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La France, pays des ronds-points et des ponts qui ne servent à rien ? Pourquoi les dépenses d’infrastructure sont une réelle opportunité pour le pays
©Reuters

A bon escient

Les infrastructures constituent un élément clé de la compétitivité d'un pays. Néanmoins, pour qu'elles profitent pleinement à l'économie, elles doivent répondre à un réel besoin des acteurs économiques, tandis que le pays doit être capable d'en assurer la fonctionnalité Le problème de la France réside essentiellement dans le décalage entre un coût disproportionné de certaines infrastructures par rapport à leur réelle utilité publique.

Sarah Guillou

Sarah Guillou

Sarah Guillou est économiste à l’OFCE dans le domaine de l’économie internationale et des politiques publiques affectant la compétitivité des entreprises. Son travail mobilise l’exploitation statistique de bases de données d’entreprises et de salariés ainsi que les données de commerce international par pays. Une partie de ses recherches porte sur les politiques industrielles et les politiques commerciales.

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Atlantico : Les dépenses d'infrastructure souffrent d'une image négative auprès de l'opinion, véhiculée notamment par des ronds-points au milieu de nulle part ou des ponts inutiles. A quel point cette image est-elle erronée ? Quelle est l'importance des dépenses d'infrastructure au sein de nos économies "avancées" ? Où se situe la France sur cette question ? 

Sarah Guillou : Les infrastructures d’un pays sont un élément clé de sa compétitivité. Elles couvrent un ensemble large de biens publics dont le financement est plus ou moins mutualisé par l’impôt. Des infrastructures de transport (routes, tunnels, aéroports, ponts) aux infrastructures des services publics fondamentaux ("utilities" en anglais) comme l’électricité, l’eau, le gaz, elles concernent également les moyens de communication électroniques et digitale, et plus généralement l’ensemble du bâtis (école, mairie, musée, salles des fêtes, de sport..) entrepris par les collectivités publiques. Parmi cet ensemble, il n’est pas rare, comme le pointe la Cour des Comptes, de constater des constructions dont le coût est disproportionné avec la réelle utilité publique. Les investissements dans les infrastructures sont fortement soumis au tropisme des décideurs politiques qui superposent, jusqu’à parfois les confondre, l’utilité publique avec leur intérêt et notoriété personnels, sans compter les opportunités de corruption qu’offrent ces marchés publics. Nos démocraties sont encore perfectibles.

Mais ces limites n’enlèvent rien à l’importance des infrastructures pour l’économie d’un pays. Leur qualité fonctionnelle participe à la compétitivité de chaque entreprise. En effet, l’activité de production sollicite à divers moments et à divers degrés les infrastructures qui l’environnent : plus elles sont de qualité et fonctionnent bien, et plus l’entreprise en bénéficie et en tire un avantage par rapport à ses concurrents.

Le fameux "Global Competitiveness Report" qui établit un classement de la compétitivité de 140 pays à partir d’un indicateur multicritère et de questions soumises aux entreprises, inclut clairement la dimension infrastructure. Il s’agit d’un des 12 piliers de l’indicateur. Et à cet égard, la France s’établit au 8ème rang sur 140, alors qu’elle atteint le rang 22 pour l’indicateur global de compétitivité (rapport 2015-2016).

Selon une étude réalisée par le Brookings Institute (voir ici), les emplois créés par les dépenses d'infrastructures de transport concernent, pour 93% d'entre eux, des postes sans haute qualification, et peuvent ainsi correspondre aux catégories de population les plus touchées par le chômage. Quels seraient les effets bénéfiques d'une relance par les infrastructures, aussi bien à court qu'à moyen termes ? Une telle politique pourrait-elle avoir du sens au niveau européen ?

Le rapport que vous citez éclaire une autre dimension du secteur de la construction et du bâtiment: celle de la qualification des emplois. L’adage qui consiste à faire de ce secteur le baromètre de l’état de l’économie tient en fait en ce qu’il ne fonctionne que si le reste des acteurs économiques domestiques exprime une demande. Or s’ils le font, c’est qu’ils disposent des moyens financiers. Par ailleurs, l’autre conséquence de la bonne santé du secteur est, en effet, qu’il dynamise les emplois des faibles et moyennes qualifications que l’on trouve dans ce secteur. La limite cependant de l’argument est que ce n’est pas dans ce secteur qu’on trouve les plus forts taux de chômage. Une reprise dans le secteur se traduit très souvent par une tension sur le marché du travail des travailleurs du bâtiment, et un appel aux travailleurs étrangers. Ceci étant dit, en France, les acteurs de la construction d’ouvrages d’infrastructures sont internationalement connus et compétitifs, de Bouygues à EDF. Cela renforce l’effet "emploi" des investissements d’infrastructure, mais pas seulement à destination des moins qualifiés.

L’appel à plus d’investissements dans les infrastructures a surtout du sens pour les pays en déficit d’infrastructures -- diagnostiqué et souligné pour les Etats-Unis, l’Allemagne et le Royaume-Uni notamment parce que ces pays auraient les moyens d’investir plus. Au-delà des besoins domestiques, il n’est pas rare de justifier ces investissements pour relancer la croissance des autres pays. Or, s’il s’agit d’investissements proprement domestiques (gares, routes, écoles), les effets externes positifs resteront internes, et l’ouvrage est souvent réalisé par des acteurs domestiques et des salariés qui, mêmes étrangers, consomment dans le pays domestique. Une étude récente de la Bundesbank montre qu’il ne faut pas attendre d’effet de relance majeure sur l’économie européenne d’un surcroît d’investissements allemands dans les infrastructures. Il en irait certainement autrement d’investissements qui auraient une dimension européenne.

A l'inverse, quels sont les pièges à éviter avec ce type de dépenses ? 

On a déjà évoqué les écueils politiques inhérents à ce type de dépenses. Il importe tout d’abord d’améliorer les processus institutionnels qui contrôlent les dérives en mettant, par exemple, sous tutelle de la Cour des Comptes, les collectivités publiques qui auraient gaspillé l’argent public dans des ouvrages manifestement disproportionnés. Ensuite, il faut se garder de vouloir dépenser pour dépenser. Ce risque est réel avec les plans d’investissement qui fournissent des moyens de financement à moindre coût. Il en va des plans qui sous-tendent les levées d’épargne nationale comme du plan européen dit "Juncker". En effet, pour qu’un investissement en infrastructure crée un gain de compétitivité ou de bien-être, il faut deux conditions : premièrement, un besoin réel des acteurs économiques, et deuxièmement des compétences de fonctionnement et de maintenance qui en assurent la fonctionnalité. Il ne suffit pas de construire pour construire. Il est donc utile de rapprocher investisseurs privés et publics pour renforcer la contrainte de rentabilité, tout en gardant l’objectif d’utilité et la garantie publiques.

Enfin, il est opportun d’envisager nombre de ces investissements dans une logique européenne : logique de standards pour ce qui concerne les moyens de communication par exemple (internet, mais aussi voitures électriques ou sans conducteur), logique d’échelle pour les investissements très coûteux (on répartit les coûts sur un plus grand marché), logique énergétique pour ce qui concerne les investissements dans les "utilities" afin de prendre en compte la mutualisation de l’approvisionnement, et les questions d’environnement.

Plus généralement, les investissements d’infrastructure s’inscrivent dans des projets de long terme très couteux et demandent concertation, consultation, expertise et réflexion ; les pays les plus performants en la matière sont ceux dont la qualité de la gouvernance politique s’associe à un système fiscal performant (rendement élevé et acceptabilité sociale).

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