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Glyphosate, photo d'illustration AFP
Glyphosate, photo d'illustration AFP
©DENIS CHARLET / AFP

Projection

Le 6 juillet 2023, l'Autorité Européenne de Sécurité des Aliments (EFSA) a annoncé les résultats de ses travaux sur la demande de renouvellement de l'approbation du glyphosate. L'évaluation est essentiellement positive. Mais la matière active d'herbicides dont le plus emblématique est le Roundup de Bayer-Monsanto est l'objet de vives polémiques. Que peut-il se passer maintenant ? Consultons la boule de cristal.

André Heitz

André Heitz

André Heitz est ingénieur agronome et fonctionnaire international du système des Nations Unies à la retraite. Il a servi l’Union internationale pour la protection des obtentions végétales (UPOV) et l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI). Dans son dernier poste, il a été le directeur du Bureau de coordination de l’OMPI à Bruxelles.

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Petit rappel historique

Le glyphosate a été réautorisé par un règlement d'exécution de la Commission Européenne du 12 décembre 2017 pour une durée de cinq ans au terme d'une procédure plutôt honteuse.

Ce genre de règlement doit être approuvé par les États membres par une double majorité – au moins 55 % des États membres (soit 15 sur 27), représentant au moins 65 % de la population totale de l'UE, les abstentions étant comptabilisées en pratique avec les votes contre. La décision revient à la Commission après un vote initial suivi d'un vote en appel qui ne produisent pas de résultat conclusif.

En novembre 2017, à la surprise générale, M. Christian Schmidt, ministre fédéral de l'Agriculture allemand, avait fait basculer la majorité en faveur de la proposition de règlement de la Commission sur fond de querelles personnelles au sein d'un gouvernement Merkel qui s'était auparavant abstenu. Il avait ainsi évité à la Commission du très anti-glyphosate Jean-Claude Juncker de « porter le chapeau » pour une décision qu'elle répugnait à prendre.

C'est que, précédemment, confrontée à une situation de pat, la Commission s'était livrée à une sorte d'enchères descendantes à partir de la durée de 15 ans habituelle pour les renouvellements d'autorisations ne posant pas de problèmes particuliers.

Relevons que dans le cadre de ces tractations, le 25 mai 2016, Mme Ségolène Royal, à l'époque ministre de l'Environnement, de l'Énergie et de la Mer, chargée des relations internationales sur le climat (et... finaliste présidentielle), s'est vu offrir – a accepté qu'on lui offre – un bouquet de fleurs au nom de 40 « organisations non gouvernementales » en reconnaissance de son « combat vs le glyphosate au niveau européen »...

(Source)

Une nouvelle procédure de renouvellement d'approbation

L'encre de la signature au bas du règlement sur le renouvellement de l'autorisation du glyphosate était à peine sèche que les entreprises concernées de l'agrochimie – de la protection des plantes mais aussi, oui, oui, de la protection de l'environnement et d'autres intérêts essentiels – ont constitué un Glyphosate Renewal Group et initié une nouvelle procédure de renouvellement.

Cela a donné lieu à un dossier qui est sans doute le plus volumineux et le plus exhaustif de l'histoire. Ce dossier a été confié, non pas à un, mais à quatre États rapporteurs – la France, la Hongrie, les Pays-Bas et la Suède – pour un examen préalable. Leur rapport a été examiné par l'EFSA, c'est-à-dire par les experts de l'ensemble des États membres.

Le dossier a aussi été soumis à une consultation publique qui a produit une masse de contributions telle que l'EFSA a décidé de prendre une année supplémentaire pour produire son rapport d'évaluation. L'approbation du glyphosate avait donc été prolongée pour un an, jusqu'au 15 décembre 2023.

Un rapport favorable, mais...

Le 6 juillet 2023, l'EFSA a publié un communiqué de presse dont le titre se lit : « Glyphosate : pas de domaine de préoccupation critique; identification de lacunes dans les données », après une correction que l'auteur du présent article a sans doute provoquée.

Le rapport d'évaluation a été publié le 26 juillet 2023. On peut aussi lire une fiche d'information sur le processus d'évaluation et, si on est courageux, les quelque 6.000 pages de dossier (sans les annexes) mises en ligne.

Mais qui, diable, traiterait avec du glyphosate avec une rampe en position aussi haute ? (Source)

Selon le communiqué, « Une préoccupation est définie comme critique lorsqu'elle affecte toutes les utilisations proposées de la substance active en cours d'évaluation (par exemple utilisation avant les semis, utilisation après la récolte, etc.), empêchant ainsi d’office son autorisation ou le renouvellement de son autorisation. »

L'absence de telles préoccupations devrait – normalement – ouvrir la voie au renouvellement de l'approbation.

Au titre des lacunes évoquées ci-dessus, trois questions seraient « non résolues » : l'évaluation de l'une des impuretés du glyphosate, l'évaluation du risque alimentaire pour les consommateurs, et l'évaluation des risques pour les plantes aquatiques.

Il y a aussi des « questions en suspens » s'agissant de : la toxicité de l'un des composants (mais il n'y a pas d’indication de toxicité aiguë ou de génotoxicité) ; la biodiversité (mais, « De façon générale, les informations disponibles ne permettent pas de tirer des conclusions définitives sur cet aspect de l'évaluation des risques et les gestionnaires des risques pourraient envisager des mesures d'atténuation ») ; et l'écotoxicologie (l'approche prudente qui a été adoptée « a mis en évidence un risque élevé à long terme pour les mammifères dans 12 des 23 utilisations proposées du glyphosate »).

Un processus à la dérive ?

L'impression qui se dégage de ce résumé est qu'on a vraiment « cherché la petite bête ». Cela donne lieu à deux lectures : d'une part, la chasse aux objections fatales à la ré-homologation qui raviraient certains gouvernements et surtout quelques fonds de commerce associatifs ant-pesticides n'a pas été fructueuse  ; d'autre part, l'évaluation des produits de protection des plantes semble dériver vers l'ubuesque.

La deuxième lecture constitue une réelle source d'inquiétude : les procédures européennes sont en effet essentiellement fondées sur l'identification de dangers, et non des risques (susceptibles d'être éliminés ou atténués) et ignorent largement les bénéfices.

Selon un principe général, « absence de preuve ne vaut pas preuve de l'absence », et l'innocuité – comme l'inexistance des anges – est donc indémontrable. 

Mais où va-t-on si, malgré les énormes rapports annuels de l'EFSA sur les résidus de pesticides dans les denrées alimentaires, on conclut que l'évaluation du risque alimentaire pour les consommateurs serait une question non résolue... du fait de « données incomplètes sur la quantité de résidus de glyphosate dans les cultures de rotation telles que les carottes, la laitue et le blé » ? Sachant par ailleurs qu'il est établi que les résidus de glyphosate dans les aliments sont inférieurs à la dose journalière admissible d'au moins trois ordres de grandeur (merci les « pisseurs de glyphosate »).

Également selon la fiche d'information, « L'évaluation des risques pour les plantes aquatiques n'a pas pu être finalisée en raison du manque de données sur leur exposition au glyphosate par dérive de pulvérisation ». Vraiment ? Après presque cinquante ans d'utilisation du glyphosate ?

La Commission européenne a promptement réagi... et un document confidentiel a fuité...

La Commission européenne a promptement réagi en soumettant un document présentant les conclusions de l'évaluation de l'EFSA et des commentaires au SCOPAFF (Comité permanent des végétaux, des animaux, des denrées alimentaires et de l'alimentation animale) les 11 et 12 juillet 2023. 

Ce document donne des indications sur ce que pourrait contenir sa future proposition de règlement d'exécution. Par exemple, pour le risque alimentaire pour le consommateur, « les États membres devraient veiller à ce qu'une évaluation complète des résidus possibles soit effectuée avant d'autoriser les utilisations sur les cultures en rotation. »

Pourquoi pouvons-nous citer ce document ? Parce qu'il a fuité en direction d'une entité anti-pesticides... C'est là un autre problème de dérive.

Et, bien évidemment, le complotisme s'est déjà invité dans le processus : « Afin d'éviter un examen scientifique et public du travail de l'EFSA, la DG Santé accélère la procédure de prise de décision en secret avec les États membres ».

Une procédure de décision en douceur ou un remake de la chienlit ?

La Commission devrait présenter sa proposition de règlement à la mi-septembre.

Pour les votes, faites vos jeux ici. On rappellera qu'en 2022, les États membres avaient bloqué en première instance et en appel la prolongation de l'approbation du glyphosate pour un an rendue nécessaire par le retard dans le processus décisionnel imputable aux instances de décision. La Croatie, le Luxembourg et Malte se seraient opposés à la prolongation, la France, l’Allemagne et la Slovénie ayant opté pour l'abstention.

À ce stade, on peut penser que l'Allemagne, l'Autriche, le Luxembourg et la Slovénie voteront contre ou s'abstiendront (ce qui revient au même). Beaucoup dépendra de l'attitude de la France du « en même temps ». Il faut en effet deux grands pays pour faire échec à la condition des 65 % de la population en faveur de la proposition.

À ce stade, on peut imaginer quatre scénarios : (1) la proposition (normalement une ré-homologation pour quinze ans) est adoptée par les États membres ; (2) la proposition, non adoptée par les États membres est adoptée, par la Commission ; (3) des tractations s'engagent pour réduire la durée et/ou restreindre les conditions de la ré-homologation ; (4) on s'accordera pour demander des études complémentaires et une prolongation temporaire.

Quelle que soit la décision, elle sera attaquée en justice et l'affaire finira à une échéance plus ou moins lointaine devant la Cour de Justice de l'Union européenne.

La mise en œuvre sur le plan national

Rappelons ici le tweet très trumpien de notre Président Emmanuel Macron du 27 novembre 2017 : « J’ai demandé au gouvernement de prendre les dispositions nécessaires pour que l’utilisation du glyphosate soit interdite en France dès que des alternatives auront été trouvées, et au plus tard dans 3 ans. #MakeOurPlanetGreatAgain ».

(Source)

Il y a certes eu un rétropédalage fort remarqué et commenté. Mais cette annonce avait aussi été suivie par des travaux d'un INRAE fort servile à l'égard du gouvernement censés montrer que la « sortie du glyphosate » était possible pour la plupart des usages et des situations. Des travaux également fort remarqués et commentés... et suivis de rétropédalages qui le furent beaucoup moins (la même histoire se reproduira pour l'utilisation de semences de betteraves enrobées avec un néonicotinoïde...).

Le gouvernement avait embrayé avec un « plan de sortie du glyphosate » digne de Gribouille. Il en reste notamment un crédit d'impôt « sortie du glyphosate » et, surtout, une obligation pour le gouvernement – certes aussi relative que la cohérence de son action – d'adopter une politique restrictive à l'égard du glyphosate.

D'où la question, évoquée ci-dessus, de savoir quelle sera la position à Bruxelles et la question de savoir si, et comment, le gouvernement se saisira des perches qui lui sont tendues par le rapport d'évaluation de l'EFSA et le seront par le règlement d'application de la Commission.

Le glyphosate est devenu un totem à abattre. Dans l'arbitrage entre la démagogie et les importants enjeux économiques, environnementaux et sanitaires bien compris, les seconds ne partent pas favoris. Nous savons, malheureusement, que, malgré les incantations du style : « pas d'interdiction sans solutions », nos gouvernants restent des champions dans l'art de compromettre la compétitivité de notre agriculture.

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