Guerre en Ukraine : la boîte de pandore Poutinienne <!-- --> | Atlantico.fr
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Le président russe Vladimir Poutine s'exprime lors de sa conférence de presse en marge du sommet du G-20 à Osaka, le 29 juin 2019.
Le président russe Vladimir Poutine s'exprime lors de sa conférence de presse en marge du sommet du G-20 à Osaka, le 29 juin 2019.
©YURI KADOBNOV / POOL / AFP

Le point de vue de Dov Zerah

Le 3 mai 2021, il y a neuf mois, les bruits de botte à la frontière ukrainienne m’avaient conduit à examiner la question "et si la Russie envahissait l’Ukraine" ? Cette hypothèse prémonitoire est devenue une réalité depuis douze jours. Pour expliquer cette invasion, plusieurs causes sont avancées.

Dov Zerah

Dov Zerah

Ancien élève de l’École nationale d’administration (ENA), Dov ZERAH a été directeur des Monnaies et médailles. Ancien directeur général de l'Agence française de développement (AFD), il a également été président de Proparco, filiale de l’AFD spécialisée dans le financement du secteur privé et censeur d'OSEO.

Auteur de sept livres et de très nombreux articles, Dov ZERAH a enseigné à l’Institut d’études politiques de Paris (Sciences Po), à l’ENA, ainsi qu’à l’École des hautes études commerciales de Paris (HEC). Conseiller municipal de Neuilly-sur-Seine de 2008 à 2014, et à nouveau depuis 2020. Administrateur du Consistoire de Paris de 1998 à 2006 et de 2010 à 2018, il en a été le président en 2010.

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Une des raisons les plus couramment présentées est l’extension de l’OTAN vers l’Est européen.

  • Certains insistent sur le non-respect d’une éventuelle promesse américaine faite à Mikhaïl GORBATCHEV, en 1990 au moment de la réunification allemande, que l’OTAN n’irait pas au-delà de la ligne Oder-Neisse, frontière allemande avec la Pologne. Or, n’existent aucun document et aucune déclaration du dirigeant soviétique ou de son ministre des affaires étrangères, M. Éduard SHEVARNADZE validant un tel engagement.

  • La progression vers la frontière russe s’est réalisée en trois vagues d’adhésions : en 1999, la Hongrie, la Pologne et la Tchéquie ; en 2004, la Bulgarie, les trois États baltes (Estonie, Lettonie et Lituanie), la Roumanie, la Slovaquie et la Slovénie ; en 2009, l’Albanie et la Croatie. La Russie s’est sentie progressivement encerclée.

Même si la mise sous la protection du bouclier américain était un signe de défiance, la démarche ne s’inscrivait pas dans une posture agressive. Cette appréciation peut être relativisée car, dans le même temps, l’Oncle Sam remettait en cause le traité relatif aux missiles balistiques.

Même si l’entrée de l’Ukraine n’était pas inscrite à l’agenda de l’organisation atlantique, sa seule éventualité a été perçue comme une nouvelle agression de l’Occident. La Russie s’est sentie obligée de briser son encerclement, son isolement, thème récurrent de l’histoire du pays et fil conducteur de sa stratégie séculaire.

  • Tant en 1999 qu’en 2004 et 2009, les dirigeants de l’OTAN ont avancé sans se préoccuper du ressenti russe. Et pourtant, Vladimir POUTINE avait clairement présenté, il y a 15 ans, en février 2007, à l’occasion de la 43ème conférence sur la politique de sécurité tenue à Munich, sa vision du Monde, et notamment de la situation européenne. "… Un pays, les Etats-Unis, sort de ses frontières nationales dans tous les domaines. C'est très dangereux : plus personne ne se sent en sécurité, parce que personne ne peut plus trouver refuge derrière le droit international… Il me semble évident que l’élargissement de l’OTAN n’a rien à voir avec la modernisation de l’alliance ni avec la sécurité en Europe. Au contraire, c’est une provocation qui sape la confiance mutuelle et nous pouvons légitimement nous demander contre qui cet élargissement est dirigé." Il a fallu la guerre pour exhumer ces déclarations et leur accorder de l’importance !

  • Au-delà des procès d’intention, les faits sont probants : l’OTAN n’a installé à l’est de l’ancien rideau de fer aucune base permanente ni aucune ogive nucléaire.

L’argument selon lequel l’Occident aurait négligé la main tendue par la Russie pour établir un partenaire durable n’est pas pertinent ! Les autorités britanniques et françaises ont accepté de solder les dettes de la Russie tsariste et d’annuler toutes les sanctions pour permettre au successeur de l’URSS de pouvoir se présenter sur les marchés financiers. La Russie a eu accès aux crédits commerciaux garantis par les Trésors occidentaux… a été, jusqu’en 2012, le second bénéficiaire des crédits de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD)… a accueilli de nombreux investisseurs venus de l’Ouest… Le G7 a été transformé en G8 pour accueillir la Russie… Moscou a intégré les deux institutions de Bretton Woods, Banque mondiale et FMI qui lui a notamment accordé un prêt de plus de 22 Md$ en 1998 pour faire face à la crise financière qu’il traversait…

Nombreux sont ceux qui considèrent que l’Occident a humilié la Russie. Il est clair que l’Ouest n’a pas suffisamment anticipé la crainte russe d’un enfermement. La chute du mur de Berlin est le signe que l’Union soviétique a certes perdu la guerre froide, mais tout autant par sa faillite économique et son incapacité à se réformer que par la résistance de l’Ouest. Quant à l’éclatement de l’Union, qualifiée par Vladimir POUTINE comme « la plus grande catastrophe du XXème siècle » (!), la responsabilité n’en incombe pas aux Occidentaux. Le Tsar ne peut renvoyer sur les autres les faiblesses du système soviétique, et de manière plus intemporelle, de la Russie.

Vladimir POUTINE peut reprocher à l’Occident l’intervention de l’OTAN en 1999 au Kosovo qui a conduit à l’indépendance de cette ancienne province de la Serbie, avecle bombardement de Belgrade, la seconde guerre du Golfe à partir de 2003 sans mandat du Conseil de sécurité de l’ONU, ainsi que la chute du Colonel KHADAFI suite à une opération occidentale en 2011 qui devait se limiter à la création d’une zone d’exclusion aérienne. Mais, il est facile d’appeler son attention sur : la Tchétchénie dès 1994, la Transnistrie détachée de la Moldavie, la Géorgie en 2007 avec l’occupation d’une partie du territoire, l’annexion de la Crimée en 2014, sans oublier le soutien aux séparatistes de l’Est ukrainien depuis plus de huit ans.

Ce n’est pas l’Occident qui a alimenté et développé le programme nationaliste de reconstitution de l’Empire en récupérant confetti après confetti. Le vrai pouvoir est aujourd’hui dans la recherche, l’innovation, les starts up… et non dans quelques km², même s’ils ont une symbolique historique, voire religieuse, comme Kiev pour le peuple russe. Les démocraties doivent aujourd’hui faire face aux régimes autoritaires comme la Chine, l’Iran, la Turquie, la Russie … qui s’arcboutent sur des arpents de terrains !

Enfin, cela fait huit ans que la guerre fait rage dans l’Est ukrainien. La non application des Accords de Minsk, notamment sur la révision de la constitution ukrainienne en vue d’une autonomie des régions russophones de Donetsk et Lougansk a constitué un argument récurrent pour exiger que les choses bougent enfin.

À la chute du mur de Berlin, certains avaient annoncé la fin de l’histoire. Trente ans après, la guerre fait un retour fracassant sur le continent européen, après les guerres consécutives à la dislocation de la Yougoslavie. Comme je le pressentais dans ma chronique du 14 septembre 2021, la faiblesse de Washington consécutive à la débandade d’Afghanistan allaient conduire certains à avancer leurs pions : La Chine,L’Iran et « … La Russie va tenter de saisir cette fenêtre de tir pour marquer des points en Ukraine ou dans les pays baltes. »

En quelques jours, Vladimir POUTINE a réussi le tour de force de :

  • Créer un nationalisme ukrainien qui s’est trouvé un héros, un héraut, Volodymyr ZELINSKY. N’oublions pas que les frontières de l’Ukraine ont beaucoup évolué au cours des siècles. Certaines parties de son territoire, et notamment la Galicie avec sa capitale Lviv (autrefois Lemberg ou Lvov) ont été intégrées à de nombreux États, Russie, Union soviétique, Empire austro-hongrois, Empire turc, Lituanie, Pologne, Roumanie… Rappelons-nous que l’Ukraine est une mosaïque avec des régions historiques comme le Boudjak, la Bukovine, la Crimée, la Galicie, la Méotide, la Podolie, la Tauride, la Volhynie, le Yedisan, la Zaporogue…

  • Mobiliser les démocraties. En un délai record, elles se sont mobilisées pour adopter et appliquer des sanctions d’une ampleur inégalée et décider de livrer des armes à l’Ukraine. À la Russie qui a laissé entendre que cela pourrait placer certains pays dans une situation de cobelligérant, rappelons que durant la guerre du Vietnam, les États-Unis n’avaient pas menacé l’Union soviétique de représailles nucléaires parce qu’elle livrait des armes à Hanoï.

  • Redonner vie à l’OTAN. Alors qu’elle était « en état de mort cérébrale », plusieurs pays européens comme la Finlande, la Suède ou la Moldavie envisagent désormais de rejoindre l’Organisation.

  • Entrainer un sursaut européen, avec une Allemagne qui a pris trois décisions historiques : elle a commencé à remettre en cause son accord gazier avec Moscou ; pour la première fois depuis la fin de la seconde guerre mondiale, a décidé de livrer des armes ; enfin, elle a décidé de consacrer 100 Md€ pour renforcer son armée. La transformation de ce sursaut en affirmation de puissance dépendra de l’origine de ces futurs armements ; seront-ils européens ou américains ?

Les Russes pensent pouvoir s’affranchir des sanctions avec l’aide des Chinois. Ils devraient se méfier pour au moins deux raisons :

  • Rappelons-nous que l’Union soviétique a été en guerre en 1929 avec le seigneur de guerre Zhang XUELLIANG qui dirigeait la République chinoise. Par ailleurs de mars à septembre 1969, l’Armée rouge a fait face à l’agression de l’Armée populaire de libération qui souhaitait récupérer des territoires. Les Chinois pourraient saisir l’occasion pour avancer des revendications territoires ou s’emparer de zones riches en matières premières.

  • En aidant la Russie, la Chine renforce son axe contre Washington et pense aussi à Taïwan. Les États-Unis pourraient peut-être anticiper une invasion de l’île. Sauf à ne pas vouloir « mourir pour Taïwan » comme je l’expliquais dans ma chronique du 11 janvier 2022, le moment serait venu de prépositionner des soldats américains, voire otaniens, à Taïwan.

Pour justifier la guerre en Ukraine, Vladimir POUTINE réécrit l’histoire et exhume certains remugles de la seconde guerre mondiale. En pénétrant en Ukraine, la Russie a porté atteinte à l’intégrité territoriale de son voisin et violé le memorandum de Budapest de 1994 qui dispose que cette intégrité était garantie en contrepartie du transfert à Moscou des ogives nucléaires héritées de l’Union soviétique.

De la même façon qu’il a profité du refus d’OBAMA d’intervenir en Syrie en 2013pour revenir en force dans ce pays, Vladimir POUTINE a saisi la fenêtre ouverte avec le départ américain d’Afghanistan pour intervenir en Ukraine. Mais, il a ouvert la boite de Pandore, et a déclenché de nombreux effets collatéraux :

  • La situation militaire est aujourd’hui telle que la Russie doit organiser des sièges comme on le faisait au Moyen-Âge, ou comme elle l’a fait en Tchétchénie et en Syrie : couper les ravitaillements de toutes natures (en eau, électricité…), les télécommunications, bombarder des habitations pour pousser les populations à quitter leur domicile… et occuper des zones dévastées, vides de leurs populations, comme à Grozny ou en Syrie. Les images diffusées en boucle par les chaines d’information continue vont durablement ternir l’image du pays et conduire éventuellement à des procédures de « crimes de guerre », voire de « crimes contre l’humanité ».

  • « La Pravda » russe, « la vérité » telle que présentée par la propagande officielle parait de moins en moins crédible. Quelles que puissent être les questions sur le Président ukrainien et certains membres de son entourage, les présenter comme « des drogués et des néo-nazis » pourrait faire rire si la situation n’était pas dramatique. Au-delà de discours excessifs, le rôle, au sein de l’armée ukrainienne, de troupes composées de néo-nazis, comme la division Azov, interpelle. Il en est de même avec les tchétchènes et les mercenaires du groupe Wagner.

  • À ce stade des opérations militaires, force est de constater que l’armée russe a démontré au moins deux points faibles au niveau de la logistique et de l’implication des appelés.

  • Parmi toutes les manifestations d’opposition à la guerre, trois paraissent très significatives : celles des citoyens russes qui prennent le risque de se retrouver en prison ; celles des responsables des groupes industriels russes ; enfin, celle d’une des deux églises orthodoxes, l’église orthodoxe dirigée par le métropolite Onuphre de Kiev rattachée au patriarcat de Moscou, soit la moitié des fidèles ukrainiens, dénote le refus d’accepter le narratif russe de l’invasion.

  • Plus généralement, les Russes pourraient se retrouver en difficulté dans leurs expéditions extérieures, en Centrafrique, en Libye, au Mali ou en Syrie…

Aujourd’hui, au-delà des conséquences économiques, l’Occident est confronté à une quadrature du cercle : aider les Ukrainiens sans apparaître comme cobelligérant, apporter toute l’aide humanitaire possible, accueillir les réfugiés et contenir « les va-t-en-guerre ». La comparaison avec Munich ne peut être faite à cause de l’arme nucléaire.

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