Georges Clémenceau, l’union par le combat au service de la France<!-- --> | Atlantico.fr
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Georges Clémenceau visite une tranchée pendant la Première guerre mondiale. Flavien Dupuis publie « Les grandes figures de l’unité française » aux éditions du Cerf.
Georges Clémenceau visite une tranchée pendant la Première guerre mondiale. Flavien Dupuis publie « Les grandes figures de l’unité française » aux éditions du Cerf.
©AFP

Bonnes feuilles

Flavien Dupuis publie « Les grandes figures de l’unité française » aux éditions du Cerf. Philippe le Bel, Charles V le Sage, François Ier, Gambetta, Clemenceau, de Gaulle, ils ont tous travaillé à construire et à maintenir l'unité du peuple dans des situations périlleuses, en s'appuyant sur des ressources politiques, militaires et culturelles. Extrait 2/2.

Flavien  Dupuis

Flavien Dupuis

Flavien Dupuis est l'auteur du Lion de France, l'histoire épique du roi Louis VIII, paru en 2021 aux Editions du Cerf. Il a publié Les grandes figures de l'unité française en 2022 aux Editions du Cerf.

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Georges Clemenceau n’est pas un homme de consensus. Les témoignages que l’homme a laissés dans la mémoire collective, qu’il s’agisse de noms de rues ou d’avenues, ou même d’un porte-avions, font de lui une figure inattaquable de notre histoire. La réalité du moment fut pourtant tout autre. Clemenceau est un homme de combat. Waldeck-Rousseau le surnomme «le démolisseur». Pour Déroulède, « [sa] carrière est faite de ruines ». Pour Barrès, il donne même le spectacle d’un homme «en guerre avec lui-même». Il se complaît dans l’adversité, il s’appuie sur elle, il s’en nourrit. Ses mots assassins, ses diatribes aussi éloquentes que virulentes pour ses opposants, sont des morceaux d’anthologie parlementaire. S’il pouvait revenir sur terre aujourd’hui, il serait sans doute le premier surpris du culte universel qui lui est rendu.

Et pourtant cet homme a porté la France à bout de bras, à l’heure où la France était sur le point de sombrer. Cet homme a fait taire les querelles de partis, dissous les chicaneries politiques et annulé les divergences idéologiques d’un seul mot: « Je fais la guerre ! » Le combat politique de sa vie fut celui de la République une, laïque et indivisible. Farouche partisan de la séparation de l’Église et de l’État, il fut l’un des premiers combattants de la liberté de conscience. Il fut également l’un de ceux qui prirent ouvertement parti pour le capitaine Dreyfus à l’époque où l’écrasante majorité des Français croyait Dreyfus coupable. Le «J’accuse…!» de Zola, cette une du journal L’Aurore qui fleurit aujourd’hui dans tous les manuels d’éducation civique comme un exemple d’indignation républicaine, c’est lui qui en a trouvé le titre et l’a publié. Qui s’en souvient ?

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Son caractère même est celui d’un homme éruptif, rugueux, prêt au combat en toutes circonstances. Ceux qui l’ont servi, les premiers, sont sortis de son orbite terrorisés et lessivés. Être le collaborateur du Tigre n’est pas une sinécure, tant s’en faut. Le fait que l’homme qui, entre tous, portait dans son sang le caractère conflictuel de la politique, soit devenu une figure rassembleuse, n’est donc pas le moindre des paradoxes de notre histoire.

C’est à la découverte de ce paradoxe que nous convions maintenant le lecteur. Qu’un individu né pour la lutte se soit dressé à l’heure fatale pour prendre sur lui le destin de la France sans se méprendre sur ce qu’il pouvait en tirer, qu’il ait ensuite cru pouvoir en coiffer les lauriers et devenir président de la République, qu’il ait été frappé alors par ce que Jean Lacouture appelait la «loi régalienne d’ingratitude» et se soit vu préférer le déficient Paul Deschanel, celui-là même qui chuta du train présidentiel en pleine nuit et quitta l’Élysée quelques mois après son installation, a quelque chose de magnifique, d’irréel et d’humain à la fois. L’histoire de Clemenceau est celle d’un homme d’honneur qui fuyait les honneurs, l’histoire d’un Cyrano de Vendée féru de duels et bouffeur de curés, d’un Churchill du bocage bougon mais passionnément patriote, épris de liberté au point de sacrifier ses ambitions personnelles sur l’autel de ses convictions républicaines. Un destin français.

[…]

La vie de Clemenceau brosse le portrait d’un homme de contraste, parfois déroutant, jamais réductible à un dogme ou à une doctrine. Médecin, juriste (même s’il n’est pas allé jusqu’à passer le barreau d’avocat), journaliste: Clemenceau a cumulé en lui les trois métiers les plus républicains du XIXe siècle. Farouche anticlérical, il place néanmoins la liberté d’enseignement plus haut que la laïcisation complète du système éducatif. Son éloquence à la tribune du Parlement, mouillée de vitriol et redoutée de tous, s’attaque férocement aux idées mais se montre toujours respectueuse des individus. Son acharnement à faire la guerre se double d’un souci constant des humbles et des sans-grade, qu’il s’agisse du siège de Paris de 1870 ou de la séquence victorieuse de 1918. Clemenceau est un tigre au cœur tendre face à la misère.

Imprégné de l’égale dignité des êtres humains entre eux, il ne fut pas pour autant un cosmopolite naïf, et il ne fut jamais pris en défaut de patriotisme. L’opposition de Clemenceau à la politique coloniale est souvent considérée comme une preuve supplémentaire de son appartenance à la gauche humaniste, ce qui est vrai mais méconnaît toutefois que c’est un autre homme de gauche, Jules Ferry, qui théorisa inversement les fondements de la conquête des civilisations inférieures par les peuples supérieurs. Risquons ici une autre hypothèse : l’anticolonialisme clemenciste est plutôt le signe de la conviction que la France n’est unie et cohérente avec elle-même qu’à l’intérieur de ses frontières dessinées par l’histoire et dans l’intégrité totale de son territoire. D’où l’opposition qu’il ne cessa de proclamer entre la récupération des provinces perdues d’Alsace-Lorraine et l’expansion française en Afrique.

Mais le plus remarquable est sans doute que cet attachement charnel, presque fanatique à la France, s’est accompagné d’une soumission non moins totale aux valeurs de liberté individuelle et de justice. Toute sa vie, Clemenceau n’a été obsédé que par une seule chose : faire en sorte que les Français se rassemblent enfin autour de l’idéal de liberté constitutif du destin national depuis 1789, et le faire contre les Français s’il le fallait, mais jamais contre la France. L’affaire Dreyfus avait servi de révélateur: la France s’était désunie parce qu’elle avait renié les principes élémentaires de droit et d’équité sur lesquels l’unité de son peuple s’était accomplie. Ainsi Clemenceau avait-il conçu le conflit franco-allemand moins comme l’opposition de deux réalités nationales que comme la lutte entre deux principes : celui de la souveraineté du peuple librement consentie contre l’ordre militariste et traditionnel, en qui il ne voyait qu’une «monstrueuse explosion de volonté dominatrice ».

Nourri au souvenir de 1789, le républicanisme de Clemenceau était une sorte d’individualisme libéral mâtiné de patriotisme acharné. Cette association, qui peut nous sembler baroque aujourd’hui, fut pourtant celle de la République triomphante des années 1920. Laisser les Français libres de professer les croyances de leur choix, d’accéder à la propriété ou de s’enrichir, mais ne tolérer aucune entorse au rassemblement quand le péril pointe. Si la République est sortie victorieuse de la plus grande épreuve du début du XXe siècle, elle le dut au dernier des enfants de la Révolution française, qui avait su, à l’heure où l’esprit collectif inclinait au défaitisme, faire renaître l’élan patriotique de la souveraineté populaire. Ce n’est pas là le moindre des services que le Tigre a rendus à celle que les Allemands appellent encore parfois la « Grande nation ».

Extrait du livre de Flavien Dupuis, « Les grandes figures de l’unité française », publié aux éditions du Cerf

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