Geste pour les "petites" retraites : l’étrange tendance du PS à ne penser qu’à sa clientèle électorale traditionnelle<!-- --> | Atlantico.fr
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Les petites retraites en dessous de 1200 euros ne seront pas gelées.
Les petites retraites en dessous de 1200 euros ne seront pas gelées.
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Electoralisme

Manuel Valls a annoncé que les petites retraites en dessous de 1200 euros ne seront pas gelées comme cela était initialement prévu dans son plan d'économies de 50 milliards, sans appliquer une mesure semblable aux actifs touchant le même revenu. La raison est simple : les retraités votent plus que les actifs.

David Valence

David Valence

David Valence enseigne l'histoire contemporaine à Sciences-Po Paris depuis 2005. 
Ses recherches portent sur l'histoire de la France depuis 1945, en particulier sous l'angle des rapports entre haute fonction publique et pouvoir politique. 
Témoin engagé de la vie politique de notre pays, il travaille régulièrement avec la Fondation pour l'innovation politique (Fondapol) et a notamment créé, en 2011, le blog Trop Libre, avec l'historien Christophe de Voogd.

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Atlantico : Le Premier ministre a annoncé mardi 29 avril que les petites retraites en dessous de 1200 euros ne seraient pas concernées par le gel pourtant annoncé dans son plan d'économies de 50 milliards. Combien de personnes cela concerne-t-il ? Quel est leur profil sociologique ? Faut-il y voir une mesure directement adressée aux retraités de la fonction publique ?

David Valence : Cela représente environ 6 millions de personnes, soit un peu moins de la moitié des retraites. Mais attention, on parle bien des Français qui touchent une pension certes inférieure a la moyenne des retraites, mais trop élevée pour les rendre éligibles au minimum vieillesse, dont bénéficient environ 600.000 personnes. Cette population n'est pas très homogène. On y retrouve a la fois des retraités de l'agriculture, aux pensions très faibles, des retraités du commerce, des salaries du privé qui ont pu connaître de longues périodes de chômage, comme des salariés du public ayant occupé des emplois peu qualifiés. Quoique leurs revenus soient modestes, ces personnes sont le plus souvent propriétaires de leur logement. 

Pourquoi privilégier des mesures à destinations de personnes retraitées à des mesures à destination d'actifs avec les mêmes niveaux de revenus, qui sont pourtant nombreux et qui avec 1200 euros mensuels ont finalement un pouvoir d'achat moindre ?

Le pouvoir d'achat des retraités a cessé d'évoluer plus vite que celui des salariés, comme l'ont montré plusieurs études récentes, reprises notamment par le journal "Le Monde" dans ses analyses de la décision du gouvernement. Mais il faut reconnaître que nous vivons actuellement en Europe, et plus encore en France, une situation sans équivalent a l'échelle de l'histoire du monde : il se trouve en effet plus de grande pauvreté chez les actifs que chez les retraités. Pendant des siècles et même des millénaires, vieillir était synonyme d'appauvrissement, et les très âgés en étaient réduits à vivre souvent du soutien de leurs enfants. Aujourd'hui, si les retraités gagnent un peu moins en moyenne que les salariés, ils vivent mieux. Et ce sont eux qui accueillent chez eux leurs enfants en cas de rupture professionnelle ou familiale. Les flux financiers jouent désormais dans les deux sens, des actifs vers les retraités mais aussi des retraités vers les actifs. Or, on sait que les plus de 65 ans votent plus que le reste des Français, et il est donc toujours périlleux de s'en prendre a leur porte-monnaie...

Cette semaine, Najat Vallaud-Belkacem a pour sa part annoncé une enveloppe de 600 millions d'euros à destination des quartiers sensibles alors même que la redéfinition des zones prioritaires n'aura lieu qu'en novembre. Le Parti socialiste tente-t-il par tous les moyens de récupérer le vote des quartiers populaires après la débâcle que la majorité a connu aux municipales ?

La coupure entre le Parti socialiste et les salariés pauvres, ou même les demandeurs d'emploi, ne date pas d'aujourd'hui. Elle a pu se réduire ponctuellement a la faveur de l'antisarkozysme de 2012, mais on peut dire que le Parti socialiste a définitivement cessé d'être un Parti qui représente les milieux populaires avec la fin des années Mitterrand. Cela s'accentue depuis 2002. Les électeurs les plus modestes sont aussi les plus versatiles électoralement, désormais. Jusque là, ce phénomène était compensé par la territorialisation du vote, avec un fort rejet de la droite dans les quartiers dits populaires, euphémisme qui désigne les Zones urbaines sensibles (ZUS). Mais comme le montrent les résultats calamiteux de la gauche en Île-de-France, la peur de la droite est désormais moins forte dans ces quartiers que le rejet de la gauche. Il est logique que les socialistes s'affolent et veuillent prendre de grandes initiatives, puisque le dernier plan d'envergure pour les ZUS ne portait pas leur signature mais celle de Jean-Louis Borloo... Mais leur marge de manœuvre budgétaire n'est plus la même que celle dont avait bénéficié l'ancien ministre de la Ville de Jacques Chirac!

Peut-on voir des zones de recoupement entre les mesures privilégiées par le gouvernement et ce qu'il considère comme son  électorat naturel ? A quelles autres manifestations de cette tendance peut-on penser ?

Globalement, les militants socialistes sont aujourd'hui dans un état d'affolement absolu. Beaucoup ont perdu leur travail ou un revenu complémentaire avec la chute de nombreuses mairies, et le monde tel qu'il va les désoriente, ils ne savent pas comment l'appréhender. Même si beaucoup n'apprécient pas le positionnement de Manuel Valls, ils sont prêts a se jeter dans ses bras s'il leur donne l'espoir de n'être pas balayés aux élections qui s'annoncent (européennes le 25 mai prochain, puis régionales et départementales en 2015). Ils balancent donc entre un sauve-qui-peut généralisé et la tentation d'en appeler au saupoudrage pour empêcher certaines parties de l'opinion de s'éloigner. Tout cela est assez pitoyable et inquiétant pour notre vie démocratique. Car il n'est jamais bon qu'un grand parti de gouvernement se retrouve dans une telle détresse idéologique et stratégique !

Le pacte de responsabilité et le virage social-démocrate affiché du PS ne témoignent-ils pas d'une certaine ambivalence du Parti socialiste vis-à-vis de son électorat ?

Beaucoup des têtes pensantes du Parti socialiste, qui étaient prêtes a soutenir Strauss-Kahn avant ses déboires, savent bien que la relance de la croissance et le désendettement passent par une politique qui s'en prendra d'abord aux fidèles soutiens de la gauche, au premier chef les salariés du public. François Hollande lui-même en est sans doute conscient. Mais jusque-la, ce pouvoir a tenté de ne pas heurter de front ses soutiens naturels, au risque de donner l'impression de louvoyer, de ne pas décider ou d'avoir un agenda caché. Peut-être les socialistes ont-ils enfin compris que la seule issue qui leur reste maintenant pour éviter un effondrement total, c'est de jouer le tout pour le tout, "au courage" et de réformer vraiment. Inch'Allah!

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