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François Hollande en Arabie Saoudite : l'alliance avec les familles régnantes du Golfe est-il vraiment le meilleur calcul diplomatique pour la France ?
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Mauvaise stratégie

François Hollande se rend ce dimanche 29 décembre en Arabie saoudite. Si le vide laissé dans cette région par les Etats-Unis représente une opportunité historique pour la France, une alliance avec les monarchies du Golfe pourrait aussi lui coûter cher tant du point de vue diplomatique qu'industriel.

Ardavan Amir-Aslani

Ardavan Amir-Aslani

Ardavan Amir-Aslani est avocat et essayiste, spécialiste du Moyen-Orient. Il tient par ailleurs un blog www.amir-aslani.com, et alimente régulièrement son compte Twitter: @a_amir_aslani.

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Ce dimanche 29 décembre, le président de la République française se rendra en visite d’Etat en Arabie Saoudite. Cette visite intervient à un moment où des mouvements tectoniques sont en train de secouer le Moyen-Orient. Ces mouvements vont durablement modifier les alliances au pourtour du golfe persique. Les blocs sont appelés à se reformer et se recomposent déjà. Le retour graduel de l’Iran dans le concert des nations, suite à la signature de l’accord intérimaire sur le nucléaire et le refus des Etats-Unis de frapper la Syrie, suite au franchissement de la "ligne rouge" que constituait l’usage des armes chimiques attribuées aux forces du président Assad, inquiètent les pétromonarchies du golfe persique. Ces pays, qui pendant les 35 dernières années s’étaient habitués à être les seuls récipiendaires de l’attention de Washington, sont convaincus qu’en dépit des déclarations rassurantes en provenance de la Maison Blanche, les Etats-Unis vont s’aligner, et ce dans un délai assez court, sur l’Iran et de manière générale sur les pays chiites riverains du nord du golfe persique, l’Iran mais aussi l’Iraq.

L’indépendance énergétique américaine à horizon 2017 et le "pivot" sur l’Asie proclamés par le président Obama vont effectivement laisser un vide dans la région. Les Etats-Unis vont en effet cesser, dans un premier temps, de considérer les pétromonarchies arabes comme des fournisseurs énergétiques indispensables, pour les voir dans un second temps, comme des concurrents, quand l’Amérique deviendra elle-même exportatrice d’énergie, à horizon 2020. Ce désintéressement graduel mais affiché des Etats-Unis représente une opportunité historique pour la France ; celle de redorer sa présence dans la région en essayant de devenir un acteur crédible. Cependant acteur crédible ne signifie pas acteur partisan. La France n’a ni les moyens ni les finances nécessaires pour remplacer les Etats-Unis au Moyen-Orient. En effet, les neuf Rafales, en temps de crise, de la base française d’Abu Dhabi, ne peuvent remplacer les 350 F16 américains. Mais la France peut occuper le rôle d’un "honest broker", d’un intervenant neutre et de bonne foi dans les crises régionales.
Or, le déplacement de François Hollande, placé fermement sous le signe de signatures de contrats d’armements, fait partir la France sur de mauvaises bases ; des bases belliqueuses. En effet, si ces contrats se concrétisent, et rien n’est moins sûr, ce sera pour récompenser la France sur sa position farouchement anti-iranienne, telle que démontrée lors des récentes négociations sur le nucléaire iranien à Genève et les prises de positions de Paris en faveur des rebelles islamistes en Syrie. Il n’aura, en effet, échappé à personne que le principal financier des mouvements islamistes en Syrie n’est que l’Arabie Saoudite qui se sent investie de la mission de renverser le pouvoir d’Assad et de combattre ce qu’elle perçoit comme l’arc chiite allant de Téhéran à Damas jusqu’au Liban. La répression de la révolution populaire par la majorité chiite au Bahreïn par l’armée saoudienne appelée en renfort participe de la même logique.
Or, le monde a changé en un laps de temps très court. Les Etats-Unis et le Royaume-Uni ont arrêté la livraison d’armes aux rebelles de l’Armée Syrienne Libre depuis que la base de cette dernière a été prise d’assaut par les islamistes. Même la Turquie, opposant de la première heure d’Assad, a commencé à revoir sa copie en mitraillant de son propre territoire ces mêmes islamistes et en invitant le Président iranien en visite d’Etat à Ankara. D’ailleurs, une rupture radicale s’est opérée entre la Turquie et les pétromonarchies du golfe persique depuis le coup d’Etat financé par les saoudiens contre l’administration Morsi, issue de la même famille de Frères musulmans que l’AKP turc. Ce qui a d’ailleurs amené le Caire et Ankara à déclarer persona non grata leurs ambassadeurs accrédités respectifs. Ainsi, une prise de position française, aussi tranchée en faveur de l’Arabie Saoudite risque de mettre à mal Paris vis-à-vis de l’Iran émergeant et d’une Turquie en pleine recomposition stratégique.
Ce déplacement de François Hollande avec les présidents des groupes de CAC 40 dans ses bagages est d’ailleurs représentatif de la tragédie industrielle française.
En effet, la France est à l’avant-garde dans un certain nombre de domaine d’haute importance stratégique pour les deux grands marchés émergeants que sont le Brésil et l’Inde. Ces domaines sont notamment le nucléaire civil avec Areva, le transport ferroviaire à grande vitesse avec Alsthom, l’exploration et l’exploitation d’hydrocarbures avec Total. Or, toutes ces entreprises ont subi des échecs majeurs éminemment symboliques dans des marchés étrangers. Prenons le cas d’Areva qui avec plus de quatre décennies d’expérience avérées dans le nucléaire civil n’a pas su remporter le marché de la centrale d’Abou Dhabi. Ce marché a en effet été remporté par le coréen Kepko dépourvue d’expérience et de son savoir-faire dans le domaine de l’export. L’argumentaire économique visant à véhiculer l’idée selon laquelle la proposition d’Areva était peu concurrentielle de par son prix ne saurait emporter l’adhésion dans un pays où l’argent coule à flot et les choix fondés sur la qualité ont toujours primé sur le prix.
Pareillement, face à la supériorité technologique du modèle français, la perte du marché de la ligne de TGV dite d’Allah reliant la Mecque à Médine par Alsthom au profit de l’espagnol Thalgo ne saurait s’expliquer par des considérations de coûts dans un pays qui exporte 10 millions de barils/jours à 100 dollars le baril. De même, l’échec, en Iraq, de Total, seul grand major pétrolier à n’avoir pu remporter un contrat de production significatif ne saurait se justifier par le peu de rentabilité qu’offrait le secteur minier des hydrocarbures dans ce pays. Rappelons que l’Iraq recèle en son sein une des plus grandes réserves pétrolières au monde et il importait beaucoup pour Total d’y être présent. Comment expliquer cet échec si ce n’est par les positions particulièrement hostiles de la France par rapport à l’Iran ? Chacun sait que les dirigeants iraquiens ont vécu, pour la plupart plus d’une décennie en exil en Iran à l’époque de Saddam Hussein. Sans même faire mention de la proximité extrême entre l’Iran et L’Iraq, tous deux à grande majorité chiite et dirigés par des gouvernements très amis. Il était dès lors inenvisageable pour les Iraquiens de récompenser par un contrat significatif une entreprise française, en l’occurrence Total, au vue de l’obsession iranienne des gouvernements français depuis l’administration Sarkozy à ce jour.
De même, comment imaginer, les Emirats Arabes Unies, opter pour d’Areva alors que l’Iran, géant, est à quelques kilomètres de leurs frontières ? C’aurait été une provocation au vue, encore une fois, des prises de positions excessives françaises sur le nucléaire iranien. Le choix de Kepko était beaucoup moins provocateur surtout que Kepko se positionnait avec une licence de l’américain Westinghouse.
Ainsi donc, le déplacement du chef de l’Etat français en Arabie Saoudite avec le parti pris géostratégique qu’il véhicule aura non seulement des conséquences négatives pour la diplomatie régionale française mais aussi pour les fleurons de l’industrie nationale. La France n’est pas faite que de groupe d’armement. Et surtout que vont peser les petites économies que semblent privilégiées Paris par rapport aux marchés gigantesque de l’Iran et de l’Iraq avec leurs 110 millions d’habitants ?

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