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François Hollande face à des "vrais Français" sur France 2 ou le dialogue citoyen qui traduisait surtout l'énorme crise de représentativité de la démocratie française
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Télé-irréalité

Ce jeudi 14 avril, le Président de la République a rendez-vous sur France 2 où il devrait tenter d'ouvrir une nouvelle séquence électorale en vue de 2017. A en croire le Canard Enchaîné, le casting de l'émission Dialogues Citoyens a été très nettement allégé, notamment en raison de la "trouille bleue" de l'Elysée.

Raul Magni-Berton

Raul Magni-Berton

Raul Magni-Berton est actuellement professeur à l'Université catholique de Lille. Il est également auteur de notes et rapports pour le think-tank GénérationLibre.

 

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Atlantico : Dans l'émission à laquelle il participe ce jeudi 14 avril, Dialogues Citoyens, François Hollande devra répondre aux questions de quatre "simples citoyens". A quel point ce type de rencontre est-elle "scénarisée" ? 

Raul Magni-Berton : Je n'ai aucune information claire sur la façon dont les "simples citoyens" sont choisis. Mais il s'agit d'une formule en vogue depuis quelques années, qui répond à une demande électorale anti-élite, de plus en plus méfiante face à des émissions où des élites posent des questions aux élites. Mais bien évidemment, la formule "citoyenne" produit méfiance, parce que plus on choisit des intervenants dans une population large, et plus la question du choix des intervenants se pose. 

Ce dilemme existe dans toutes les entreprises médiatiques. Ce même entretien que nous faisons oppose un journaliste et un professeur universitaire. Cela produit une rencontre entre "spécialistes de la parole". Mais si vous deviez poser les mêmes questions à un "citoyen" pris au hasard, comment feriez-vous votre choix ?

C'est une bonne question ! Les journalistes eux-mêmes sont-ils représentatifs de la société française ? Leurs questions ne sont-elles pas parfois très éloignées de celles que le simple citoyen se pose ? Pourquoi ? 

Il y a deux aspects dans votre question. La première concerne le fait que la qualité de la presse est déclinante. Avec internet, les journaux se vendent de moins en moins et, par conséquent, ont de moins en moins d'argent. La télévision suit un chemin plus lent, mais similaire. Cela entraine deux problèmes : premièrement, les ressources des médias pour faire du journalisme approfondi, avec un accès direct aux sources, diminuent : souvent il faut se contenter de transmettre des informations de deuxième main, donc issues d'autres journaux ou de communications publiques ou privées. Deuxièmement, sans l'argent des lecteurs, il faut prendre des ressources ailleurs, de l'Etat ou des entreprises. Il va de soi que si on est dépendant des ressources d'un grand groupe, il est plus difficile de rester indépendant. Cette tendance est un cercle vicieux, puisque la qualité baissant, de plus en plus de gens vont chercher les informations ailleurs. 

Il y a un deuxième aspect de votre question : l'éloignement des journalistes des "simples citoyens". A vrai dire, je ne sais pas qui sont les "simples citoyens" : il y a des citoyens différents, qui se posent des questions différentes, et les journalistes font partie de ces citoyens. Ce que je peux dire est que cette impression de ne pas être représenté dans les médias vient de ce que j'ai dit plus haut : un journal ou une chaine télé aujourd'hui nes sont pas tant motivés par la conquête de lecteurs ou d'audimat que par la nécessité de plaire à ses financeurs. D’où l'impression du consommateur que les médias ne s'occupent pas de ses préoccupations. 

Alors que deux invités auraient été écartés, et qu'on se souvient du couac provoqué par le casting d'une militante identitaire sur le plateau de Des Paroles Et Des Actes, la représentativité des "citoyens" invités sur ces plateaux n'est-elle pas elle-même douteuse ? 

Oui, comme je l'ai dit plus haut. Mais le problème est plutôt le suivant : lorsqu'on choisit quatre citoyens, il faut forcément en écarter d'autres. Ceux qui sont écartés ont eux-mêmes des ressources médiatiques plus ou moins grandes. Un syndicaliste pourra plus facilement protester d'avoir été écarté qu'un individu isolé. Par conséquent, si l'émission ne veut pas de problèmes, elle doit écarter les individus isolés ou non organisés, ce qui signifie qu'elle ne sera pas représentative. 

Bref : un panel de quatre citoyens n'est jamais représentatif. Un échantillon représentatif de la population doit inclure au moins mille personnes, ce qui nécessiterait une émission plutôt longue ! 

Finalement, que dit une telle mise en scène télévisée de la rencontre entre un décideur politique et des citoyens de l'état de notre démocratie représentative ? En quoi est-ce un symbole de la crise que celle-ci travers actuellement ?

Il y a une forte demande de démocratie. Pour le moment, les réponses à cette demande restent de l'ordre du symbolique, comme c'est le cas de cette émission. Cela se limite à "donner la parole aux citoyens", sans que les citoyens aient un quelque pouvoir de décision supplémentaire. Des réformes réellement démocratiques, comme le référendum d'initiative populaire, voire un sénat tiré au sort, ont un réel écho dans une grande partie de la population. Mais, évidemment, ne l'ont pas chez la grosse majorité des élus.

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