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Génération mauviettes ? Quand Clint Eastwood se trompe lourdement en pensant que ce sont les "jeunes" qui se noient dans le politiquement correct
©Warner Bros. France

Petite erreur d'analyse ?

A l'occasion d'une interview donnée à Esquire, le réalisateur Clint Eastwood a dénoncé la "génération mauviette", qu'il estime être le chantre de l'antiracisme et du politiquement correct. Mais cette génération, davantage que de désigner les jeunes d'aujourd'hui, correspond plus à celle de mai 68.

Roland Hureaux

Roland Hureaux

Roland Hureaux a été universitaire, diplomate, membre de plusieurs cabinets ministériels (dont celui de Philippe Séguin), élu local, et plus récemment à la Cour des comptes.

Il est l'auteur de La grande démolition : La France cassée par les réformes ainsi que de L'actualité du Gaullisme, Les hauteurs béantes de l'Europe, Les nouveaux féodaux, Gnose et gnostiques des origines à nos jours.

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Atlantico : Clint Eastwood, dans un entretien accordé au magazine américain Esquire, a annoncé qu'il voterait Trump parce qu'il n'était pas en accord avec la "génération mauviette" ("pussy generation") de son temps. Par ce terme, il désignait la génération de l'antiracisme et du politiquement correct. Si on voit qui "Dirty Harry" visait par ces propos, ne se trompe-t-il pas de génération, en ce que la génération occidentale actuelle s'illustre plus que la précédente par son opposition de plus en plus importante au politiquement correct (si l'on pense à le montée d'un personnage comme Donald Trump, ou celle du Front National, du mouvement Cinq étoiles en Italie ou encore au Brexit) ?

Roland Hureaux : L'expression  "pussy generation" est typiquement américaine. Elle tend à exprimer que la génération en cause  était surtout dévirilisée et antimilitariste. L'expérience  fondamentale avait été pour elle le refus de la guerre du Vietnam : cela a débouché sur Woodstock et "Faites l'amour pas la guerre ! ". Cette expérience a   laissé  de mauvais  souvenirs dans un pays devenu à partir  de  1980  de plus en plus militariste.  Nous avions eu un peu la même chose avec la guerre d'Algérie mais  elle est   aujourd'hui oubliée. Pour nous l'expérience fondamentale a été celle de Mai 68 où  la dimension libertaire était plus importante.

Mais il ne faut pas systématiser : de fait,  la génération de Mai 68, celle qui demeure vigilante sur le politiquement correct a été une des plus agressives de l'histoire des Etats-Unis. Plus le temps a passé, plus ce pays a déclaré de guerres un peu partout au nom des droits de l'homme. Hillary Clinton, qui est un pur produit  de ce que Clint Eastwood appelle la "pussy  génération" a soutenu toutes les guerres des vingt dernières années et nous en promet encore d'autres, ce qui ne l'empêche pas d'être en même temps ultra-féministe et à fond pour l'avortement. Alors que Trump, malgré son côté macho a une vision de la politique internationale beaucoup  plus modérée.  

Pour revenir à  votre question, Clint Eastwood vise une génération qui est la sienne et par rapport à  laquelle il a  vite été en rupture, celle de l'antiracisme, du féminisme, de la prétendue libération sexuelle.

Il ne  faut pas enterrer trop vite cette génération : pour le moment les sondages donnent  Hillary Clinton en tête. Figurez vous que tous les gouvernements occidentaux (à  part la Pologne, la Hongrie et naturellement  la Russie), sont aujourd'hui encore sous l'emprise  de l'état d'esprit que dénonce le réalisateur américain. De même la quasi-totalité des médias occidentaux. Dans les universités américaines vous ne pouvez pratiquement plus enseigner si vous êtes républicain ou défenseur de la famille. Ce n'est qu'au cours des quatre dernières années que, par exemple, le mariage homosexuel s'est généralisé. George Clooney avait exigé d'Obama une promesse formelle de le mettre en place en échange du soutien de Hollywood. Comme la majorité des Etats résistait, il fallait le détour par la France pour aboutir.

Mais  il ne faut pas opposer trop brutalement génération à génération : chacune a sa majorité et sa minorité. La révolte dite populiste est aujourd'hui bien réelle : en France au moins, elle touche les jeunes qui sont prêts à 40 % à voter pour le Front national. Si ce mouvement, qui ressemble à une lame de fond, a déjà forcé le Brexit, il n'a pas encore gagné. Clint Eastwood, d'une certaine manière, comme Donald Trump,  qui n'est pas non plus tout jeune, l'ont anticipée. L'acteur n'avait  aucune raison de prendre à partie la toute dernière génération. 

En quoi le politiquement correct dénoncé par Eastwood est-il justement issu des précédentes générations, dont la sienne ? 

C'est une grande question : pourquoi la génération dont  nous  parlons, celle qui  a suivi la guerre, a été prise, dans tout l'Occident,  de cette frénésie libertaire, antiraciste, féministe etc. ? Les tenants de ce courant disent : c'est dans le sens de l'Histoire et c'était donc à la fois inévitable et irréversible. Irréversible, nous soupçonnons aujourd'hui que non.

Inévitable ? Il y a beaucoup de facteurs qui ont joué pour mettre cette configuration en place: le rejet du puritanisme chrétien aux Etats-Unis et en Europe, le sentiment que les horreurs du nazisme étaient liées aux vieilles mentalités, dont la morale et le sens national, ce qui est discutable; l'évolution technique qui a permis la contraception, mais aussi un enrichissement  considérable lequel a donné à tous l'appétit de jouir et donc rendu obsolètes  les normes ancestrales tendant à contrôler le plaisir au nom de la vertu de "tempérance". La société de consommation exigeait des jouisseurs pour soutenir la demande.

La culpabilité postcoloniale a donné l'antiracisme exacerbé. Mais tout cela  n'était pas automatique. Il a fallu que ces tendances s'organisent   autour d'une idéologie et d'une propagande.

En France, par exemple, le régime de Vichy est certes officiellement condamné en France après la guerre, mais avec mesure jusque vers 1970. Après, il devient le symbole le l'horreur absolue : à la fois pronazi  et moralisant. C'était bien commode de trouver un régime comme cela qui permettait de rejeter du mauvais côté  la morale traditionnelle. Mais cela n'est pas venu tout seul, cela a été l'effet d'une propagande délibérée à partir  de 1970.  Avant et pendant  la guerre, c'est le nazisme qui paraissait aux opinions européennes comme l'incarnation de l'immoralité et de l'audace, dans la lignée de Nietzsche. La preuve : à la Libération, les Allemands et les Italiens se sont jetés dans les bras de la démocratie chrétienne, qui leur paraissait comme l'antithèse  de ce qui les avait dominés  jusque là. D'autre part toute la génération de 1940,  aussi bien collaborateurs que résistants, était toute  plus ou moins  morale : ce sont les assemblées de la Libération et non le régime de Vichy qui ont mis en place la politique familiale française. C'est Guy Mollet, le dernier des socialistes sincères qui instaure  en 1956  l'"allocation de la mère au foyer".

De la même manière, le passé colonial, dont tout le monde  avait toujours   su qu'il avait ses lumières et ses ombres, a été diabolisé de manière unilatérale, non pas au moment de la décolonisation  mais dix ou quinze ans plus tard. Tout comme la condition de la femme d'autrefois réputée, de manière absurde, proche de l'esclavage.

Dans un deuxième temps, les choses  se sont  aggravées, vers 1980,  quand le marxisme a décliné  et que le néolibéralisme a triomphé : il s'est amalgamé avec l'esprit libertaire pour faire les "li-li", libéraux-libertaires autre  nom des "pussy". C'est aussi à ce moment là qu’apparaît la problématique homosexuelle, absente en 1968.

Mais après tout,  ces idées auraient pu dominer sans entraîner l'intolérance haineuse à toute opposition, le monolithisme obligé  de la presse que nous connaissons. Tout cela signe l'idéologie, au sens que nous donnions à ce mot quand il s'agissait du marxisme.  Mais, au moins en Occident,  le marxisme s'était tenu aux marges intellectuelles et ouvrières de la société, alors que l'idéologie politiquement correcte est ,elle, passée au centre : elle est venue  en appui des  forces  économiques dominantes du monde, ce qui renforce terriblement le pouvoir de ces forces.

Ajoutons que le capitalisme mondialisé craint comme la peste la reconstitution de barrières nationales quelles qu'elles soient: en diabolisant toute forme d'esprit national , abusivement   identifié au nazisme, et tout ce qui pourrait aller  avec comme un certain attachement  aux traditions,  il se prémunissait de tout retour aux nations. Un homme qui fait l'amour à une femme est  aujourd'hui qualifié dans certains milieux  d'"hétérofasciste". D'autre part l'antiracisme, l'idéologie du genre ou l'effacement de la mémoire nationale font perdre aux gens leurs repères : des individus sans identité, sans repères et fongibles, cela aussi convient au capitalisme mondialisé. Ce sont de grands capitalistes qui financent aujourd'hui les Femens ou No Borders.

Quant à  la bourgeoisie, qui avait toujours  dominé sans se référer à  une idéologie organisée ,   avec quelques idées générales et   de bon sens dans le genre de celles qu'avaient les   notables  du XIXe siècle, elle laisse sa place,  à  partir des années 1980, à une nouvelle bourgeoisie dite "bobo" qui est , elle,   idéologue, et qui  met au service des riches les idéologies  de 1968 . D'où le climat d'oppression qui en résulte, une oppression qui    est aujourd'hui rejetée, d'abord  dans le peuple.  Il se peut que cette oppression ait aujourd'hui fait son temps. 

Comment un acteur tel que lui, qui n'a jamais caché son conservatisme et son opposition au milieu progressiste d'Hollywood a-t-il pu avoir la carrière qu'on connait ? Et ce en produisant des films en accord avec ces idées, sans pour autant être condamné (on pense à Gran Torino) ?

C'est une vraie question D'autant que Hollywood est le temple de l'état d'esprit politiquement  correct : il suffit de regarder les feuilletons américains pour voir comment ils répandent la "bonne pensée" de manière insidieuse.

Mais le système de Hollywood a une logique ultime, qui n'est pas  l'idéologie mais le souci de gagner de l'argent. Or avec son immense talent, Clint Eastwood pouvait passer outre les censures. On peut en dire autant de Mel Gibson, au moins aussi conservateur.

Est-ce un hasard qu'ils soient tous les deux acteurs-réalisateurs et aient pu ainsi gagner les faveurs du public comme acteurs avant de trop  se marquer sur la plan idéologique ?   Je crois qu'ils sont aussi devenus leurs propres producteurs  ce qui facilite les choses. Mais ça ne suffit pas : il faut passer le barrage de la distribution, devenue elle aussi très idéologique, ce qui est possible quand les recettes sont au rendez-vous. 

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