Guerre en Ukraine : et l’erreur fatale de Vladimir Poutine fut de…<!-- --> | Atlantico.fr
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Frédéric Encel publie « Petites leçons de diplomatie Ruses et stratagèmes des grands de ce monde à l'usage de tous » aux éditions Autrement.
Frédéric Encel publie « Petites leçons de diplomatie Ruses et stratagèmes des grands de ce monde à l'usage de tous » aux éditions Autrement.
©Alexei DRUZHININ / SPUTNIK / AFP

Bonnes feuilles

Frédéric Encel publie « Petites leçons de diplomatie Ruses et stratagèmes des grands de ce monde à l'usage de tous » aux éditions Autrement. La diplomatie est un art qu'il faut manier avec habileté et précaution. En 15 leçons, Frédéric Encel décrypte les stratégies, souvent contestables, des grands de ce monde, celles qui font et défont les puissances. Extrait.

Frédéric Encel

Frédéric Encel

Frédéric Encel est Docteur HDR en géopolitique, maître de conférences à Sciences-Po Paris, Grand prix de la Société de Géographie et membre du Comité de rédaction d'Hérodote. Il a fondé et anime chaque année les Rencontres internationales géopolitiques de Trouville-sur-Mer. Frédéric Encel est l'auteur des Voies de la puissance chez Odile Jacob pour lequel il reçoit le prix du livre géopolitique 2022 et le Prix Histoire-Géographie de l’Académie des Sciences morales et politiques en 2023.

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Le 24 février 2022, l'armée russe envahit l'Ukraine, tentant de s'emparer de Kiev, sa capitale, et d'en chasser le régime démocratique pro-occidental en place. Certes, l'annexion de la Crimée et l'investissement militaire de l'est du Donbass étaient déjà intervenus en 2014, mais il s'agissait de zones exclusivement russophones et ultra-russophiles. Depuis, une guerre de basse intensité prévalait, sans opérations militaires majeures hors du Donbass.

Dans leur quasi-totalité, les observateurs furent surpris qui n'avaient pas cru au scénario de l'invasion massive, arguant notamment de la hauteur de vue stratégique de Poutine, lecteur dans le texte du grand stratège prussien du XIXe siècle, Carl von Clausewitz. Or, le président russe commit l'erreur traditionnelle de la plupart des chefs politiques et militaires qui, précisément, ne sont pas de grands stratèges, cette erreur qu'on paie généralement cher et cash consistant à mésestimer les autres acteurs de son écosystème. En l'espèce, il a simultanément sous-estimé trois acteurs et en a surestimé un autre. Passons-les tous en revue.

Le premier acteur qu'a amplement sous-estimé pour des raisons idéologiques le maître du Kremlin, c'est le peuple ukrainien lui-même. Dans la vulgate nationaliste russe, celui-ci n'a jamais existé et n'incarne qu'une part, sorte de variante édulcorée et loyalement douteuse, du peuple russe. Il ne peut par conséquent pas revendiquer les droits afférents à un peuple doté d'une conscience nationale, à savoir un État. Certes, l'État ukrainien a été officiellement reconnu par la Russie lors de l'éclatement de l'Union soviétique en 1991, mais dès l'arrivée au pouvoir du nationaliste Poutine en 1999 (succédant au modéré Boris Eltsine), le ton est au retour de l'Ukraine dans le giron russe. Du reste, Poutine dira que « la fin de l'URSS aura été la plus grande catastrophe géopolitique du XXe siècle ».

Plus prosaïquement, certains avancent que l'Ukraine est un grenier à blé. Certes, mais depuis février 2022 et jusqu'au moment où ces lignes sont écrites un an plus tard, la propagande russe aura bien davantage insisté sur le nécessaire rejet du « régime nazi » de Kiev que sur les richesses agricoles de l'Ukraine ou même que sur le danger de l'OTAN. Pire : les références historiques du Kremlin s'inscrivent sans cesse davantage dans l'ère glorieuse d'une Sainte Russie orthodoxe et tsariste (qui incluait naturellement l'Ukraine, outre plusieurs autres États souverains contemporains de l'Europe orientale...), plus encore que dans celle de Staline, pourtant revalorisé depuis les années 2010 à l'inverse de Lénine accusé d'avoir, précisément, abandonné l'Ukraine en 1918 dans le cadre du traité de paix séparée de Brest-Litovsk avec les empires centraux.

Seulement voilà : la conscience nationale ukrainienne existe bel et bien, démontrée dès les premiers jours d'invasion ; non seulement l'armée et le pouvoir de Volodymir Zelensky ont tenu bon, mais la quasi-totalité de la population — y compris les russophones de l'Est —n'a pas rejoint le camp russe. Poutine pensait pourtant qu'elle demeurerait passive, voire favorable à sa... « libération » de la « décadence » par les chars russes. Ce qui ne laisse de stupéfier, c'est que Poutine s'est lourdement trompé sur la population ukrainienne, alors que, d'une part, il fut longtemps officier du KGB, le redoutable service de renseignement de l'ex-URSS, et que, d'autre part, le pays concerné est voisin, très connu de Moscou, et sa langue aisément compréhensible.

Le deuxième acteur que Poutine aura sous-estimé, c'est l'Europe. Fait sans précédent, l'Union européenne (UE) aura en effet réagi à la fois massivement (via des sanctions économiques et financières lourdes), quasi unanimement (la Hongrie mise à part), et immédiatement (dès les premiers jours de l'invasion). Or cette Europe est censée constituer une zone de décadence manifeste, la nature de celle-ci étant « dévirilisée », « féminisée », « matérialiste », « blasphématoire » et « athéiste ». On passera sur la contradiction (en principe) fondamentale majeure entre fascisme et dévirilisation, et sur les accusations en miroir de « moeurs dissolues » (l'alcoolisme, le hooliganisme et la violence civile sont des fléaux hélas bien établis en Russie) et sur les églises orthodoxes russes tout aussi vides que celles d'Europe (Pologne exceptée), pour ne garder ici que la gangue idéologique aveuglante : si l'Europe était si décadente, jamais elle ne réagirait fermement face à l'intervention russe. Or elle réagit vivement et les opinions européennes demeurèrent très majoritairement en faveur d'un soutien à l'Ukraine agressée, en dépit des coûts énergétiques et inflationnistes induits. Là aussi, pour un ancien officier du renseignement qui eut le temps, vingt-deux années durant, de renforcer sa connaissance des Européens avec leurs sensibilités, convictions, institutions et allégeances, se fourvoyer à ce point laisse songeur.

Troisièmement, Poutine a sous-estimé « Sleepy Joe » (Joe l'endormi), selon le sobriquet donné par son rival Donald Trump aux présidentielles de 2020. Là, son erreur est sans doute moins idéologique qu'empirique ; effectivement, le président américain de 80 ans avait déjà accusé quantité de faiblesses, confondant parfois des termes pendant ses allocutions, s'assoupissant au cours d'interviews, chutant à vélo ou dans des escaliers. Seulement, le président russe (exhibant plus souvent qu'à son tour ses abdominaux) a négligé un fait : hors de ces incidents, Biden demeure cet ancien président presque tri-décennal de la puissante Commission des affaires étrangères du Sénat, l'organe essentiel de défense et de politique étrangère américaine.

Extrait du livre de Frédéric Encel, « Petites leçons de diplomatie: Ruses et stratagèmes des grands de ce monde à l'usage de tous », aux éditions Autrement

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