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Alain Juppé-François Fillon : lequel des deux est l'adversaire le plus compliqué pour le FN ?
©Capture d'écran

Et pourquoi pas ?

Grand vainqueur de ce premier tour de la primaire de la droite et du centre, François Fillon pourrait bien être finalement le mieux placé pour faire barrage au Front national, en séduisant de nombreux électeurs encore hésitants entre la formation de Marine Le Pen et les Républicains.

Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Pour chacun des items qui suivent, nous avons voulu nous demander, dans le cas de l'affrontement Fillon/Juppé qui aura lieu lors du 2ème tour de la primaire, si François Fillon peut effectivement constituer un rempart contre le FN, profitant d'un possible report de voix de la part de cet électorat : 

1/ Son positionnement pro-russe  

La position de François Fillon sur la Russie n’est pas très originale : on retrouve un positionnement assez comparable chez Nicolas Sarkozy (Alain Juppé est moins clair). François Fillon avance des arguments de nature économique et historique. Il se dit opposé aux sanctions européennes contre la Russie en considérant que ces sanctions nuisent aux intérêts de la France (notamment pour les agriculteurs). Dans son projet, il annonce qu’il veut "refonder nos relations avec la Russie, allié historique de la France" ; il propose également un "nouveau partenariat commercial entre l’Union européenne et la Russie", ce qui devrait permettre d’offrir de "nouveaux débouchés à nos entreprises".

Ce positionnement peut séduire une partie du Front national puisque ce dernier est lui aussi sur une ligne pro-russe. Le FN est même le seul parti qui ait soutenu la quasi-annexion de la Crimée, et ce soutien lui a vraisemblablement permis de recevoir des financements de la part des autorités russes. Pour les électeurs, l’indulgence envers la Russie s’explique sans doute par la question de l’islamisme. Mais si la Russie peut effectivement être un allié précieux pour lutter contre l’islamisme, ses objectifs sont-ils compatibles avec ceux de la France ou de l’Europe ? François Fillon reste d’ailleurs dans une certaine ambiguïté : la relation avec la Russie concerne-t-elle la France toute seule, ou l’Union européenne, cette dernière option risquant de susciter des tensions en Europe lorsqu’on sait combien certains Etats sont aujourd’hui inquiets face aux ambitions territoriales de la Russie ? L’hypothèse d’une nouvelle alliance avec la Russie risque fort de rester à l’état de discours.

2/ Son euroscepticisme et sa compatibilité avec les souverainistes 

François Fillon plaide pour une "France souveraine". Il utilise ainsi une expression qui a quasiment disparu du vocabulaire politique français, ce qui lui permet de toucher une partie de l’électorat. Il critique donc le projet d’une Europe fédérale et affiche sa préférence pour une Europe des nations. Concrètement, cela signifie qu’il entend reconsidérer le rôle de la Commission européenne au profit des Etats-membres, et souhaite privilégier les décisions intergouvernementales, c’est-à-dire les décisions qui sont prises à l’unanimité. Chaque Etat retrouverait donc son droit de veto.

Cela dit, François Fillon ne propose pas de démanteler l’Europe, bien au contraire même puisqu’il insiste beaucoup sur le rôle de l’Europe pour protéger les citoyens européens. Il plaide ainsi pour une véritable Europe de la défense, mais aussi pour l’instauration de contrôles aux frontières et pour le renforcement de la monnaie unique, ce qui implique notamment une convergence budgétaire et fiscale. Or, on voit mal comment ces différents objectifs peuvent être réalisés en restant dans un cadre strictement interétatique. Difficile d’avoir le beurre et l’argent du beurre, ou d’être à la fois dedans et dehors. Comment, par exemple, convaincre nos partenaires européens d’investir davantage dans la défense sans leur accorder leur mot à dire sur les choix diplomatiques et militaires ? La même question se pose pour les frontières ou pour l’euro : peut-on s’engager dans des coopérations étroites sur des sujets sensibles tout en conservant des mécanismes de décision à l’unanimité ? Cette contradiction a pu faire illusion le temps de la primaire, mais elle risque d’être plus délicate à tenir pendant la campagne présidentielle. Le FN se fera un plaisir de la mettre en lumière.

3/ Sa proximité avec les catholiques

Dans son livre Faire, publié l’an dernier, François Fillon a insisté sur les liens qui le rattachent au catholicisme, à la fois par ses origines familiales et par son éducation. En septembre dernier, il a déclaré que, s’il ne revendique pas "le titre de candidat des catholiques", il est malgré tout "celui dont le comportement personnel semble le plus en accord avec les valeurs des catholiques". Autrement dit : je ne clame pas mon identité religieuse mais la façon dont je mène ma vie parle pour moi, contrairement à mes rivaux.  

Il faut reconnaître que François Fillon a été adroit pour séduire les électeurs catholiques. Certes, il a clairement annoncé qu’il ne reviendrait pas sur la loi pour le mariage pour tous mais il a néanmoins proposé de réserver l’adoption (ainsi que la PMA) aux couples hétérosexuels. Cette position est assez astucieuse : elle lui permet de séduire les milieux conservateurs, y compris la Manif pour tous, sans s’aliéner les électeurs de droite ouverts sur la question de l’homosexualité. Les électeurs FN peuvent aussi se retrouver sur cette ligne car, même dans cet électorat, la cause homosexuelle est assez acceptée. De plus, contrairement à une idée reçue, le FN n’a jamais vraiment percé chez les catholiques pratiquants. Or, les déclarations du pape sur l’immigration ont sans doute déstabilisé une partie des catholiques. Pour eux, François Fillon peut donc apparaître comme le candidat du moindre mal, surtout par rapport à Alain Juppé qui a tardé à envoyer des messages aux catholiques. De ce point de vue, Fillon est probablement bien placé pour constituer une nouvelle alliance entre la France rurale et conservatrice, et la France libérale axée sur la mondialisation.

Cela étant, la proposition de François Fillon risque d’être difficile à tenir puisqu’elle aboutit à créer deux types de mariage : le mariage plein et entier d’un côté, qui autorise l’adoption, et le mariage gay d’un autre côté, où l’adoption serait interdite ou difficile. Une telle situation est-elle juridiquement tenable ? Ce n’est pas sûr, et on notera d’ailleurs que François Fillon a pris soin de préciser que, sur ces questions de société, il entend prendre le temps de débattre ("autant je suis partisan de foncer sur les réformes économiques, autant je crois à la nécessité de prendre le temps du débat sur les questions de société"), ce qui signifie que la réforme ne viendra pas de sitôt.  

4/ Son opposition au "vote sectaire"

En septembre 2013, François Fillon a fait une sortie remarquée au sujet de l’attitude à adopter en cas de duel PS/FN : "aux municipales, je conseille de voter pour le moins sectaire". Cette phrase sous-entend que, pour François Fillon, le candidat FN n’est pas forcément le plus sectaire, ce qui ne peut évidemment que plaire aux électeurs frontistes.

Interrogé à plusieurs reprises sur cette fameuse phrase, François Fillon a donné des indications contradictoires. Tantôt il a précisé qu’il n’entendait surtout pas appeler à voter FN, et s’est excusé en parlant d’un "dérapage" lié à un manque d’attention ; tantôt il a, au contraire, expliqué qu’il refusait de se plier au vieux schéma du ni ni (ni PS, ni FN).

Ce flou est assez logique. François Fillon est confronté au même problème qui taraude la droite depuis les années 1980 : comment gagner les voix du FN sans provoquer une réaction politico-médiatique qui peut coûter cher ? La stratégie suivie par Fillon est assez habile : en disant les choses tout en les démentant, il se présente comme celui qui a osé briser un tabou, comme celui qui considère le FN comme un parti comme les autres. Cela peut lui apporter un sérieux avantage, sous réserve toutefois qu’il parvienne à maintenir ce cap délicat. 

5/ Son programme d'austérité, hostile aux classes les plus défavorisées

Sur le plan social et économique, la ligne de François Fillon est assez fortement libérale. Lui-même présente son projet en parlant d’un "choc libéral". Les principales mesures qu’ils proposent sont la suppression de 500 000 postes dans la fonction publique (et le retour aux 39 heures pour les fonctionnaires), l’abrogation de la durée légale du travail, la quasi-suppression du Code du travail (lequel se verrait restreint aux grands principes, le reste étant renvoyé aux négociations dans les entreprises), l’instauration d’un contrat de travail unique et d’un impôt à taux unique sur le capital, le recul de l’âge de la retraite à 65 ans ou encore la dégressivité de l’assurance-chômage. On peut ajouter une autre mesure d’inspiration libérale : la décentralisation dans l’Education nationale, proposition qui peut d’ailleurs être jugée contradictoire avec la volonté de renforcer la transmission des valeurs républicaines.

En toute logique, ce projet devrait faire fuir les milieux modestes. Mais ce n’est pas si simple. Il faut, en effet, tenir compte d’un élément fondamental : nous assistons d’ores et déjà à une crise plus ou moins larvée de l’Etat-providence. Cette crise a plusieurs sources. La première est évidemment l’ensemble des réformes menées au cours des dernières années, réformes qui ont conduit à réduire la voilure de la sécurité sociale et à inciter les Français à recourir à des assurances complémentaires. La deuxième raison est que l’immigration et l’insécurité ont contribué à saper la légitimité même de l’Etat-providence : les gens ont souvent le sentiment que la redistribution des richesses sert prioritairement les nouveaux arrivants au détriment des "Français de souche", sans qu’une contrepartie soit demandée aux premiers en termes d’intégration et de respect des mœurs locales. La troisième raison est que la demande de restauration de l’autorité est très forte, aussi bien pour l’Etat que pour la société en général, demande qui se double d’une attente de fermeté accrue au sujet de la délinquance et de l’immigration. Ces trois éléments peuvent expliquer pourquoi certains électeurs sont prêts à accepter de sacrifier une partie de leurs avantages sociaux dès lors que le candidat s’attaque à ce qu’ils perçoivent comme une déliquescence de l’autorité et de la société. C’est cette carte qu’avait joué Nicolas Sarkozy en 2007 et qui lui avait parfaitement réussi. Il n’est pas impossible que François Fillon soit en mesure de renouveler cet exploit. En tout cas, on voit bien qu’une ligne de clivage tend à se dessiner à droite : elle oppose un nationalisme-autoritaire plutôt libéral (celui qui est incarné par François Fillon) et un nationalisme-autoritaire plutôt régulateur (celui de Marine Le Pen). C’est ce clivage qui sera manifestement au cœur de l’élection de 2017. 

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