Glyphosate et leucémies : une grossière manipulation médiatique<!-- --> | Atlantico.fr
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Une manifestante anti-glyphosate à Rennes, le 12 octobre 2023.
Une manifestante anti-glyphosate à Rennes, le 12 octobre 2023.
©Damien MEYER / AFP

Prudence

L'Institut Ramazzini – à la sulfureuse réputation de pourvoyeur d'annonces et d'études anxiogènes sur les effets de substances chimiques et de phénomènes physiques comme les champs électromagnétiques sur la santé – vient de publier un communiqué de presse sur le glyphosate et les leucémies. On va d'étonnement en apoplexie.

André Heitz

André Heitz

André Heitz est ingénieur agronome et fonctionnaire international du système des Nations Unies à la retraite. Il a servi l’Union internationale pour la protection des obtentions végétales (UPOV) et l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI). Dans son dernier poste, il a été le directeur du Bureau de coordination de l’OMPI à Bruxelles.

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À l'heure où nous écrivons, l'« information » commence à se répandre dans la médiasphère française. Le Parisien semble être le premier à avoir dégainé avec « Glyphosate : selon une nouvelle étude, l’herbicide provoque des leucémies chez le rat». Il écrit en introduction :

« Le timing n’est évidemment pas innocent. Le 15 décembre l’autorisation d’utiliser cette substance active pour désherber ne sera plus valable en Europe, les États membres n’ont pas réussi à se mettre d’accord le 13 octobre»

Effectivement. Les États membres doivent voter à nouveau à la mi-novembre... Mais, pour conférer plus de clinquant à sa manœuvre, l'Institut Ramazzini a aussi profité de sa conférence annuelle, tenue du 21 au 25 octobre 2023 sur un thème conforme à son « fond de commerce » : « Environnement, travail et santé au 21e siècle : Stratégies et solutions à une crise mondiale».

Une communication intempestive

Ce qui est annoncé est un élément de la Global Glyphosate Study, un projet qui a été monté après la débâcle de Factor GMO. Celui-ci devait être « l’étude mondiale la plus importante jamais réalisée sur la sécurité relative aux OGM et aux pesticides » ; c'était une manœuvre de déstabilisation pilotée depuis Moscou qui a finalement tourné en arnaque. L'Institut Ramazzini y était associé au départ et pendant un certain temps par l'entremise de Mme Fiorella Belpoggi.

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Il n'y a pas encore – et il n'y aura peut-être jamais – de publication dans une revue à comité de lecture.

Nous ne disposons à ce stade que d'un communiqué de presse et d'une présentation. Selon le premier, « "Ces résultats sont d'une telle importance pour la santé publique que nous avons décidé qu'il était vital de les présenter maintenant, avant leur publication. Les données complètes seront rendues publiques et soumises pour publication dans une revue scientifique dans les semaines à venir", a conclu le Dr Mandrioli [directeur de l'Institut Ramazzini et coordonnateur de l'étude]. »

Vraiment ? S'ils étaient si importants, pourquoi n'ont-ils pas été divulgués précédemment à l'EFSA et, à tout le moins, avant le premier vote du 13 octobre 2023 ?

Ce qu'on sait du protocole de l'étude

Selon le communiqué de presse, on a administré du glyphosate seul et deux formulations commerciales, Roundup BioFlow et Ranger Pro, à des rats via l'eau de boisson à partir de la vie prénatale, donc déjà aux rates gestantes, puis vie entière. Et on a observé...

Toute ressemblance avec une célèbre étude sur des rats n'est peut-être pas fortuite. Mais ici, on a travaillé avec des groupes de 51 – et non 10 – animaux.

Des doses réalistes ?

Les doses étaient de 0 (pour les témoins), 0,5, 5 et 50 mg/kg de poids corporel/jour. Selon le communiqué de presse, « Ces doses sont actuellement considérées comme sûres par les organismes de réglementation et correspondent à la dose journalière admissible (DJA) de l'UE et à la dose sans effet nocif observé (DSENO [NOAEL en anglais]) de l'UE pour le glyphosate. »

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C'est exact. Mais, rapportées à une petite personne de 60 kg, souvent prise comme standard dans les études toxicologiques, elles correspondent à 30, 300 ou 3.000 mg, soit 3 grammes pour la dose max, soit un peu moins d'un demi-litre de Roundup prêt à l'emploi.

On se trouve là, une fois de plus, dans le champ de manœuvre de la science qui serait acceptable si l'objectif était d'identifier un danger mais qui devient militante dès lors qu'on agite un risque à grand renfort de communiqués. Ici, bien sûr, il s'agit de militantisme.

Ces doses sont aussi à rapporter à l'exposition humaine. On peut prendre pour base de raisonnement les résultats largement diffusés par les « pisseurs de glyphosate » (dont, soit dit en passant, les 5.400 plaintes pour « mise en danger de la vie d'autrui », etc. ont été classées par le Pôle Santé du Parquet de Paris en septembres 2023). Ils sont faux et surévalués, les tests étant bidon, mais ils font l'affaire : en gros un microgramme par litre d'urine matinale, ce qui, en comptant large, correspond à 10 microgrammes ingérés... et rapidement excrétés par les selles et l'urine.

Poussons le calcul : c'est 0,166 mg/kg p.c. pour notre personne de 60 kg, soit 1/3.000 de la dose la plus faible (la dose journalière admissible) ou 1/300.000 de la dose la plus élevée.

Qu'ont-ils trouvé ?

Il faut se référer maintenant à la présentation. On a distingué les leucémies lymphoblastiques, monocytiques et myéloïdes.

Pas de leucémies dans les groupes témoins mâle et femelle (on peut déduire de la présentation qu'il n'y en a qu'un pour chaque sexe).

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Pour le glyphosate seul, c'est au total 2 pour la dose de 0,5 mg/kg ; 1 (5 mg) ; et 1 (50 mg).

On pourrait considérer que le Roundup BioFlow (commercialisé en Europe) s'est mieux sorti de l'essai, avec 3 cas au total, mais uniquement à la dose maximale de 50 mg/kg. Pour le Ranger Pro (commercialisé au USA), c'est respectivement 1, 2 et 4 cas, ce qui permet d'alléguer un effet dose...

Les chercheurs peuvent aussi se flatter d'avoir trouvé six valeurs de p inférieures au seuil magique de 0,05 (sur 144 comparaisons avec les témoins).

Ils présentent aussi des données d'une lecture difficile sur l'âge moyen au décès, avec sans doute des erreurs dans le tableau (il y a des doublons).

En résumé, la vie moyenne, pour les trois produits confondus, aurait été de 97 +/- 13 semaines pour la dose de 0,5 mg/kg, 68 +/- 33 semaines pour la dose de 5 mg/kg et 54 +/- 27 semaines pour la dose de 50 mg/kg.

Toute ressemblance avec une autre étude et ses photos de rats affligés d'énormes tumeurs serait fortuite... mais ici aussi, il manque les données pour les témoins.

Que prétend avoir trouvé l'Institut Ramazzini ?

 À notre sens, on peut reprendre une terminologie qui fut utilisée pour une célèbre étude publiée, rétractée puis republiée (à propos : M. Patrick Cohen, M. Olivier Lesgourgues (MacLesggy) et Mme Géraldine Woessner ont été relaxés dans l'action en diffamation que leur a intentée son auteur principal) : ces données sont non conclusives, pour les doses utilisées (rappelons-le : vie entière, gestation comprise).

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Les auteurs de la présentation osent néanmoins : « De faibles doses d'herbicides à base de glyphosate à des niveaux d'exposition inférieurs à la DSENO [dose sans effet nocif observable] actuelle ont entraîné une tendance statistiquement significative de l'incidence de la leucémie, qui est une affection très rare chez les rats Sprague-Dawley. »

Ce n'est pas repris dans le communiqué de presse, et on peut interpréter cela comme un aveu de faiblesse de l'étude. On y a privilégié un autre aspect : « ...près de la moitié des décès par leucémie observés chez les rats exposés au glyphosate et aux herbicides à base de glyphosate sont survenus à l'âge de moins d'un an. En revanche, aucun cas de leucémie n'a été observé avant l'âge d'un an chez plus de 1.600 rats Sprague-Dawley étudiés au cours des deux dernières décennies par le National Toxicology Program (NTP) des États-Unis et l'Institut Ramazzini. »

C'est évidemment plus anxiogène qu'une « tendance statistiquement significative »...

Qu'a-t-on tiré des éléments diffusés par l'Institut Ramazzini ?

L'opération de com' a bien sûr fonctionné. Ainsi : « Devant ces résultats très préoccupants, Générations Futures, Foodwatch et WeMove réagissent d’une seule voix “Il serait totalement irresponsable de ré-autoriser le glyphosate sans prendre en compte cette nouvelle alerte de la science du potentiel danger du glyphosate pour la santé humaine. La Commission Européenne doit retirer sa proposition de ré-autorisation du glyphosate[…]. »

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Et à l'heure où je conclus quelques titres on déjà repris l'« information ».

Que peut-on tirer de l'étude en réalité ?

On peut trouver un résultat positif dans cette étude : ces faibles incidences de leucémies pour des doses extravagantes de produits – tant pour la quantité que pour la durée d'administration – sont tout à fait rassurantes pour les niveaux d'exposition dans la vie réelle des populations, tant des consommateurs que des applicateurs.

Le nombre de cas très limité, avec une dispersion manifestement aléatoire (et des groupes témoins qui ont eu le bon goût de ne pas développer une leucémie) ne permet sans doute pas de conclure à la mise en évidence d'un danger.

Et sans aucun doute d'un risque.

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