Fukushima, 5 ans après : comment l’accident nucléaire de 2011 a traumatisé le Japon au point de menacer son indépendance énergétique<!-- --> | Atlantico.fr
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Cinq ans après la catastrophe, masque et combinaison de protection sont toujours de rigueur à Fukushima (Japon).
Cinq ans après la catastrophe, masque et combinaison de protection sont toujours de rigueur à Fukushima (Japon).
©Reuters

Répliques du séisme

Cinq après l'accident nucléaire de Fukushima, le plus meurtrier après Tchernobyl, le Japon entame lentement sa reprise du nucléaire... Ce qui effraie beaucoup sa population. Malgré une volonté politique indéniable, la production nucléaire reste encore marginale, bloquée par des facteurs humains et juridiques. Elle demeure nécessaire pour permettre l'indépendance énergétique du pays.

Stephan Silvestre

Stephan Silvestre

Stephan Silvestre est ingénieur en optique physique et docteur en sciences économiques. Il est professeur à la Paris School of Business, membre de la chaire des risques énergétiques.

Il est le co-auteur de Perspectives énergétiques (2013, Ellipses) et de Gaz naturel : la nouvelle donne ?(2016, PUF).

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Atlantico : Ce vendredi 11 mars 2016 marque le cinquième anniversaire du tragique accident de Fukushima, suite au séisme et au tsunami qui ont violemment frappé le Japon. Le pays avait alors pris la décision de fermer progressivement ses centrales, mais ce jeudi 10 mars, le Premier ministre s'est exprimé en faveur du nucléaire. En quoi cet accident a-t-il changé le Japon ?

Stephan Silvestre : Pour être exact, le Japon, c’est-à-dire le gouvernement japonais, n’a pas décidé l’arrêt des centrales à proprement parler, ne disposant pas de cette prérogative. La plupart des centrales ont continué de fonctionner jusqu’aux dates de leur arrêt pour maintenance. Or, après ces arrêts, les centrales doivent obtenir une autorisation préfectorale pour pouvoir redémarrer et ce sont ces préfectures qui ont bloqué et bloquent toujours ces autorisations. Leurs gouverneurs sont élus au suffrage universel direct et suivent la volonté de leurs électeurs et non celle du Gouvernement. En mars 2011, le Premier ministre socio-démocrate Naoto Kan s’était prononcé contre l’électronucléaire, mais ni lui, ni son successeur Yoshihido Noda n’ont pu obtenir l’arrêt du programme nucléaire nippon. Noda aura toutefois réussi à remplacer l’agence de sûreté nucléaire en place (la NISA), dont les décisions dans l’affaire TEPCO ont été très critiquées, par une nouvelle agence, la NRA, beaucoup plus indépendante. Celle-ci a, depuis, donné son feu vert à la remise en route des 43 réacteurs encore en activité, après la mise en œuvre des travaux de sécurisation requis. Néanmoins, seuls 3 réacteurs ont pu obtenir l’accord préfectoral indispensable pour redémarrer. Deux autres réacteurs, Takama 3 et 4, ont, eux, obtenu l’accord du gouverneur, mais celui-ci a été suspendu sur décision de Justice après un recours déposé par des opposants. On voit donc que, en dépit de la volonté des industriels et du Gouvernement, le redémarrage des réacteurs reste extrêmement freiné par les réticences populaires.

En se prononçant en faveur du nucléaire, le Premier ministre Shinzo Abe a notamment souligné la pauvreté du Japon en termes de ressources énergétiques. Quelles sont les raisons politiques et géopolitiques qui poussent le Gouvernement à se tourner de nouveau vers le nucléaire, en dépit des difficultés juridiques et des dégâts humains causés par l'accident de 2011 ?

Depuis qu’il a succédé à Noda en décembre 2012, l’actuel Premier ministre Shinzo Abe s’est toujours prononcé clairement pour la reprise du programme électronucléaire. Outre le fait qu’il s’agisse là d’une position traditionnelle du Parti Libéral Démocrate, il existe plusieurs arguments de poids à cette orientation. Sur le plan économique, il s’agit bien sûr de limiter l’impact négatif de la facture énergétique sur la balance commerciale japonaise. Pour produire son électricité, le Japon a dû avoir massivement recours à du gaz naturel liquéfié, importé par bateaux à un prix très élevé (quoi que celui-ci ait beaucoup baissé ces derniers mois avec la chute des prix du gaz et du pétrole). Sur le plan politique, le Gouvernement tient à réduire au maximum sa dépendance énergétique envers des pays qui ne sont pas toujours très fiables dans la durée. À cela s’ajoute de nouvelles préoccupations environnementales, le Japon s’étant engagé, comme les autres pays développés, à réduire ses émissions de gaz à effet de serre. L’électronucléaire constitue donc, pour ce pays où l’espace est rare, une solution idéale : la production est nationale, la technologie parfaitement maîtrisée par les industriels nippons, l’emprise au sol minime et les émissions de CO2 presque nulles. Le Gouvernement s’efforce donc de faire de la pédagogie sur cette question.

Si la production nucléaire reste aujourd'hui fondamentalement marginale et bien en-deçà de la capacité installée, peut-on s'attendre à ce que peu à peu, l'industrie nucléaire perde son aspect effrayant et redémarre lentement mais sûrement ? Quelles traces ont laissé les mensonges de cette industrie en 2011 dans l'esprit des Japonais ?

Ces traces laissées sur la population sont indélébiles. Il faut mesurer l’impact psychologique de cet accident sur un peuple déjà meurtri par le drame d’Hiroshima et Nagasaki. Néanmoins, moyennant les importants efforts de sécurisation des équipements qui ont été menés, d’autres centrales seront encore remises en service. Mais il est très improbable que les 40 réacteurs en attente de redémarrage soient tous remis en service. Le Gouvernement souhaite remonter la part du nucléaire à 20% de la production d’ici 2030, ce qui représenterait une vingtaine de réacteurs.

L'Allemagne subit encore les conséquences du choix qu'elle a fait de fermer ses propres centrales suite à l'accident de Fukushima. Elle peine à financer ces fermetures autant qu'à produire autrement l'électricité dont elle a besoin. Que doivent en déduire tous les pays qui envisagent de mettre un terme au nucléaire ?

Après la décision politique forte d’Angela Merkel de mettre un terme au programme électronucléaire allemand, notre voisin vit maintenant la difficulté opérationnelle et financière d’atteindre cet objectif. L’Allemagne a, certes, fermé la majorité de ses centrales, mais à quel prix ? Son électricité coûte aux ménages le double de l’électricité française et émet sept fois plus de CO2 par kWh. Elle se trouve donc face à un choix cornélien : soit continuer à promouvoir les énergies renouvelables pour tenter de diminuer ses émissions, ce qui continuera de faire flamber les prix, soit maintenir les prix en conservant ses centrales à charbon. Par ailleurs, le Gouvernement ne sait pas comment financer la fermeture des neuf centrales nucléaires encore en activité : les deux grands opérateurs, E.ON et RWE, sont exsangues et n’ont plus les capacités financières pour mener ces fermetures, alors même que le montant de leurs indemnités pour la fermeture des centrales les plus anciennes n’a toujours pas été fixé. Il faudra encore bien des années avant de tirer un bilan de l’expérience allemande, tant sur le plan technique que financier.

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