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Graves dérapages militaires en vue ? Pourquoi les sombres présages qui s’accumulent sur l’accord sur le nucléaire iranien sont profondément inquiétants
©ATTA KENARE / AFP

Alarmant

La rencontre entre Donald Trump et Emmanuel Macron à Washington ce 24 avril s'inscrit dans une temporalité particulière pour l'Iran.

Ardavan Amir-Aslani

Ardavan Amir-Aslani

Ardavan Amir-Aslani est avocat et essayiste, spécialiste du Moyen-Orient. Il tient par ailleurs un blog www.amir-aslani.com, et alimente régulièrement son compte Twitter: @a_amir_aslani.

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Le 12 mai prochain, le président américain doit en effet annoncer s'il impose de nouvelles sanctions économiques à l'Iran ou s'il les lève pour une nouvelle période de quatre mois. Nul ne semble savoir, pas même lui, ce qu'il décidera effectivement le 12 mai. Ce que Donald Trump sait en revanche, et qu'il n'a cessé de clamer depuis sa campagne présidentielle, c'est que l'accord de Vienne, considéré comme l'une des victoires internationales de son prédécesseur Barack Obama, est pour lui « le pire accord jamais négocié » par son pays. Trump promet donc depuis plus d'un an de « déchirer » l'accord... à moins qu'il ne soit renégocié.

Tantôt évasif, tantôt jouant les Pythie, arguant qu'à son avis, les Etats-Unis allaient se retirer de l'accord sur le nucléaire iranien, Emmanuel Macron a semblé prendre le parti de Trump, qualifiant, au départ de Washington, l'actuel accord d'insuffisant et appelant à la négociation d'un accord « plus large ». Or, ce qui en son temps a fait que l’accord pouvait se régulariser était justement le fait qu’Obama avait fait le pari de dissocier la question de la prolifération nucléaire des autres enjeux régionaux. L’idée sous-jacente était à l’époque que le principal facteur de crise relevait de la quête du nucléaire militaire par l’Iran. D’où l’espoir que les avantages économiques que l’Iran en retirerait en échange de l’abandon du nucléaire allait encrer l’Iran dans la communauté des Etats responsables.

La position du président français est d'ailleurs ambiguë : s'agit-il dans son esprit de rendre caduc  l'accord de 2015, ou de le conserver et de l'assortir d'un accord « plus large » ?

Non seulement pour les Iraniens, mais aussi pour l’ensemble des autres membres permanents du Conseil de Sécurité de l’ONU plus l’Allemagne ainsi que Federica Mogherini, cheffe de la diplomatie de l'Union européenne, qui l'a rappelé mercredi 25 avril, « l'accord existe, fonctionne et doit être préservé ». L'accord de Vienne établit très précisément les conditions d'encadrement de la filière nucléaire civile, le calendrier de levée progressive des sanctions internationales et la limitation des stocks d'uranium enrichi, et ce jusqu'en 2025.

En 2016, les premières sanctions internationales liées au nucléaire ont été levées. Cependant les sanctions américaines qui frappaient l’Iran pour des considérations de non-respect des droits de l’homme et le soutien allégué au terrorisme ont continué à produire leurs effets rendant quasi impossible les flux financiers internationaux vers l’Iran ainsi que les financements de projets. McKinsey, grand cabinet de conseil international, le lendemain de la signature de l’accord nucléaire, le 14 juillet 2015, avait sorti un rapport où il prédisait 1000 milliards de dollars d’investissements en Iran sur 20 ans. Or deux ans et demi après l‘accord, l’Iran n’a même pas reçu dix milliards sur les 200 milliards espérés.

En revanche, Téhéran a, de son côté, rempli sa part du contrat, détruisant 14000 centrifugeuses, en rendant inopérant la centrale à eau lourde d’Arak et en transférant vers la Russie l’Uranium enrichi à 20% soit le fruit 100 milliards de dollars d'investissements. Suspendues en janvier 2018, les sanctions américaines, si elles devaient être de nouveau appliquées, mettraient un coup de frein définitif sur l’espoir des investissements en Iran, lui interdirait la vente de son pétrole et pénaliseraient fortement son économie, alors même que le niveau de vie des Iraniens peine à remonter et que la monnaie iranienne a perdu 35% de sa valeur face au dollar ses trois derniers mois. Cette menace ne prédispose guère au dialogue surtout que d’ores et déjà, alors que les Etats-Unis font toujours partie de l’accord, l’Iran peine à en recevoir les dividendes escomptés.

En outre, le président Macron a souhaité, dans le cadre d'un éventuel accord « plus large », et « pour la stabilité de la région », mettre fin au programme balistique iranien. Or, ce programme de missiles de courte et moyenne portée est une question fondamentale pour l'Iran : une question de souveraineté nationale. Ayant encore en tête le souvenir très vif et douloureux de l'agression de Saddam Hussein en 1980 qui a débouché sur huit ans de guerre avec l'Irak, contre laquelle ni les Occidentaux, ni l'ONU, ne se sont mobilisés pour le soutenir, l'Iran souhaite légitimement, comme n'importe quelle nation, être autonome pour assurer sa défense et sa sécurité. Le Guide Suprême Ali Khamenei a annoncé lui-même en novembre sa volonté de limiter la portée de ces missiles à 2000 km sans pour autant remettre le principe en question.

Dans la même logique, il est tout à fait illusoire de vouloir limiter l’influence géopolitique de l'Iran au Moyen-Orient comme le propose le président français, quand une grande partie de ses interventions participe à la lutte contre le terrorisme de Daech qui avait frappé l’Iran par les  attentats de Téhéran le 7 juin 2017. Nonobstant le fait que le retrait iranien ne signifiera pas grand-chose compte tenu du fait que les partisans de l’Iran sont des nationaux des pays en question, l’Iran n’abandonnera pas son allié syrien.

Parallèlement vouloir empêcher l’Iran, quasiment pour l’éternité, de disposer d’une industrie nucléaire civile digne de ce nom sur son territoire en y enrichissant l’uranium reviendrait à retirer à ce pays un droit qui est légitiment reconnu pour les autres pays.

L'accord sur le nucléaire doit tenir, avant tout pour la population iranienne. En réalité, si Trump impose de nouvelles sanctions, il fera le jeu des conservateurs iraniens, qui n'ont de cesse de dénoncer un accord « faible et inutile », alors qu'il ne le serait pas si la partie adverse respectait ses engagements.

La proposition d'Emmanuel Macron est donc intenable pour l'Iran. Et il vaudrait presque mieux que le président américain sorte de l'accord le 12 mai prochain. Ajourner encore sa décision ne ferait qu'empirer l'état de stagnation de l'économie iranienne. Autant trancher dans le vif. Au moins, les Iraniens sauront à quoi s'en tenir et aviseront.

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