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Exclure la Grèce de la zone euro ? 
Impossible et dangereux !
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(Dés)union monétaire

Le ministre des Finances allemand, Wolfgang Schäuble, a indiqué lundi ne pas exclure la possibilité que la Grèce sorte prochainement de la zone euro. Projetons nous dans ce scénario pour voir s'il est viable...

Pierre-Cyrille Hautcoeur

Pierre-Cyrille Hautcoeur

Pierre-Cyrille Hautcoeur est directeur d’études à l’EHESS et professeur associé à l’Ecole d’économie de Paris.

Spécialiste de l'histoire des crises économiques, il est l'auteur de La crise de 1929 (La Découverte, 2009).

(Photo @ Maraval)

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Atlantico : Peut-on imaginer que la Grèce soit exclue de la zone Euro ?

Pierre-Cyrille Hautcoeur : Cela me parait quasiment impossible. Sortir de l'Euro impliquerait de convertir toutes les dettes et actifs financiers « grecs » dans une nouvelle monnaie. On peut supposer que le gouvernement grec puisse convertir les créances et les dettes entre résidents grecs dans une nouvelle Drachme sans qu'il y ait trop de protestations. En revanche, pour ce qui est des créances et des dettes envers les non-résidents, il y aura des conflits infinis pour savoir si elles doivent être transformées en Drachmes ou maintenues en Euros. Puisque cela représente à peu près 200% du PIB de la Grèce, les enjeux sont énormes et les conflits potentiels considérables. Cela devrait suffire à rendre impossible l'opération : la sortie de l’euro conduirait sans doute à une dépréciation considérable de la nouvelle Drachme, ce qui ruinerait les gens ayant des créances dans cette monnaie et enrichirait ceux qui ont des créances en Euros (et inversement pour les débiteurs).

S'il souhaite une sortie de l'Euro efficace, le gouvernement grec devrait ainsi convertir en Drachmes les dettes envers l’étranger (de manière à les voir se réduire). Les agents étrangers s’y opposeraient car ils préfèreraient que leurs créances restent en Euros, et souhaiteraient plutôt (comme les Grecs) que leurs dettes soient converties en Drachmes. Au lieu d’avoir comme aujourd’hui un conflit entre débiteurs et créanciers réduit à la seule dette publique grecque (déjà énorme) ce serait donc la totalité de la dette privée grecque vis-à-vis du reste du monde qui poserait des problèmes.

Or un nombre incalculable d’agents privés issus de tous les pays européens prêtent à des agents économiques grecs à travers le commerce, le tourisme ou les banques. Tous ces montants-là deviendraient donc effroyablement incertains. Il y aurait des paniques en termes de liquidité : les banques verraient fuir leurs déposants ainsi que leurs correspondants et pourraient être fortement affectées. Bref, ce que l’on connait actuellement serait multiplié par trois en termes de complexité, voire de montants, et provoquerait un tel tourbillon que toutes les incertitudes actuelles apparaîtraient en comparaison comme une aimable plaisanterie.


Qui pourrait avoir intérêt à voir la Grèce sortir de la zone euro ?

Ce ne serait l’intérêt ni du gouvernement grec, ni des créanciers de la Grèce, ni de qui que ce soit. Dans le cas d’un scenario catastrophe où tout s’effondre, il y aurait à coup sûr des conséquences économiques graves en Grèce. Mais aussi ailleurs, avec sans doute des conséquences sociales et politiques dramatiques.

Je pense qu’un certain nombre de personnes n’ont pas cru à son origine dans la création d’une union monétaire et pensent que c’est le moment de montrer qu’ils avaient raison. Ils s’appuient sur une macroéconomie purement non-financière pour expliquer que la sortie de la Grèce de la zone euro serait une solution. En effet, depuis Keynes, on sait qu’il est moins coûteux pour procéder à un ajustement de la compétitivité d’un pays ( baisser ses prix réels par rapport à ceux du reste du monde) de dévaluer que de faire baisser les prix et les salaires nominaux. En négligeant les effets financiers, les apôtres d’un tel ajustement négligent le problème essentiel de la transition.

La seule cassure possible dans l’union monétaire européenne correspondrait à la sortie d’un pays excédentaire. Mais si un pays excédentaire sort (surtout si c’est un gros pays) cela se déroulera de manière plus douce. Dans ces cas-là, il y a peu de chances pour que tout le monde anticipe un effondrement du taux de change entre ce gros pays et l’ensemble de l’Union. Reste que je vois mal comment l’Allemagne, qui est le seul pays à pouvoir faire cela, puisse souhaiter le faire, tant son économie dépend de celle de la zone euro, et tant son rôle politique dans l’Union en souffrirait. Il est préférable pour elle de prêter davantage, de relancer sa propre économie pour tirer les autres vers le haut, et d’exiger des contreparties politiques des pays européens périphériques.


Existe-t-il des précédents historiques d’une sortie remarquée d’une union monétaire quelconque ?

Il y a des précédents mais avec des circonstances différentes. L’origine se trouve en général, non dans une crise économique et financière, mais dans une rupture politique. La destruction de l’URSS a conduit à l’émergence d’un certain nombre de pays indépendants qui ont chacun adopté leur monnaie. Il faut dire que dans des économies dirigées, les interdépendances financières sont limitées.

L’empire Austro-Hongrois qui, à la fin de la première guerre mondiale, a éclaté en morceaux constitue un meilleur exemple, dans la mesure où il s’agissait d’une économie libérale et financiarisée. L’ensemble des dettes qui existaient entre les membres de cet empire se sont maintenues mais il est probable que cette rupture n’ait pas été sans influence sur les épisodes d’hyperinflation qui ont eu lieu vers 1923-1924 dans toute cette région (même si la cause principale a été la guerre et son cortège de dettes). Il est donc difficile de souhaiter imiter cet exemple.

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