Gérald Darmanin inaugure le post-macronisme mais qui entraînera-t-il vraiment dans son sillage ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le ministre de l'Intérieur réunissait ses soutiens politiques dans son fief de Tourcoing, dans le Nord.
Le ministre de l'Intérieur réunissait ses soutiens politiques dans son fief de Tourcoing, dans le Nord.
©FRANCOIS LO PRESTI / AFP

Les ambitions d'un homme

Si le ministre de l’Intérieur fixe comme objectif les catégories populaires à l’instar de ce qu’avait réussi Nicolas Sarkozy, les obstacles politiques et sociologiques sont nombreux sur sa route.

Carlyle Gbei

Carlyle Gbei

Carlyle Gbei est journaliste politique pour la radio fréquence protestante. Presentateur du podcast la Ve République, mode d'emploi et Nos présidents avec Maxime Tandonnet. Contributeur pour la revue politique et parlementaire .

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Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti est Professeur associé à Sorbonne-université et à l’HEIP et rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire. Son dernier ouvrage, "Comment sont morts les politiques ? Le grand malaise du pouvoir", est publié aux éditions du Cerf (4 Novembre 2021).   

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Atlantico : Le ministre de l'Intérieur réunissait ses soutiens politiques dans son fief de Tourcoing, dans le Nord. Lors de son discours de dimanche, Gérald Darmanin a tenu à s’adresser aux classes populaires. Que faut-il retenir de ce discours et de cette intervention sur le fond et sur la forme ? Quels sont les principaux enseignements du discours de Gérald Darmanin ?

Carlyle Gbei : Première chose à retenir : c’est la rentrée politique la plus médiatisée de cette année . Elle intervient quelques mois après la reconduction d’Elisabeth Borne à Matignon alors que des rumeurs persistantes donnaient favoris le locataire de la place Beauvau. Dans la foulée de ce remaniement dit  « technique », Gérarld Darmanin avait annoncé sa rentrée politique dans son fief de Tourcoing. Sur la forme, ce fut une rencontre plutôt conviviale. Pour le discours, un décor sorbre , seul un pupitre pas de drapeaux. Des frites et de la bière pour clôturer les travaux après les deux discours aux allures de face à face entre le ministre de l’intérieur et la première ministre dont l’arrivée a été annoncée à la dernière minute sous la pression du chef de l’état selon son entourage. Une rencontre fidèle donc à l’esprit de son initiateur. 

Sur le fond , le maire de Tourcoing  a voulu se positionner comme le défenseur des classes populaires face aux populistes. Tout en saluant l’action du Président de la république et de la majorité, il a toutefois mis en garde à travers cette série d’anaphore : « il faut comprendre et respecter » contre un délaissement des classes populaires. Il a rappelé que la sécurité était la première politique sociale. En résumé , on a eu un ministre de l’Intérieur qui sort de son couloir pour parler des sujets non-régaliens tels que l’éducation, le travail, l’écologie …

Face aux procès en trahison, l’élu du nord a martelé que « la fidélité et la loyauté consistent à ne pas se taire alors qu’on pense différemment ». De manière plus trivial, « loyal mais libre» comme dirait Edouard Philippe.

Qu’est-ce qu’il incarne politiquement au sein de la macronie ? Comme plus largement dans le pays ?

Arnaud Benedetti : Il entend incarner son aile sociale et populaire. Élu de Tourcoing, il fait de cette implantation la martingale de sa singularité. Il se veut républicain intransigeant, gaulliste sur les questions économiques et sociales, emblématique du rétablissement de l’autorité là où celle-ci est mise à mal. Le macronisme qui opère comme un agrégateur de sensibilités politiques au gré des circonstances n’a jamais intégré cette offre dans son camaïeu idéologique. C’est l’initiative du ministre de l’intérieur qui implémente cette offre dans le nid du macronisme. C’est un fait qu’Emmanuel Macron n’en est pas pour une fois à l’initiative. Le Président subit de facto à l’intérieur de son propre camp pour la première fois une tentative de greffe dont il n’est pas le maître. Cela signifie de l’intérieur une remise en question de l’apparente cohérence idéologique du macronisme, même si Gérald Darmanin professe sa loyauté à l’adresse du Chef de l’Etat. Pour autant et en creux il porte une critique évidente du logiciel de la majorité présidentielle en opérant une mobilisation autour de sa personne.

Les Républicains, eux, étaient réunis au Cannet. A titre de comparaison, que faut-il penser de la rentrée politique des Républicains par rapport au projet, à la journée et au discours de Gérald Darmanin ? Qui a le « mieux réussi » sa rentrée politique et qui aurait potentiellement le plus de chance de convaincre les électeurs ? 

Carlyle Gbei : Les deux événements ne répondaient pas aux mêmes aspirations. D’abord, côté LR, c’est la traditionnelle rentrée politique du parti. Un événement plus institutionnel. Il était question de mobiliser les troupes face aux défis à venir notamment les sénatoriales en septembre et les européennes en juin 2024. C’était aussi l’occasion pour Eric Ciotti de mettre à nouveau sur orbite son champion pour 2027 , Laurent Wauquiez. Du côté de Gérarld Darmanin, il s’agit d’une initiative personnelle qui se voulait plutôt informelle et qui s’inscrivait en plus dans une logique de dépassement. Toutefois, il ne faut pas négliger le fait que l’attention médiatique était plus braquée du côté du Nord plutôt que du Sud du pays . Conscient de ce fait, Eric Ciotti a glissé une petite phrase à l’encontre du premier flic de France en l’invitant à « gouverner » plutôt qu’à penser à la succession en 2027.

Gérald Darmanin a assuré ce dimanche, à l'occasion de sa rentrée politique à Tourcoing dans le Nord, être "loyal" à Emmanuel Macron et ne pas suivre de calculs personnels, alors que certains observateurs lui prêtent des ambitions pour la présidentielle de 2027. Cette rentrée politique et le discours du ministre de l’Intérieur apportent-ils des réponses sur l’avenir politique de Gérald Darmanin ?

Carlyle Gbei : Il faut être naïf pour ne pas s’apercevoir que cette initiative s’inscrit dans une logique politicienne. Étant aujourd’hui numéro 3 du gouvernement et appartenant au parti présidentiel, il serait incongru de ne pas marquer sa « loyauté » et sa « fidélité » à son référent politique lorsqu’on a des ambitions personnelles. À travers cette rencontre, Gérarld Darmanin a voulu envoyer un message claire : il faudra compter sur lui pour 2027. La véritable bataille de succession commencera après les jeux olympiques. Pour l’instant, l’heure est à la préparation dans les différentes chapelles de la macronie et monsieur Darmanin n’est pas le seul qui se prépare activement. 

Adoubé par Sarkozy, plutôt bien vu par Emmanuel Macron, Gérald Darmanin représente-t-il un vrai espoir pour 2027 pour la macronie et/ou pour la droite ? Est-il supérieur (ou pas) à ses concurrents au sein de la majorité ?

Arnaud Benedetti : Il a plusieurs handicaps : le premier est celui de son bilan en tant que ministre de l’intérieur qui témoigne d’un décalage pour de larges segments de l’opinion entre sa communication de fermeté et les résultats de son action. Il ne suffit pas de parler de l’ordre pour le rétablir. Le second est qu’il réactive le spectre d’un sarkozysme, tout au moins quant à la méthode de conquête, qui n’a pas laissé forcément de bons souvenirs dans l’électorat de droite. Le troisième obstacle est que ministre depuis 2017 il est mécaniquement associé à des politiques publiques qui le dévie inévitablement de sa cible sociologique, les classes populaires. Last but not least, son positionnement droitier l’éloigne du barycentre centriste et central du macronisme. Sans compter qu’en dévoilant à quatre ans de 2027 ses ambitions, il prend le risque d’être en décalage avec les préoccupations immédiates d’une grande partie des français. D’aucuns ne manqueront pas de penser et de dire qu’il est plus urgent d’être à la tâche que de profiler des prétentions qui ne correspondent pas à l’agenda immédiat de l’opinion. Ce que Messieurs Séjourné et Attal n’ont pas d’ores et déjà manqué de souligner. Avec un certain bon sens au demeurant…

Vanter le bilan d’Emmanuel Macron comme un président qui aura fait le plus envers les classes populaires, comme l’a fait Gérald Darmanin lors de son discours de dimanche, est-il un constat lucide ? Cette France semble pourtant ne pas avoir été écoutée lors de la crise des Gilets jaunes…

Carlyle Gbei : Il y a effectivement un peu d’incohérence. C’est assez difficile pour Gérarld Darmanin de tirer à boulet rouge sur le bilan social du président au nom de la solidarité gouvernementale, raison pour laquelle la première ministre a été dépêchée à la dernière minute pour défendre l’action du président de la république. Elisabeth Borne a rappelé qu’il ne fallait pas « s’intéresser aux classes populaires par calcul comme le fait le Rassemblement National ». Il a voulu poser un diagnostic qui ne plaît certes pas à tout le monde mais qui est nécessaire pour faire avancer le débat. 

En voulant se positionner sur les catégories populaires, en affirmant sa ligne sur les sujets régaliens, il souligne les faiblesses et ambiguïtés d’Emmanuel Macron. En quoi cela risque de peser sur la fin du quinquennat Macron ? Le en même temps pourra-t-il résister à cette nouvelle pression ?

Arnaud Benedetti : L’opération Darmanin entend encore une fois faire bouger la tectonique des plaques à l’intérieur du bloc majoritaire. Pour ce faire, il faut prendre le contrepied d’une partie du socle électoral « élitaire » pour reprendre la formule de Jérôme Sainte-Marie. Problème : peut-on reconquérir le « bloc populaire » sans effet d’éviction du côté des CSP plus qui votent pour Emmanuel Macron ? Autre problème déjà évoqué, la question de la crédibilité. A l’épreuve des immenses défis auxquels est confronté le pays, l’habileté tactique peut s’avérer très insuffisante, alors que la crise de confiance n’a jamais été aussi intense entre les français et leurs dirigeants. Faire comme si ce déficit n’avait pas d’effet sur les représentations collectives des citoyens témoigne aussi d’une conscientisation très relative des temps que nous traversons. S’il faut sans doute extraire un enseignement de l’entreprise initiée par le ministre de l’intérieur, c’est qu’elle acte pour la première fois l’organisation des contradictions au sein même de la majorité. Le post-macronisme a déjà commencé. A quatre ans de l’échéance présidentielle les tensions sur les équilibres internes de la majorité pourraient s’intensifier et faute de majorité absolue à l’assemblée en rendre le pilotage beaucoup plus complexe.

Que penser de son attitude vis-à-vis du RN, de l’immigration ou de l’islam, à la fois très dure et ambiguë. Où se situe-t-il vraiment ?

Arnaud Benedetti : Le RN a ossifié non seulement son implantation dans l’électorat populaire mais il a par ailleurs gagné en crédibilité républicaine. Dans le même temps qu’il lui manifestait son soutien, Nicolas Sarkozy, on l’a insuffisamment souligné, observait ce qu’il appelait les « progrès » de Marine Le Pen et objectivait la dimension républicaine de son offre politique. La question essentielle pour Gérald Darmanin est celle de la sincérité. Il incarne une figure politique habile, astucieuse, voire un peu cynique, mais n’est-ce pas là des qualités intuitives qui apparaissent à nombre de concitoyens comme autant de défauts. Marine Le Pen, qu’il prétend combattre, a pour elle la cohérence, la patience aussi, une forme d’abnégation qui s’ils étaient le moment venu confrontés l’un face à l’autre sont autant d’éléments qui pourraient s’avérer redoutablement efficients après tant d’années d’essorage idéologique. La lessiveuse politicienne pourrait toucher à ses limites comme la IVème République en son temps a fini par se déliter faute de clarté.

L’absence de mesures ou d’annonces réelles dans son discours de dimanche ne va-t-il pas nuire au projet de Gérald Darmanin ? Va-t-il réellement rassurer les citoyens à travers cette rentrée politique et son allocution en citant notamment la sécurité comme « la première des politiques sociales » ? Gérald Darmanin répond-il réellement aux défis auxquels sont confrontées les classes populaires ?

Carlyle Gbei : Il s’agissait d’une rencontre informelle qui n’avait pas vocation à déboucher sur des mesures ou des annonces réelles. Pour rappel, il demeure ministre de l’Intérieur et des Outre-mer. Il ne peut être jugé que sur son action en matière de sécurité. Il doit répondre pour l’instant au défi sécuritaire qui oui, est l’une des principales préoccupations des classes populaires. C’est à ce niveau qu’il est attendu pour le moment. 

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