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Grandeur et misère de la fonction d’élu républicain
©BERTRAND GUAY / AFP

Bonnes feuilles

Philippe Bas publie "Les Chemins de la République" aux éditions Odile Jacob. La République perd confiance en elle et se fragmente. Pour toutes celles et tous ceux qu’inquiètent les dérèglements de la démocratie, Philippe Bas donne des raisons d’espérer et d’agir plutôt que de se réfugier dans la nostalgie. Extrait 1/2.

Philippe Bas

Philippe Bas

Philippe Bas, sénateur de la Manche, préside depuis 2014 la commission des lois du Sénat. En 2018, il a conduit l’enquête parlementaire sur l’affaire Benalla. Ancien secrétaire général de l’Élysée et ministre de Jacques Chirac, ancien président du conseil départemental de la Manche, il fut aussi un très proche collaborateur de Simone Veil, de Jacques Barrot et du président du Sénégal, Abdou Diouf. Il a publié en 2019 le livre Les Chemins de la République aux éditions Odile-Jacob.

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Trop de femmes et d’hommes politiques se précipitent sur les plateaux de télévision pour participer à des émissions où ils acceptent de bonne grâce d’être moqués en espérant se montrer sympathiques au public par leur capacité d’autodérision. Cet exercice est vain. Il contribue à rabaisser l’engagement politique en donnant le spectacle d’une forme de racolage. On ne demande pas à un responsable politique d’être sympathique. On lui demande d’être efficace et à l’écoute. 

Femmes et hommes politiques, parlementaires, brandissons notre propre étendard : nous devons être fiers de notre engagement, fiers d’avoir acquis la confiance de nos électeurs, fiers de notre travail, heureux d’être aux côtés de nos concitoyens partout où ils sont, à leur disposition, car nous le sommes réellement ! Et il n’est pas nécessaire pour cela d’entrer en compétition avec le monde du showbiz. Un homme politique doit communiquer, certes, mais il n’a pas besoin d’être médiatiquement connu ni de dévoiler sa vie personnelle et ses préférences musicales, littéraires ou sportives pour bien remplir sa mission. L’action publique est un travail souvent austère. Nous ne sommes ni des comédiens ni des clowns ! 

Nous ne formons pas non plus une catégorie à part. Nous sommes des Français parmi les Français, de toutes les provinces, de tous les métiers et de tous les horizons, chacun venu avec son bagage, sa famille et son histoire, tous sortis du rang pour servir la collectivité et défendre leurs idéaux, un ordre de chevaliers, pas un syndicat ou une corporation ! En république, le service de l’État et le service du peuple ne font qu’un. Nous agissons au nom de nos concitoyens, sur leur mandat, pour leur service, pas contre eux. Assumons la noblesse de notre mission ! Je n’appartiens pas et je n’appartiendrai jamais à une « classe » politique. 

Femmes et hommes politiques, cessons aussi de battre jour après jour notre coulpe dans une forme d’autoapitoiement grotesque inspiré par la contemplation de nos prétendues défaillances passées, réclamant pourtant encore les suffrages, comme une seconde chance pour pouvoir nous racheter, nous faire pardonner nos insuffisances d’hier, prêts à renier au chant du coq ce que nous avons accompli, tout cela dans le seul espoir de retrouver grâce aux yeux de nos concitoyens. Nous n’avons pas à multiplier les actes de contrition et de repentance comme dans ces « séances d’amertume » de sinistre réputation qu’organisait la Chine maoïste pendant la révolution culturelle afin d’humilier les élites et de leur faire abjurer leur adhésion occulte à l’idéologie bourgeoise. Prenons des risques face aux idées reçues ! Osons dire notre vérité pour tenir en échec les fausses évidences, sans avoir peur de contrarier le sentiment profond de nos électeurs. Ils n’attendent pas que l’on s’incline mais que l’on s’assume ! Notre automortification donne raison aux démagogues qui construisent leur crédit sur la dénonciation de nos échecs, réels ou supposés, plutôt que sur la sagesse et la pertinence de leurs propositions. 

Revendiquons au contraire ce que nous sommes et ce que nous avons voulu faire pour le service du pays ! Remercions les Français de nous avoir permis de les représenter pour prendre en charge les affaires de la cité. Osons dire que bien des échecs de notre démocratie sont venus d’un excès de prudence de notre part de crainte d’être incompris de nos électeurs ou de provoquer des mouvements sociaux de grande ampleur, et non d’une insuffisance de lucidité ou de compétence, d’une méconnaissance des réalités, d’une indifférence aux problèmes de nos concitoyens. 

Français, permettez-moi de vous le dire au risque de vous agacer (peut-être devrais-je m’en excuser ?) : vous avez les hommes et les femmes politiques que vous avez choisis et peut-être les avez-vous mérités, pour le meilleur et pour le pire ! Ils font ce que vous leur permettez de faire, vous qui êtes à juste titre en permanence sur vos gardes face au pouvoir, divisés entre vous, avec un sens critique affûté qui fait le charme de notre tempérament national, mais qui ne facilite certainement pas le gouvernement de notre pays ! Les discordes entre Gaulois étaient déjà décrites avec sagacité par Jules César dans La Guerre des Gaules, même s’il cherchait sans doute à grandir Rome en abaissant les Gaulois, tout en vantant d’ailleurs leurs qualités de guerriers indomptables pour mieux célébrer ses victoires. Elles ont été la cause de bien des malheurs dans notre longue histoire. Elles furent le tombeau de la République en 1940 et causèrent aussi l’effondrement de la IVe République. 

Chacun estime en France avoir un droit de tirage sur l’État que les autres exerceraient à tort. Chacun tient en réserve sa propre solution aux problèmes de l’heure. Je le demande humblement : les reproches que vous adressez à vos « politiques », prenez-en une partie à votre compte, l’espace d’un instant, en interrogeant en conscience vos propres comportements de citoyens dans une société de l’égoïsme sacré qui cultive le chacun pour soi et le rien pour les autres. Une société dans laquelle l’incivisme et les incivilités puisent à la même source d’individualisme et de matérialisme, où l’on a pris l’habitude de se servir sans vouloir rien donner en échange, où la fraude et les petits profits sont monnaie courante. Ensuite, et ensuite seulement, jugez aussi vos hommes et vos femmes politiques, sans indulgence, sévèrement, mais sans haine, en vous imprégnant des leçons de l’Évangile, qui valent pour tous : « Que celui qui n’a jamais pêché lui jette la première pierre ! » 

Le défaut de beaucoup d’élus ne serait-il pas finalement de trop écouter ceux qui parlent fort et de ne pas écouter assez ceux qui ne font que murmurer ? C’est encore ce qui s’est passé avec le « Grand Débat ». Un élu doit aussi tendre l’oreille vers la majorité silencieuse qui, ainsi que l’indique son nom, ne s’exprime pas mais attend beaucoup. C’est un régal de rencontrer ces Français de bonne foi, si nombreux, qui s’interrogent et cherchent à comprendre au lieu d’asséner de fausses évidences comme si elles étaient des vérités établies. Combien de fois ai-je entendu à la fin d’un échange : « Ah mais ça, Monsieur Bas, personne ne nous l’avait dit. Vous devriez aller l’expliquer à la télévision pour que tout le monde le sache ! » 

Fort de cette expérience, je me méfie toujours des enquêtes d’opinion. Je ne conteste par l’exactitude des résultats présentés. Mais ils expriment parfois une opinion faiblement documentée qui ne dit que superficiellement le sentiment des Français, toujours prêts à changer d’avis à la suite d’un débat argumenté, ou le jour où ils se sentent personnellement concernés. Un sondage reflète le sentiment du moment, souvent parce que les gens répondent poliment aux questions qu’on leur pose, mais n’exprime pas l’intensité ni la profondeur de ce sentiment. Et justement parce qu’il en est ainsi, les opinions, qui ne sont pas des pensées ou des réflexions, sont versatiles, si bien que la démocratie d’opinion n’est jamais gage de continuité dans la mise en œuvre des politiques publiques. Gouverner par les sondages, c’est donc avoir la garantie d’un gouvernement velléitaire et sans courage. Ainsi, la démocratie d’opinion fait des ravages, débouchant sur des lois de circonstance, démagogiques et émotionnelles inspirées par les faits divers de l’actualité, sans prise sur le monde réel. 

Le « Grand Débat national » aura-t-il été un meilleur guide pour l’action ? Rien n’est moins sûr. S’il a touché des centaines de milliers de personnes, celles-ci n’ont pas constitué un échantillon scientifique représentatif de la diversité de la nation ! Leur expression, que j’ai moi-même contribué à recueillir grâce à treize réunions publiques organisées dans la Manche, n’a d’ailleurs guère apporté de surprises, laissant au Président de la République toute liberté pour en tirer les enseignements qu’il souhaitait. 

La démocratie d’opinion va aussi au-devant d’une démocratie des réseaux sociaux, qui n’en est pas une car elle assure la  diffusion  massive d’informations non traitées par des journalistes, non  vérifiées, non triées et qui prennent souvent la forme de lieux  communs et d’idées reçues, exprimées péremptoirement, parfois avec véhémence, quand elles ne reposent pas purement et  simplement sur des fake news. La rumeur et la calomnie s’y propagent à la vitesse de la lumière. 

Internet a réinventé le Café du Commerce cher à Marcel Dassault. Ce n’est pourtant pas au Café du Commerce que la politique de la France peut utilement et démocratiquement être débattue mais bien au Parlement. Les réseaux sociaux nous fournissent certes de nouveaux instruments d’expression et d’information ; mais ils ne changent pas la nature de l’homme ni les principes fondamentaux d’une société démocratique, qui doit rester fondée sur la représentation et la délibération. 

Pendant la discussion d’une loi importante, une sénatrice, téléphone portable à la main, est intervenue pour nous dire : « Arrêtez, arrêtez, les internautes ne comprennent plus rien à ce que nous sommes en train de faire ! » J’ai dû lui rappeler que c’est nous qui avions été élus pour faire la loi, pas les internautes. Le public qui assiste à nos débats depuis les tribunes de notre assemblée n’a pas le droit de manifester le moindre sentiment, tout juste peut-il se gratter le nez, mais avec discrétion. C’est une règle élémentaire de la démocratie : aucune pression sur le débat ne saurait être tolérée. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ne reconnaît-elle pas que « le principe de toute Souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément » ? La loi ne peut être faite par les réseaux sociaux, dont les acteurs ne représentent qu’eux-mêmes ; elle doit être faite par les représentants de la nation. Il leur appartient évidemment, par la variété et la richesse des consultations auxquelles ils procèdent, d’entendre tous les points de vue et de s’en inspirer pour légiférer. Mais il y a des règles. Elles doivent être respectées. 

Un parlementaire ne peut pas accepter d’être traité comme un commis, que ce soit par son parti ou par ses électeurs. Il ne peut être l’exécutant servile d’une prétendue volonté générale révélée par les sondages. Je déteste les injonctions qui nous sont faites sous prétexte que les Français voudraient ceci ou rejetteraient cela. Les Français, nous les connaissons, ou nous devrions les connaître. Chacun peut s’exprimer en France, mais personne d’autre que celles et ceux qu’ils ont élus n’a le droit de parler en leur nom. Nous discutons avec des dizaines d’entre eux chaque semaine. Ils nous font changer d’avis et nous les faisons changer d’avis. Ils ne sont pas pour nous un grand corps sondagier anonyme mû par une mécanique sans âme. Et, j’insiste de nouveau, nous étions plus encore à leur contact quand nous avions le droit d’actionner les leviers de l’action publique locale pour contribuer à répondre jour après jour à leurs demandes d’équipements et de services. 

Qui mieux qu’un élu pourrait parler au nom de tous ces Français, qui s’expriment jour après jour dans nos permanences et partout où ils se retrouvent dans les manifestations de la vie locale mais ne prennent pas part au débat public ? Et quand nous discutons ensemble, ils ne nous parlent pas en répondant par oui ou par non à des questions binaires qu’ils ne se poseraient pas spontanément. Ils apportent ce qu’ils sont, dans toute la complexité de leur être de chair et de sang. Ce ne sont pas des « sondés » mais des hommes et des femmes de tout âge et de tout métier pris dans la trame de leur propre vie, forcément singulière. Nous ne les rangeons pas en catégories socioprofessionnelles. Nous les appelons par leur nom. 

Un parlementaire ne peut pas être le relais de tout ce qui est contre, de tout ce qui ne veut rien changer. S’il se montre ouvert à tous les vents, prenant au vol les idées les plus contradictoires, se soumettant à la coalition hétéroclite des mécontents et des donneurs de leçons, alors c’est un bouchon flottant à la surface de l’eau, ou une simple courroie de transmission. N’oublions pas les leçons de nos anciens. La Constitution dit que « Tout mandat impératif est nul » et elle a raison. 

De plus en plus, les parlementaires sont sommés de devenir une sorte de miroir des Français. Ils devraient ainsi ressembler à leurs électeurs dans toute leur diversité, et chercher à faire ce qu’on leur demande (mais qui est ce « on », et qui représente-t-il ?), et non ce qu’eux-mêmes croient juste. Cela peut paraître naturel en démocratie mais il faut se méfier des apparences, car cela peut aussi se révéler dangereux pour l’intérêt général.

Extrait du livre de Philippe Bas, "Les Chemins de la République", publié aux éditions Odile Jacob

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