Georges Brassens, un artiste d’une grande pudeur qui savait parfaitement manier les mots et l’humour<!-- --> | Atlantico.fr
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Le chanteur français Georges Brassens pose chez lui, deux jours avant son premier concert sur la scène de Bobino, le 09 octobre 1972 à Paris. Loïc Rochard. Sous la moustache, le rire. L’humour de Georges Brassens
Le chanteur français Georges Brassens pose chez lui, deux jours avant son premier concert sur la scène de Bobino, le 09 octobre 1972 à Paris. Loïc Rochard. Sous la moustache, le rire. L’humour de Georges Brassens
©AFP

Bonnes feuilles

Loïc Rochard publie "Sous la moustache, le rire. L’humour de Georges Brassens" aux éditions du Cherche-Midi. Plusieurs de ses amis sétois ont témoigné que Georges Brassens a manifesté dès l'enfance de sérieuses dispositions pour l'humour. Il avait un goût de la farce et du canular qu'il a conservé toute sa vie. L'air de rien, Brassens se sert de l'humour pour faire passer des idées... en contrebande. Extrait 2/2.

Loïc Rochard

Loïc Rochard

Loïc Rochard vit en Bretagne, au bord du Golfe du Morbihan. Il a toujours eu deux passions : la mer et les chansons de Georges Brassens. Il a déjà publié au cherche midi Brassens par Brassens (2005).

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Ce besoin d’évasion, Georges Brassens l’a-t-il satisfait dans l’écriture de ses chansons? A-t-il pu pallier ce désenchantement « en s’amusant et en amusant les autres » (ainsi qu’il formulait son intention)? N’a-t-il pas voulu masquer sa pudeur par son humour, sa verve drolatique, ses gaillardises? À ce sujet, la lucidité dont il fit preuve très tôt est tout à fait notable. Une fois sa carrière bien installée, il revint sur cet aspect des choses: «Eh bien, d’abord j’aime m’amuser avec les mots. Une chanson, c’est une petite fête de mots et de notes. Le comique fait partie de cette fête. J’introduis mon humour en demi-teinte dans mes chansons. »

Du reste, Alphonse Bonnafé ne s’y était pas trompé : «C’est dans le domaine du sarcasme, du défi, de l’ironie qu’il se maintient de préférence. Sa verve y est fouettée, elle mène tambour battant de petits contes. […] Chanter si passionnément la colère et le mépris sans cesser d’amuser est d’un art tout à fait consommé. Sa folle gaîté ne fait que masquer sa méditation triste. »

« J’aime rigoler, quoi ! Il n’y a pas tellement de comiques finalement dans tous les métiers d’aujourd’hui, y compris dans la chanson. Alors, il faut bien rire de temps en temps et puis c’est quand même pas très sérieux la chanson au fond. On écrit des chansons pour s’amuser et, moi, j’aime bien m’amuser », déclarait Georges Brassens en 1976. Mon public aime rire, je le connais maintenant mon public, je sais qu’il veut rigoler un bon coup entre deux chansons tendres et je suis heureux de savoir qu’en m’amusant j’amuse, que je donne peut-être une certaine joie plus profonde, une certaine émotion. » Et il poursuivait, pour que ne subsiste le moindre doute : «Lorsque je tiens un sujet qui va amuser le public, je ne vais pas le négliger. […] Dans mes chansons, j’étiquette, forcément. Mais ceux qui me connaissent bien ne songent qu’à rire un bon coup. Et ils nuancent. J’ai un public intelligent. […] Je m’amuse ! Je m’amuse avec le public. Sans me faire beaucoup d’illusions sur le succès de ces chansons comiques. Elles font rire une fois, deux fois, puis c’est usé, il n’y a plus le choc, l’effet de surprise. […] Je ne veux pas faire rire aux éclats, je veux faire sourire. »

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Brassens, en aucune manière, ne voulait asséner quoi que ce soit, il privilégiait la suggestion et se gardait bien de vouloir exercer la moindre influence. Il avait sans doute trouvé dans l’humour son moyen de prédilection pour faire passer quelques idées, ou à tout le moins susciter une réflexion chez son public. Dans ce registre, il déclarait: «Dans une chanson il faut frapper fort, il faut caricaturer pour rendre plus efficace le trait principal. […] Les idées sont importantes, mais il faut les défendre avec une certaine noblesse, un certain détachement. Je crois que, si l’on a l’intention de défendre une idée, il faut le faire de manière indirecte. J’aime, par exemple, plaisanter sur des choses assez graves. Je trouve qu’on atteint plus facilement son public en plaisantant qu’en étant sérieux.» Pierre Cordier, cet ami dont Georges Brassens fit la connaissance lors de sa première tournée en Belgique en 1952, souligne : «Une [autre] racine fondamentale de l’œuvre de Brassens, c’est incontestablement l’humour. […] Il est pourtant important de noter que Georges, qui a jonglé avec les mots toute sa vie, avait horreur des calembours et des contrepèteries. En fait, s’il n’en faisait jamais, il savait évidemment apprécier les jeux de mots des autres. » Par ailleurs, Brassens renchérissait : « Je n’aime pas les calembours gratuits. Victor Hugo disait qu’ils sont les fientes de l’esprit. »

Un masque de pudeur

Et puis derrière l’humour, les mots crus, la verdeur de langage, la paillardise, peut se trouver un homme dont la pudeur ne s’est jamais démentie. Selon ses propres dires: « Je dissimule mes sentiments sous mes blagues. » Là encore ses proches en ont attesté. Ainsi Pierre Louki : « Je peux même témoigner en bien des cas de l’extrême pudeur du provocateur. » Ou bien René Iskin: «Georges a toujours noyé sa pudeur sous des tonnes de moqueries et de sarcasmes les plus divers. » Ou encore Émile Miramont: «Pudeur aussi ses pirouettes, ses sarcasmes, sa propension à prendre pour souffre-douleur le premier qui lui prêtait le flanc. Quant à la tendresse, elle ne s’exposait pas. »

Georges Brassens n’a jamais redouté d’appeler un chat un chat. Sa pudeur se situait ailleurs. Celle qui se manifeste dans certaines de ses chansons relève plutôt d’un procédé littéraire. Partageant un patrimoine culturel avec son public, il utilise une forme de fausse pudeur stimulant l’imagination de ce dernier. En cela, l’effet comique peut être irrésistible. Les conventions auxquelles la plupart se soumettent sont ainsi tournées en ridicule. Évoquer les choses sans les nommer satisfaisait son désir de suggestion; accessoirement, des images poétiques peuvent jaillir de cette façon détournée de désigner ce qu’il est habituel de taire. Cette pudeur manifeste, Brassens l’utilise pour atténuer la gravité d’une chanson par le biais d’un trait d’humour, pouvant même aller jusqu’à la farce. N’est-ce pas une forme de respect de l’autre que de masquer ses pleurs sous un trait d’esprit?

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Extrait du livre de Loïc Rochard, "Sous la moustache, le rire. L’humour de Georges Brassens", publié aux éditions du Cherche-Midi.

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