Fusillade aux USA : pour le bonheur du business ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Des armes à feu sont exposées lors de la convention annuelle de la National Rifle Association (NRA) le 28 mai 2022 à Houston au Texas.
Des armes à feu sont exposées lors de la convention annuelle de la National Rifle Association (NRA) le 28 mai 2022 à Houston au Texas.
©BRANDON BELL / GETTY IMAGES AMÉRIQUE DU NORD / GETTY IMAGES VIA AFP

Les entrepreneurs parlent aux Français

La fusillade perpétrée dans une école à Uvalde au Texas (21 morts dont 19 enfants) remet une fois de plus le débat sur les armes à feu au premier plan aux Etats-Unis.

Denis Jacquet

Denis Jacquet

Denis Jacquet est fondateur du Day One Movement. Il a publié Covid: le début de la peur, la fin d'une démocratie aux éditions Eyrolles.  

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Des enfants sont encore morts. Des vies innocentes, qui n’auront jamais l’occasion de savoir de quoi leur avenir sera fait, fauchés en plein cours par un désaxé, que la loi américaine a autorisé à détenir un outil de mort, une arme aussi facile à obtenir qu’un innocent jouet de Noël. 19 familles viennent ainsi de rejoindre le cortège macabre de ces centaines d’enfants morts, coupables de ne pas être à l’épreuve des balles, ce que la loi devrait permettre de leur garantir. Ils étaient venus pour étudier, ce restera leur dernier souvenir de ce monde, immortalisé dans le présent, eux qui rêvaient à un futur.  

La raison de cette permanente tragédie macabre reste une honte pour l’entrepreneur que je suis. Pourquoi ? Parce que ces enfants sont morts pour que d’autres puissent vivre de leur calvaire, pour que des commerçants, industriels, puissent continuer à verser des dividendes à leurs actionnaires, des salaires à leurs dirigeants et employés, des taxes à la société et surtout, de l’argent aux campagnes électorales !

Au final, la mort potentielle, est le bout de la chaîne d’une entreprise commerciale, pour lequel l’argent l’emporte sur des dommages dits collatéraux. Je ne pourrais me regarder, ni dans la glace, ni dans aucun miroir du monde si je participais un tant soit peu à ce type de business, mais malheureusement ce niveau de conscience est inexistant dans cette industrie où tout le monde est coupable.

Petit bréviaire des bonnes et mauvaises raisons derrière ce carnage Texan, pêle-mêle, je m’en excuse :

Trump, lors du congrès de la NRA qui se tenait au même moment, remet au centre du jeu « intellectuel et stratégique » la maxime qui a soutenu la politique militaire nucléaire mondiale pendant des années depuis la guerre froide. Si tout le monde est armé, plus personne n’est armé. Si tu tires, je tire. Donc personne ne tire. La dissuasion. L’autoprotection par l’excès de peur partagée. Seul vainqueur, une fois de plus, l’industrie de l’armement. Il y a donc un « principe » derrière cette liberté d’accès à l’arme à feu, et ce principe a bien fonctionné, assez longtemps, jusqu’à ce que des « cinglés » comme l’Iran aient pu y accéder. On est alors rentré dans une philosophie inverse, celle du « plus personne n’est armé, afin que personne ne puisse plus tirer ». C’est ainsi que l’on commença à réduire l’armement de façon proportionnelle de chaque côté. Les évènements récents en Ukraine, ont mis officiellement fin à cette tendance. Vainqueur ? L’industrie de l’armement.

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La raison est aussi culturelle. Dans nombre d’Etats, pas les plus riches, ni les plus éduqués, mais c’est un autre problème, offrir une arme fait partie d’un parcours de vie naturel et ancestral. On tire de père, mère, en fils et filles. C’est naturel. On commence par la chasse, oui. On tire des cibles le dimanche en famille, oui. Le fait, plus récemment, de sentir le besoin de se « protéger » de ces « étrangers », qui menacent l’image qu’ils se font d’une Amérique blanche. Pas pire ni mieux qu’en Europe, où les mouvements néo-nazis ou islamistes ne font rien d’autre. La race blanche ou le fondamentalisme musulman, qui souhaite se débarrasser, chez nous (c’est « l’originalité »), des « mécréants » dont la religion a fait la cible. Donc cessons de pointer du doigt ces « débiles armés américains », ces « red-necks », nous avons les mêmes à la maison. Difficile de changer une culture, dans des régions désertées par les services publiques, la police, et qui même dotés d’une Loi, continueraient à offrir leur première arme à leurs enfants à l’âge de 15 ans (parfois avant), comme on offre une gourmette, ou une rolex, chez les uns ou les autres. Là encore, le vainqueur de cette culture, qu’elle entretient, est encore l’industrie de l’armement.

La raison est aussi à trouver dans la violence du quotidien de certaines villes. C’est là où il devient plus difficile de refuser à chacun le droit de se défendre. Se défendre contre une agression quotidienne, une torture du quotidien, une balle perdue ou intentionnée, au quotidien. Qui suis-je, moi qui vis dans un environnement privilégié, pour refuser à ceux qui ont déjà peu, de ne pas se faire voler le peu qu’ils possèdent, perdre leur vie ou celles de leurs enfants ? Laisser les gens se défendre est légitime, car on ne peut pas mettre un policier dans chaque maison, dans chaque appartement. En alimentant ainsi, une fois de plus l’industrie de l’armement. Comme au Casino, elle gagne toujours !

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L’interdiction n’est donc pas la solution. En France, où l’on ne peut acheter une arme comme on achète un smartphone, où l’on trouve rarement une arme dans la hotte du père noël, nous pouvons comptabiliser aussi sûrement qu’aux USA, la longue liste de morts innocents, soit parce qu’ils étaient Juifs, à l’école, (remember Toulouse ?), à l’hyper-Kacher, ou simplement non musulmans, au Bataclan. On n’arrête pas le sable entre les doigts. On voit bien en France, que les seuls gagnants du surplus imbécile de radars sur les routes, de points volés sur le permis, c’est l’État, et leurs fournisseurs, et non notre sécurité, qui ne s’est pas renforcée pour autant. Celui ou celle qui veut tuer trouvera toujours une voie. Les USA, c’est plus de 5 fois la France, il y a forcément plus de 5 fois le nombre de victimes et d’attentats. Mais avec une facilité en plus.

Les USA sont aussi le pays du paradoxe. Pas de femmes top-less sur les plages, mais des voilages légers qui couvrent pudiquement toutes les parties d’un corps dénudé, dans les rues de Miami ou de LA, et cela ne pose aucun problème. On ne peut pas boire d’alcool avant 21 ans, mais on peut avoir une arme de « destruction massive » à partir de 18. Le lobby de l’alcool n’a pas la puissance de celui de l’armement. Et surtout, et ce sera ma dernière remarque, le lobby de l’alcool n’a pas les moyens (ni l’ambition heureusement) de financer les campagnes de tous les candidats au Congrès ou à la Présidence. Et c’est là qu’est le problème le plus grave. Sans l’argent sale de l’armement, les candidats ne sont plus « armés » pour gagner les élections et en deviennent esclaves, dépendants au mieux.

Obama a commis une erreur fondamentale, celle de battre les records de levée de fonds pour une campagne présidentielle qui autrement, n’était pas gagnée d’avance. Avec un bilan pour le moins mitigé, il avait besoin de faire de la pub, massivement, et a battu des records jamais égalés depuis. Plusieurs milliards de dollars pour financer sa campagne. La barre fut désormais placée très haut, et tous ceux qui veulent être élus doivent lever de l’argent, beaucoup d’argent. C’est là que l’armement vient financer tous les candidats prêts à jurer allégeance en contrepartie, Démocrates inclus, contrairement à ce qu’une certaine presse tente de faire croire. Il n’y a pas de gentils Démocrates et de méchants Républicains. La ligne grise vient largement mordre sur la frontière qui sépare les 2 partis. Le reste est de la posture politique. Même majoritaires au Congrès, les Démocrates n’ont jamais réformé lourdement les régulations sur la possession des armes.

Elle est pourtant simple à faire. Élever l’âge à partir duquel on puisse acheter une arme. Accroître le « background check », qui permettrait d’exclure de l’achat facile, tout une série de « débiles » qui ne devrait jamais pouvoir y accéder. Ce serait déjà un excellent premier pas. Il faut réduire autant que faire se peut, les mauvaises statistiques, celles qui sont le fait des fous impulsifs, du quotidien, car nous ne pourrons jamais toucher les autres, ceux qui passent par des circuits parallèles pour se les procurer et contre lesquels la loi ne peut rien.

Pendant ce temps, les dividendes de la mort tombent, pour les vendeurs d’armes, pour qui la honte n’est pas d’actualité, et pour la NRA, une machine de guerre d’une puissance inégalable, résistante à tout, y compris aux images de corps d’enfants criblés de balles. Ils y voient une raison d’acheter plus d’armes. Je vais donc continuer, comme tout parent d’un enfant jeune scolarisé, continuer à me demander si laisser ma fille aller à l’école chaque matin, est une erreur que je regretterai toute ma vie. Une question que personne ne devrait avoir à se poser.

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