe sera épuisé et à la recherche d'une meilleure relation avec le monde. Un certain nombre de personnes sauront que c'est dans leur intérêt.

En cas de départ de Poutine, la situation s’améliorerait elle nécessairement ? Le pouvoir qu’il a installé pourrait-il perdurer sans lui ?

Cyrille Bret : L’hypothèse – fort improbable - d’une destitution du président russe par un putsch militaire consécutive à une déroute militaire russe massive créérait des risques d’instabilité politique et stratégique très important. Le pouvoir actuel a en effet empêché la constitution de contre-élites ou de nouveaux responsables. Le départ de Poutine créerait une incertitude majeure pour la stabilité du pays.

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