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Griselda, la marraine de la drogue colombienne qui a tué son mari
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Bonnes feuilles

Dans "Criminels, histoires vraies", paru aux éditions Sonatine, Philippe Di Folco et Yves Stavridès racontent l'histoire des criminels qui ont marqué l'histoire. Extrait (2/2).

Philippe Di Folco et Yves Stavridès

Philippe Di Folco et Yves Stavridès

Philippe Di Folco et Yves Stavridès sont tous les deux journalistes, scénaristes et écrivains.

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Colombie/États-Unis, 1975-2012

Depuis la tour de contrôle, José prend sa paire de jumelles pour mieux mater les dernières manœuvres de ce vol privé en provenance de Miami. Le trafic a été suspendu, c’est sûrement un ponte. Le tarmac d’Eldorado-Bogota miroite et tremble sous un soleil implacable. Soudain, un éclair métallique coupe son champ de vision. Trois limousines noires qui débouchent de la droite et se dirigent en direction de la piste principale. Le temps pour le Falcon de se poser et de s’immobiliser, six types, des gorilles, jaillissent des Cadillac Fleetwood. En deux minutes, pas une de plus, ils extraient plusieurs valises du jet et les fourrent directement dans le large coffre de la deuxième berline, puis reviennent se poster face à la porte d’accès, comme au garde-à-vous. José aime a se souvenir de ce jour de mai 1975, de ce plein midi ou le temps semblait suspendu. De cette femme sortie de l’avion comme par enchantement. Pas vraiment belle.

Mais une femme, nom de Dieu ! Son chapeau cloche rouge... son tailleur à motifs géométriques choisis sans doute pour affiner sa silhouette de femme replète... Les yeux dissimulés par de grosses lunettes Polaroid... Elle serre un sac à main rose contre elle... Une femme puissante, c’est certain... Qui s’engouffre dans la deuxième luxueuse voiture sans détourner son regard vers

L’aéroport, vers José, qui, dans quelques années, pourra dire à ses petits-enfants s’ils ont la chance de survivre et de grandir loin de Cali et de Medellin : "Papy a vu la reine, la Madrina, il a vu Griselda Blanco."

Le convoi de limousines traverse en trombe la capitale colombienne en direction des collines du nord-est sous le regard indiffèrent de quelques rares citadins ramollis par un soleil de plomb. Pour le retour au pays de sa femme, Alberto Bravo a bien fait les choses. Pas un flic en vue. Et quand bien même : Griselda est américaine. Son passeport bleu frappé d’un aigle argenté en témoigne. Griselda Blanco Restrepo, née le 15 février1943 à Carthagène, 1,51 mètre, signes particuliers : néant. Elle a gardé le nom de son bon a rien de père. Bravo est un nom trop minable. Pourtant, au début, avec Alberto, elle se sentait bien. Elle devrait se montrer un peu plus heureuse de le revoir après tout ce temps. Se faire oublier a du bon. Et pas seulement pour s’épargner quelques balles perdues, la prison ou pour donner du peps à un mariage condamné par avance. Certes, Alberto était un coureur mais elle s’en foutait. Le business avant tout.

Régler les comptes. Garder le cap sur l’essentiel. Elle aime bien les Américains pour ça. Objectif 1, objectif 2... Méthode.

Straight to the point. Revenir à la maison avec plusieurs millions de dollars. L’essentiel. Les affaires. Le fric. A Miami, elle a découvert le fitness et les glaces low fat. Elle est passée sous la barre des 75 kilos. Son tailleur Yves Saint Laurent la serre a peine. Alberto ne s’en rendra pas compte, comme d’habitude.

Quoiqu’il sache compter. Le fils de pute... La limo percute un nid-de-poule. La poussière du chemin des collines se dépose sur les vitres. Son condominium avec terrasse panoramique va lui manquer. Rodriguo aussi, nécessairement, va lui manquer ; un masseur cubain bâti dans le roc, ça ne se trouve pas à tous les coins de rue. Ces dernières semaines, elle le soupçonnait de taper dans la coke. Pourtant, elle le payait bien. Cent dollars la séance quotidienne. Un bon coup. Vite fait, bien fait. Une mère pour lui, voilà ce qu’elle aura été. Una madrina. Comme pour tous les hommes qui travaillent à son service. Ah ! On arrive.

Puta madre, Griselda déteste les gros chiens. Que l’on fasse taire ces molosses !

Le garde du corps ouvre la portière et aide Griselda à s’extraire du véhicule. Elle retire ses lunettes. Les clebs, instantanément, s’éclipsent, la queue entre les jambes. Elle retrouve cet endroit qu’elle deteste, le Bora Bora Zayaka Club, encore une idée de son mari. Lui se tient a 20 mètres du parking, la gueule enfarinée, un drôle de sourire en coin, une main tendue en guise de bienvenue. Quatre gringalets armés l’accompagnent.

Elle ne bouge pas et fait signe a son mari de la rejoindre. Le voyage a duré trois heures. Elle est fatiguée.

Le coffre est plein de bonnes surprises. Alberto fait quelques pas vers elle. Les six gardes du corps de Griselda se tiennent prêts. On ne sait jamais. A quoi pense-t-elle ? A son premier meurtre ? Cela remonte à loin, cette plaisanterie. Griselda n’avait que 11 ans lorsqu’elle s’était laissée aller à kidnapper un enfant à qui elle avait fini par loger une balle dans la tête parce que la rançon n’arrivait pas assez vite. C’était déjà le bon temps, celui ou la "jeune reine des collines" de Medellin savait donner l’exemple à sa bande de debiluchos, admiratifs et obéissants, conscients que a la moindre incartade, la sanction serait définitive.

Sur le parking desert du Bora Bora Zayaka Club, Alberto la fixe depuis deux bonnes minutes. Il ne cesse de parler, ce con. Il la saoule. "J’ai quelque chose pour toi", dit-elle en fouillant dans son sac Lancel. En un tour de main, elle décharge sur

Alberto le contenu d’un 6.35, ce qui vaut nettement mieux que toutes les procédures de divorce imaginables, réduisant ainsi a néant la notion de partage du patrimoine commun.

Il ne comprend pas. Il aurait pu citer du Jules César, mais non, cet ignorant hoquette, gargouille, au milieu d’une pétarade infernale, des corps chutent autour de lui, il voit le sac rose se couvrir d’étoiles de sang, et puis ses yeux se voilent, noyés dans une boue rouge. Griselda est touchée à l’estomac. L’un de ses gardes du corps a fait barrage. Six morts. On s’éclipse, direction la clinique Margotal, c’est un ami, tout ira bien.

Parmi les multiples surnoms dont on affuble Griselda, celui de "Veuve noire" semble le plus adéquat. En tuant Alberto, elle se met à dos le neveu, les oncles, les frères et les cousins, plus quelques sbires a la gâchette facile, totalement inféodés à Bravo mais elle s’en fiche. Griselda est riche à millions. Elle contrôle depuis dix ans le trafic de la cocaïne entre la Colombie et Miami. Elle a des amis à New York, et parmi les Big Fives, on l’appelle The Godmother. C’est pas faux, pense-t-elle, fixant le plafond de la chambre, un cathéter planté dans le bras. Tiens, il faudrait que je recommande le petit Escobar à ce cher Gotti, se dit-elle avant de s’envoyer un shoot de morphine.

La drogue, elle en a fait le tour. Sa première dose, c’est sa mère qui la lui a fournie. A l’aide d’un biberon rempli d’un cocktail de lait en poudre frelatée, d’aguardiente et de codéine.

Continuellement bourrée, incapable d’élever sa môme, elle l’a poussée à faire le trottoir. A 10 ans. Sa vie a aussitôt basculé dans la violence. Un vrai cimetière. Quand quelqu’un pose un problème, Griselda le tue et on n’en parle plus. Sa prochaine cible, qui sait ? sera peut-être un flic. Sur la longue liste de ses ennemis, il en est un dont elle se passerait bien, Robert Palombo. Un agent de la DEA (Drug Enforcement Administration). Sa mission : identifier la tête du plus important réseau de cocaïne de tous les temps. Deux ans et demi qu’il y travaillait. Depuis qu’un des types de Santo Trafficante, roi de la cocaïne en Floride, avait lâché un nom : "Alberto Bravo".

Avec l’écroulement de la French Connection, les forces de police se recentraient sur les Caraïbes. A Miami, on se poudrait le nez trois fois par jour et même dans les maternelles. Fallait agir, on avait fermé les yeux depuis trop longtemps. Au printemps 1975, Palombo faisait partie d’une escouade d’intervention newyorkaise qui venait de repérer un bateau au chargement suspect amarré près d’un pier de l’Hudson River. Trente-sept personnes coffrées, 8 kilos de poudre confisqués, une belle prise mais pas la moindre trace du caïd annoncé. On les avait mal tuyautés ?

En fait, pas du tout : Alberto et Griselda se trouvaient a quelques mètres du bateau quand la DEA s’était manifestée. Ce jour-là, la Veuve noire avait eu chaud. Mais elle ne pouvait en aucun cas pardonner à son mari cette imprudence. Elle est comme ça : implacable, froide, exigeante, sans pitié. Elle s’était mariée avec Bravo en 1967, juste après son divorce avec un certain Trujillo, le père de ses trois enfants, l’homme qui l’avait arrachée à la rue. Petit trafiquant, spécialisé dans l’émigration illégale, Bravo avait en poche 20 000 dollars, suffisamment de pèze pour qu’elle et lui se reconstruisent aux Etats-Unis. Dans le Queens, Griselda se révéla rapidement très ingénieuse et Alberto, littéralement fasciné. D’abord, elle tua de ses propres mains Trujillo qui gênait aux entournures les Cinq Familles, lesquelles régnaient alors en maîtres sur Big Apple. Propulsée clef de contact entre les centres de production colombiens et les dealers grossistes new-yorkais, elle inventa une méthode de convoyage bougrement maligne : des filles, transformées en mules porteuses, la came planquée dans leurs soutien-gorge à bonnets double fond. 95C que multiplie deux que multiplie...

En 1972, totalement inconnue, Griselda était déjà multimillionnaire. Son règne commençait. Avec force, inventivité et... discrétion.

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