François Hollande, le Président Néo : après le virage néo-libéral, le virage néo-conservateur… Mais aura-t-il la rage des convertis ?<!-- --> | Atlantico.fr
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François Hollande a pris un virage néo conservateur.
François Hollande a pris un virage néo conservateur.
©Reuters

Tout beau tout neuf

En déployant son énergie pour une coalition internationale dirigée par la France, le président de la République s'inscrit dans la tradition gaulliste d'indépendance et de grandeur nationale. Une ambition qui, comme celle du CICE initialement libérale, se trouve diluée - bien rapidement - par la réalité.

Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Atlantico : Après un virage néo-libéral entamé lors de ses vœux pour l'année 2014, avec l'annonce de la mise en place d'une politique de l'offre, François Hollande a-t-il entamé un tournant en matière de sécurité intérieure en réaction aux attentats du 13 Novembre 2015 à Paris ?

Vincent Tournier : Il y a incontestablement une inflexion très importante, mais il faut quand même rappeler que la sécurité n’était pas totalement absente du projet présidentiel de François Hollande. Certes, son programme de 2012 n’était pas de nature sécuritaire. Mais dans son discours du Bourget du 22 janvier 2012, celui-ci déclarait malgré tout que "l’insécurité est une injustice sociale intolérable" et que "la sécurité est un droit". François Hollande disait même vouloir lutter tout autant contre la délinquance financière que contre le "petit caïd avec sa bande qui met une cité en coupe réglée et fait vivre à ses habitants un enfer". C’est aussi dans ce discours qu’il annonçait la création des zones de sécurité prioritaire, ce qui a été fait.

Cette évolution n’est pas propre à François Hollande. En réalité, cela fait quelque temps que la gauche s’est convertie car elle s’est heurtée à un principe de réalité, à savoir que les électeurs des milieux populaires sont massivement confrontés aux incivilités et à la délinquance. En même temps, la question de la sécurité reste difficile pour la gauche car une grande partie de son électorat est de sensibilité libertaire, multiculturaliste et anti-répression. Il faut donc trouver un équilibre entre des tendances aussi contradictoires que celles qui sont incarnées par Manuel Valls et Christiane Taubira.

Cet équilibre a déjà été sérieusement ébranlé par les attentats de janvier. On a pu voir que des promesses emblématiques de 2012 ont été discrètement enterrées, comme le droit de vote des étrangers ou le récépissé pour les policiers. Même les projets de Christiane Taubira sur les prisons sont mis en sourdine. Les attentats de l’année 2015 amplifient les choses, au point de poser la question du maintien de Christiane Taubira au gouvernement. De toute évidence, on est maintenant entré dans une autre époque. La gauche a entériné des propositions qu’elle méprisait souverainement auparavant, comme l’armement des polices municipales ou la légitime défense des policiers, sans parler de la déchéance de nationalité pour les personnes nées en France, ce que même le FN n’avait pas osé proposer.

François Hollande est même qualifié de néo-conservateur. Cette catégorie vous semble-t-elle juste si l'on s'en réfère à son action ?

Il y a effectivement un parallèle possible. Ce que l’on a appelé le néo-conservatisme aux Etats-Unis, c’est un courant de pensée qui vient de la gauche, du parti démocrate. Ce sont des personnalités qui ont fait leur apprentissage politique au moment des guerres de décolonisation et de l’engagement américain au Vietnam, qui ont été des militants pacifistes, des partisans du relativisme culturel, avant de réaliser que ce relativisme culturel tournait le dos aux valeurs humanistes universelles, ce qui les a conduit à rompre avec le pacifisme et à prôner le recours aux interventions militaires.

Une partie de la gauche française suit aujourd’hui le même chemin. Cette évolution est mal vue par la gauche traditionnelle mais elle est assez logique si l’on se place du point de vue des principes universels. Le contexte géopolitique actuel lui donne un nouveau souffle car elle conforte les désillusions, notamment à cause de la faillite des Etats issus de la décolonisation. La gauche découvre que, contrairement à ce qu’elle diagnostiquait, l’émancipation des peuples ne s’est pas réalisée, ce qui l’oblige à admettre que cette émancipation ne résulte pas nécessairement d’un processus endogène. Des régions entières s’enfoncent dans l’obscurantisme et le fanatisme. On voit revenir des pratiques barbares que l’on croyait en voie de disparition comme l’esclavage, la piraterie, la violence de masse. C’est ce qu’avait d’ailleurs diagnostiqué Thérèse Delpech, qui avait écrit en 2007 un livre au titre annonciateur : L’ensauvagement. Le retour de la barbarie au XXIème siècle.

Face à cette nouvelle réalité, la gauche actuelle est obligée de revoir son logiciel. Elle se retrouve un peu dans la même position que la gauche du XIXème siècle, qui avait justifié la colonisation par la nécessité de lutter contre la barbarie et l’esclavage. Aujourd’hui, la question d’une "recolonisation" de l’Afrique risque fort de se poser, ce qui est déjà un peu le cas étant donné la multiplication des interventions militaires françaises. C’est un dossier sensible car il risque de fragiliser encore plus l’intégration européenne, les Etats membres n’ayant pas les mêmes positions ni les mêmes intérêts.

Selon-vous, François Hollande concrétise-t-il ses véritables convictions en matière de sécurité, ou s'agit-il d'un tournant qui répond à une situation bien précise ?

Il est toujours difficile de dire ce qui, chez un responsable politique, relève des convictions personnelles et ce qui relève de la posture électorale. Dans le cas présent, on peut surtout penser que la gauche gouvernementale a conscience des problèmes mais qu’elle rencontre des difficultés pour agir. Toute proportion gardée, la situation actuelle est assez comparable à celle des Etats-Unis au moment de l’attaque japonaise de Pearl Harbor. Avant décembre 1941, le président Roosevelt savait que la guerre était nécessaire, mais il ne pouvait rien faire à cause d’une opinion profondément réticente. Il a donc fallu le drame de Pearl Harbor pour engager le combat. Par certains côtés, les attentats du 13 novembre sont un peu notre Pearl Harbor. Avant ces attentats, beaucoup de monde savait très bien, et pas seulement chez les policiers, que la situation dans les banlieues s’est fortement dégradée. On en a eu confirmation récemment puisque chacun a pu voir que, pour mener une opération anti-terroriste à Saint-Denis, il a fallu déployer l’armée. Cette prise de conscience existe aussi au sommet de l’Etat, mais le problème est qu’il est très difficile d’agir : non seulement une partie de l’opinion ignore ou ne veut pas voir ce qui se passe, mais de plus, les contraintes juridiques sont devenues tellement fortes qu’elles paralysent l’action des forces de l’ordre. La preuve : le gouvernement français vient d’écrire au Conseil de l’Europe pour lui indiquer que, dans le cadre de l’état d’urgence, il gelait la Convention européenne des droits de l’homme. Autrement dit, la France annonce officiellement qu’elle ne peut pas respecter les droits de l’homme si elle veut être efficace, ce qui est une manière d’avouer que les droits de l’homme sont un problème. A ce titre, les attentats ouvrent une sorte de fenêtre d’opportunité : ils fournissent, c’est triste à dire, une occasion pour faire le ménage. Par exemple, il devient désormais possible de lancer des perquisitions administratives dans les endroits où il n’était pas possible d’aller faute de preuve suffisante. On peut penser que les forces de l’ordre vont essayer de tirer parti de cette situation pour solder un certain nombre de dossiers, démanteler des réseaux, expulser certaines personnes.

Les électeurs de gauche plébiscitent aujourd'hui l’action de François Hollande, à la fois sur sa ligne sécuritaire post-attentat, mais aussi sur sa ligne libérale (en témoigne la motion A adoptée par le congrès du PS cette année). Cette adhésion à l'exécutif peut-elle tenir sur la durée ? Ou une fronde sur les questions de sécurité pourrait-elle voir le jour ?

Sur l’économie, tout va dépendre de l’évolution de la situation : va-t-elle se dégrader ou pas ? Cela dit, même si la situation se dégrade, il n’est pas certain que cela change les choses car le problème est qu’il n’existe pas de projet alternatif crédible. Quelle peut être l’alternative dans une économie mondialisée, où les contraintes sont très fortes ? On peut craindre que seule une crise profonde soit susceptible de remettre en question les grandes orientations de politiques économiques.

Sur les questions de sécurité, tout va dépendre de deux points. Le premier est évidemment la suite de la vague d’attentats car, si les attentats se poursuivent, ce qui est malheureusement très probable, la ligne sécuritaire rencontrera de moins en moins d’opposants.

Le second concerne les mesures d’accompagnement. Pour l’instant, le gouvernement a totalement écarté les réponses sociales, alors que celles-ci étaient au centre du programme de François Hollande en 2012. Cela signifie que, pour l’heure, l’idée d’un traitement social de la crise est complètement exclue, ce qui en dit sans doute long sur le ressentiment de la population à l’égard des banlieues. La seule personnalité qui a posé le débat sur le terrain social est Emmanuel Macron, mais il l’a fait en se situant sur le terrain libéral, en plaidant pour une économie plus ouverte, une économie qui donne plus d’opportunité aux personnes issues de l’immigration. C’est une réponse possible, mais il n’est pas sûr qu’elle reçoive l’assentiment de la gauche française. 

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